Abell 2255 est un amas contenant plusieurs milliers de galaxies situées à 200 mégaparsecs de la Terre. Des astrophysiciens néerlandais et italiens l'ont étudié dans le domaine radio avec le radiotélescope LOFAR et trouvent qu'il est rempli d'électrons relativistes et de champs magnétiques. Ils publient leur étude dans Science Advances.
Andrea Botteon (Université de Leiden, Pays-Bas et Università di Bologna / INAF, Italie) et son équipe ont obtenu avec LOFAR des images sont 25 fois plus nettes et comportant 60 fois moins de bruit que les images qui avaient été enregistrées à 150 MHz avec le Westerbork Synthesis Radio Telescope, un précurseur de LOFAR. Observer en ondes radio (49 MHz et 145 MHz) permet de "voir" le gaz raréfié de particules de haute énergie et de champs magnétiques qui se trouve entre les galaxies au sein de l'amas. On sait peu de choses sur l'origine de ce gaz et sur la façon dont les particules et les champs magnétiques s'influencent mutuellement.
C'est la première fois que des chercheurs étudient ces processus très loin du centre d'un amas (et à une fréquence aussi basse que 49 MHz). Le plasma chaud au sein des amas de galaxies en fusion est censé être rempli de chocs et de turbulences qui peuvent convertir une partie de leur énergie cinétique en électrons relativistes et en champs magnétiques générant un rayonnement synchrotron (dans le domaine radio). Botteon et ses collaborateurs montrent des preuves d'une telle émission radio synchrotron distribuée sur de très grandes échelles d'au moins 5 mégaparsec, et qui serait la conséquence de ces chocs et ces turbulences qui impactent électrons et champs magnétiques. Selon les chercheurs, l'émission radio, omniprésente dans Abell 2255, témoigne que les chocs et la turbulence transfèrent efficacement l'énergie cinétique en particules relativistes et en champs magnétiques dans une région qui s'étend jusqu'à la périphérie de l'amas. La force de l'émission nécessite une densité d'énergie du champ magnétique au moins 100 fois plus élevée que celle attendue lors d'une simple compression des champs magnétiques primordiaux. Cela signifie vraisemblablement que la dynamo fonctionne efficacement aussi dans la périphérie de l'amas, et pas seulement dans la région centrale. Cela suggère également que les composantes non thermiques du rayonnement peuvent contribuer de manière substantielle à la pression du milieu intra-amas, également dans la périphérie de l'amas.
Une émission radio synchrotron diffuse sous forme de halos radio centraux et de reliques radio périphériques avait déjà été observée en 2019 dans une grande fraction d'amas de galaxies massifs et dynamiquement perturbés. Cela indiquait que la turbulence et les chocs engendrés par les processus d'accrétion sont capables de dissiper une partie de leur énergie dans l'accélération de particules relativistes et l'amplification des champs magnétiques, au moins dans le mégaparsec cubique central du milieu intra-amas. Mais les simulations cosmologiques prédisent quant à elles que la turbulence et les chocs induits par les processus d'accrétion devraient s'étendre à des échelles beaucoup plus grandes que celles échantillonnées par les observations actuelles, bien que l'on ne sache toujours pas si ces mécanismes peuvent convertir suffisamment d'énergie en composantes relativistes et en champs magnétiques pour générer une émission radio détectable.
Andrea Botteon et ses collaborateurs viennent donc d'apporter une preuve observationnelle qui donne raison aux simulations. Leurs images à 49 et 145 MHz montrent une émission radio diffuse importante qui englobe l'ensemble de l'amas de galaxies, s'étendant jusqu'à une taille linéaire projetée de 5 Mpc, bien au-delà de l'émission thermique en rayons X détectée par le satellite ROSAT et englobant toutes les sources radio observées précédemment qui résident dans la région centrale de l'amas : un halo, une relique et un certain nombre de noyaux galactiques actifs (AGN) avec des queues étendues de plasma relativiste magnétisé.
Le rayonnement synchrotron observé nécessite des électrons relativistes de 1 à 10 GeV interagissant avec des champs magnétiques d'une intensité de l'ordre du microgauss distribués à très grande échelle. Alors que l'accélération des particules non thermiques dans les plasmas astrophysiques sans collision a été étudiée en détail dans les restes de supernova, le vent solaire et les vents/jets relativistes (par exemple, les nébuleuses à vent de pulsar et les AGN), elle n'est toujours pas claire dans les amas de galaxies, où l'accélération se produit dans des conditions physiques uniques en termes d'échelles spatiales et temporelles, de paramètres de collision et de plasma. Les observations de Botteon et al. démontrent ici que les électrons relativistes sont accélérés "in situ" et rayonnent dans des champs magnétiques également dans les régions très externes des amas, où la densité de matière est de seulement environ 100 fois la valeur moyenne de l'univers.
Ces observations étendent la possibilité d'explorer l'accélération des particules et la magnétogenèse dans des régions où le temps de collision ion-ion est 10 fois plus grand que dans le centre des amas, environ 30 millions d'années, et où le libre parcours moyen des ions et électrons thermiques est très grand, environ 25 kpc.
Les simulations qui sont confirmées par ces observations prédisent également un budget énergétique substantiel associé aux mouvements turbulents, de 15 à 30% de l'énergie thermique. Les observations de LOFAR apportent un premier soutien à ces prédictions car elles contraignent un budget énergétique des composantes non thermiques (champs magnétiques et particules relativistes) supérieur ou égal à plusieurs pourcents du budget thermique, sachant que le budget énergétique des composantes non thermiques ne fait qu'une fraction du budget énergétique cinétique (la turbulence). Les observations futures permettront de clarifier à quel point cette phénoménologie non thermique complexe est commune aux amas de galaxies.
Source
Magnetic fields and relativistic electrons fill entire galaxy cluster
Andrea Botteon et al.
Science Advances Vol 8, Issue 44 (2 Nov 2022)
Illustrations
1. Image composite (visible/Rayons X/radio) de Abell 2255 (ROSAT/LOFAR/SDSS/Botteon, et al)
2. Abell 2255 imagé par LOFAR à 145 MHz (Botteon, et al.)
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