lundi 21 novembre 2022

Des filaments magnétisés aussi dans les amas de galaxie


Farhad Yusef-Zadeh (Northwestern University), qui avait découvert au début des années 1980 des filaments magnétiques à grande échelle dans le centre galactique, vient d'en découvrir d'autres avec son équipe, très similaires, mais dans un amas de galaxies, ouvrant enfin la voie à des explications possibles. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.

Les premiers filaments radio découverts par Yusef-Zadeh s'étendaient jusqu'à 150 années-lumière de long et s'approchaient près du trou noir supermassif central de la Voie Lactée. Au début de cette année, Yusef-Zadeh et ses collaborateurs ont ajouté grâce au radiotélescope MeerKAT près de 1 000 filaments supplémentaires à leur collection d'observations. Dans ce lot, les filaments unidimensionnels apparaissent par paires et en grappes, souvent empilés à égale distance, côte à côte ou se déversant latéralement comme les ondulations d'une cascade. 
Mais parmi les filaments visibles en ondes radio, certains d'entre eux ne proviennent pas du centre de notre galaxie, mais de beaucoup plus loin. Alors que plusieurs filaments de notre Voie Lactée mesurent quelques parsecs à quelques dizaines de parsecs de longueur, l'un d'eux se situe 1 milliard d'années-lumière plus loin et mesure plus de 100 kiloparsecs... 
Ces filaments sont constitués d'électrons du rayonnement cosmique qui tournent le long d'un champ magnétique à une vitesse proche de celle de la lumière, émettant un intense rayonnement synchrotron. Les filaments nouvellement découverts résident à l'intérieur d'un amas de galaxies, un enchevêtrement concentré de milliers de galaxies. Certaines des galaxies de l'amas sont des radiogalaxies actives, qui semblent être des terrains propices à la formation de filaments magnétiques à grande échelle. Lorsque Yusef-Zadeh et ses collaborateurs ont vu ces filaments pour la première fois, ils ont compris qu'ils étaient en présence d'un phénomène universel. Mais, bien que la nouvelle population de filaments ressemble à celle de la Voie Lactée, il existe quelques différences essentielles. Les filaments situés en dehors de notre galaxie, par exemple, sont beaucoup plus grands - entre 100 et 10 000 fois plus longs. Ils sont également beaucoup plus anciens et leurs champs magnétiques sont plus faibles. La plupart d'entre eux s'étendent curieusement à un angle de 90 degrés par rapport à l'axe des jets d'un trou noir dans le milieu intra-amas. En revanche, la population nouvellement découverte présente le même rapport longueur/largeur que les filaments de la Voie Lactée. Et les deux populations semblent transporter l'énergie par les mêmes mécanismes. Plus près du jet, les électrons des filaments sont plus énergétiques, mais ils perdent de l'énergie lorsqu'ils se déplacent plus loin dans le filament. Bien que le jet du trou noir puisse fournir les particules nécessaires à la création d'un filament, quelque chose d'inconnu doit accélérer ces particules sur des très grandes distances. Certaines de ces structures ont une longueur jusqu'à 200 kiloparsecs (650 000 années-lumière, soit cinq fois plus grand que la taille de l'ensemble de notre galaxie). 
Yusef-Zadeh et ses coauteurs observent que les mécanismes physiques sous-jacents des deux populations de filaments semblent tout à fait similaires, malgré des environnements très différents. Les chercheurs se basent sur les ressemblances morphologiques des deux familles, ainsi que l'espacement entre les filaments, le rapport d'aspect, et les densités d'énergie magnétique par rapport à la pression thermique du milieu. Les filaments du centre galactique qui sont surnommés "le serpent", "le flament rose" et "le sourcil" (respectivement longs de 28, 12 et 6 parsecs) sont très ressemblants au long filament qui émane de la radiogalaxie 3C40B qui fait pourtant environ 200 kpc de long. De même, le filament galactique surnommé "la queue de comète", qui fait 15 pc, est étonnamment ressemblant au filament associé à la galaxie IC4296, 4000 fois plus long. 
Les filaments situés en dehors de la Voie Lactée seraient juste des cousins plus éloignés dans le temps, selon les chercheurs. Ces similitudes offrent l'opportunité d'étudier pour la première fois les processus physiques dans le milieu interstellaire et le milieu intra-amas. Les chercheurs proposent que les filaments puissent résulter d'une interaction entre le vent à grande échelle et les nuages de gaz, ou bien qu'ils naissent de l'étirement et de la collecte des lignes de champ par la turbulence dans un milieu faiblement magnétisé. Les chercheurs testent ces idées dans quatre filaments associés à quatre radio galaxies : IC 40B, IC 4496, J1333-3141, et ESO 137-006.
Les intensités moyennes du champ magnétique le long des filaments du centre galactique varient entre 100 et 400 μG selon le rapport supposé entre les protons et les électrons des rayons cosmiques. En revanche, dans le milieu intra-amas, le champ magnétique des filaments est généralement estimé à quelques microgauss, 50 à 100 fois plus petits... Le faible champ magnétique des filaments dans les amas de galaxies est attendu parce que les filaments ont une grande profondeur. Le champ magnétique plus faible dans les filaments des amas implique de longues échelles de temps de refroidissement, qui s'échelonnent comme B-3/2. 
Pour Yusef-Zadeh et ses collaborateurs, la source des particules relativistes reste encore à établir. Dans le centre galactique, quelques filaments sont associés à des sources radio compactes, et dans l'amas de galaxies, les filaments sont associés à des jets et des lobes radio, mais la nature exacte de toute connexion dans les deux cas reste incertaine selon les chercheurs. Ils notent que les deux populations de filaments ont en tous cas des spectres synchrotron abrupts indiquant une population d'électrons cosmiques âgés, ils en déduisent qu'il est donc possible qu'un événement d'injection se soit produit il y a longtemps et que le lien avec la source d'injection ne soit plus apparent.
Les similitudes frappantes entre ces populations quelque peu énigmatiques, malgré leurs environnements très différents, suggèrent la possibilité que l'une ou l'autre puisse se prêter à des sondes d'observation qui éclairent les processus physiques à l'œuvre dans les deux populations... De belles observations à planifier dans le futur. 

Source

Populations of Magnetized Filaments in the Intracluster Medium and the Galactic Center
F. Yusef-Zadeh et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 939, Number 2 (2 november 2022)


Illustration

Comparaison du filament radio de 3C40B avec trois filaments du centre galactique (Yusef-Zadeh et al)

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