mardi 15 novembre 2022

Un GRB produit par une étoile à neutrons supramassive avant son effondrement en trou noir


Une équipe d’astrophysiciens montre que les sursauts gamma de courte durée qui sont généralement le fruit de la collision de deux étoiles à neutrons lorsqu’un trou noir se forme, peuvent aussi apparaître avant que le trou noir ne se forme, via une étoile à neutron supramassive. L’étude est publiée dans The Astrophysical Journal.

Nuria Jordana-Mitjans (l'université de Bath) et son équipe ont étudié en détail le sursaut GRB 180618A qui était apparu le 18 juin 2018 et rapportent la première découverte d'une émission optique thermique brillante associée à GRB 180618A, avec des observations multi-longueurs d’ondes dans l'ultraviolet et l'optique commençant dès 1,4 minute après le sursaut. Ils observent que le spectre est cohérent avec une rémanence qui s'estompe rapidement et une émission thermo-optique émergente 15 minutes après l'explosion qui s'estompe brusquement juste 35 minutes après le GRB.

Il faut savoir que les GRBs courts représentent 9% du total des sursauts gamma détectés par le télescope d'alerte Swift, ce qui entraîne un nombre d'études multi-longueurs d'onde en temps réel beaucoup plus faible par rapport aux GRBs longs. De plus, les contreparties optiques des GRBs courts issus de fusions d'étoiles à neutrons sont typiquement quelques centaines de fois plus faibles que celles provenant de l'effondrement d'une étoile massive. Cela pose un vrai défi pour les suivis précoces et l'étude des GRBs courts avec des télescopes de petite et moyenne taille. C'est en 2005 avec les sursauts GRB 050709 et GRB 050724 que le suivi à large bande des GRB courts a vraiment commencé, avec la découverte de la première rémanence optique et de la première rémanence radio de ces GRB. Après ces événements, de nombreuses détections de rémanences de GRB courts ont été effectuées y compris la première détection d'une kilonova en 2013 et bien sûr la découverte conjointe de la kilonova GW170817/GRB 170817A, qui a confirmé de manière éclatante que les étoiles à neutrons binaires sont les progéniteurs d'au moins certains GRB courts. La détection simultanée d'ondes gravitationnelles et de rayons gamma provenant de GW170817/GRB 170817A, suivie de l'émission de la kilonova un jour plus tard, a aussi confirmé que les fusions d'étoiles à neutrons sont les sources de noyaux lourds issus du processus r de nucléosynthèse. Mais, la nature et la durée de vie du résidu de la fusion et le réservoir d'énergie qui alimente le flash gamma brillant restent débattus, et les premières minutes après la fusion sont restées inexplorées aux longueurs d'onde optiques. Et l'année dernière, des éruptions géantes provenant de magnétars extragalactiques ont été définies comme des sources de GRBs de faible luminosité et de courte durée (Fermi-LAT Collaboration et al. 2021 ; Roberts et al. 2021 ; Svinkin et al. 2021).

Les observations de Jordana-Mitjans et ses collaborateurs, depuis les rayons gamma jusqu’aux longueurs d'onde optiques, apparaissent cohérentes avec l'émission d'une nébuleuse chaude en expansion à des vitesses relativistes, qui serait alimentée par les vents de plasma d'une étoile à neutrons nouvellement née, tournant rapidement et fortement magnétisée (c'est-à-dire un magnétar milliseconde). Les chercheurs calculent que l'énergie de rotation libérée pour réchauffer la matière résiduelle de la fusion varie en fonction du temps comme t-2.22. Ces résultats suggèrent que les étoiles à neutrons peuvent survivre plus longtemps que quelques fractions de secondes avant de s’effondrer en un trou noir après la fusion. Cette grosse étoile à neutrons en rotation rapide peut donc alimenter le GRB elle-même par accrétion. 

Les chercheurs ont également pu localiser GRB 180618A dans sa galaxie hôte : elle se trouve à la périphérie de la galaxie, à 10 kpc du centre de la galaxie. Cette localisation est cohérente avec les grands décalages trouvés généralement dans les GRBs courts et en désaccord avec ceux des GRBs longs. Comme pour l'environnement de GRB 180168A, Fong & Berger avaient découvert en 2013 qu'environ 30 à 45 % des GRB courts se produisent là où il n'y a pas de lumière optique, c'est-à-dire où la masse stellaire est négligeable. Et comme GRB 180618A, la plupart des GRB courts montrent des signes de migration depuis leur site de naissance, probablement en raison d'une impulsion natale dans les binaires. Le fait que les GRB courts explosent dans un environnement à faible densité, explique aussi qu'ils produisant des rémanences plus faibles. 

Jordana-Mitjans et son équipe ont ensuite calculé la durée (notée T90) de GRB 180618A, correspondant à l'intervalle de temps dans lequel 90 % de l'énergie est libérée, en utilisant les courbes de lumière du GRB. Ils trouvent une durée différente en fonction de la gamme énergétique des photons gamma :  T90 = 45 ± 10 s pour le domaine spectral à basse énergie (c'est-à-dire 15-100 keV), mais T90 = 0,26 ± 0,14 s pour les photons entre 100-350 keV. La durée de GRB 180618A dans les bandes de basse énergie est donc supérieure de 2 ordres de grandeur à celle des bandes de haute énergie, ce qui confirme l'existence de deux composantes spectrales : un émission gamma courte et dure et une émission gamma douce plus longue. GRB 180618A peut bien être classé dans la famille des GRB courts puisque dans le catalogue GBM des GRB il a une durée  T90 (50-300 keV) = 3,7 s ± 0.6 s, or la limite entre les deux catégories est fixée dans ce catalogue à 4,2 s.

Jordana-Mitjans et ses collaborateurs interprètent les propriétés spectrales et temporelles inhabituelles de GRB 180618A comme la preuve d'une étoile à neutrons hautement magnétisée et en rotation qui a survécu pendant plus d'une journée après la fusion et alimentant une nébuleuse thermique chaude en expansion relativiste. Ils confirment donc que les magnétars millisecondes naissants peuvent alimenter des composantes d'émission lumineuses qui restent détectables à des distances cosmologiques : c'est-à-dire, l'émission gamma douce étendue qui suit certains GRBs courts, les plateaux optiques, l'émission optique thermique brillante à évolution rapide, et l'aplatissement tardif de la courbe de lumière X. Ils précisent aussi que la chute précoce de l'émission rémanente et l'émission thermo-optique de courte durée peuvent expliquer pourquoi une telle émission thermique n'avait pas encore été détectée dans d'autres GRBs courts avec une émission étendue. 

Le scénario qu'ils retracent est le suivant : 

(a) La matière est éjectée équatorialement par les forces de marée pendant la fusion des étoiles à neutrons et éjectée radialement par les interactions hydrodynamiques dans la région de contact des étoiles à neutrons.

(b) L'accrétion d'un tore de matière sur le résidu d'étoile à neutrons supramassive (c'est-à-dire un magnétar milliseconde) alimente deux jets relativistes qui, via des mécanismes de dissipation interne, produisent l'émission gamma prompte initiale de ≈0,3 s. À ce stade, le disque d'accrétion libère des vents qui dominent largement la masse totale éjectée.

(c) Les vents du magnétar sont collimatés par les éjectas environnants, qui donnent lieu à l'émission gamma douce de durée d'environ 45 s.

(d) Lorsque la luminosité du magnétar diminue par ralentissement, les vents à jet deviennent "étouffés" derrière les éjectas, qui sont réchauffés à des distances plus grandes. Lorsque l'opacité de l'éjecta diminue suffisamment, une émission thermique optique brillante est émise. 

Selon Jordana-Mitjans et ses collaborateurs, les contreparties optiques thermiques brillantes pourraient donc être communes en association avec des sources d'ondes gravitationnelles de fusion d'étoiles à neutrons. Une nouvelle association à multimessagers... 


Source

A Short Gamma-Ray Burst from a Protomagnetar Remnant

N. Jordana-Mitjans et al.

The Astrophysical Journal, Volume 939, Number 2 (10 november 2022)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/ac972b


Illustration

Illustration des différentes étapes du GRB reconstruites par les auteurs (N. Jordana-Mitjans et al.)

 

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