vendredi 18 novembre 2022

Record de distance galactique battu avec le télescope Webb


Le record de distance pour une galaxie vient de changer de main grâce au télescope Webb. GN-z11 vient d'être détrônée par la dénommée GLASS-z12, dont le redshift est 12,4, ce qui la situe seulement 350 millions d'années après le Big Bang. Et les chercheurs qui l'ont dénichée dans les images du JWST en ont trouvée une autre avec un redshift de 10,4, qui arrive donc sur le podium. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

Une seule galaxie (GN-z11 à z = 11,1) était actuellement confirmée par spectroscopie à un redshift supérieur à 10. Elle est située à 420 millions d'années post Big Bang. Elle avait été découverte en  2016, et aura tenu ce beau record pendant 6 ans... On peut être sûr que celle qui vient de la détrôner grâce à la performance de détection du télescope Webb tiendra le record beaucoup moins longtemps, peut-être même à peine quelques mois seulement, le temps que de nouvelles images soient analysées. 

Rohan P. Naidu (Harvard Smithonian Center for Astrophysics) et ses collaborateurs ont spécifiquement cherché des galaxies ayant un redshift supérieur à 10 avec les données de photométrie de l'instrument NIRCam du JWST (entre 1 et 5 µm de longueur d'onde) qui ont été acquises lors des premiers programmes d'observation CEERS et GLASS. Le champ de vue couvert est de 49 minutes d'arc carré. Dans ce petit champ de vue, les astrophysiciens trouvent deux galaxies candidates qui sont relativement brillantes (pour Webb). Elles ont été nommées GLASS-z12 et GLASS-z10. Ces galaxies présentent des ruptures abruptes de plus de 1,8 mag dans leurs distributions spectrales d'énergie, qui sont cohérentes avec l'absorption complète du flux vers le bleu de la raie Lyα, mais décalé vers le rouge respectivement d'un facteur 12,4 [-0,3/+0,1] pour la première et 10,4 [-0,5/+0,4] pour la seconde. Elles sont ainsi situées respectivement 350 millions et 450 millions d'années après le Big Bang. Naidu et son équipe sont confiants sur leur identification car si il s'agissait de galaxies "intruses" à plus faible décalage vers le rouge, tels que les galaxies quiescentes avec de fortes ruptures de Balmer, elles seraient confortablement détectées dans plusieurs bandes, ce qui n'est pas du tout le cas ici. 

La modélisation de la distribution spectrale d'énergie permet aux chercheurs de déduire que ces galaxies ont déjà accumulé chacune plus de 1 milliard de masses solaires d'étoiles malgré leur jeune âge (4 milliards pour GLASS-z10 et 1,3 milliards pour GLASS-z12.  Et la luminosité de ces sources permet aussi d'apporter des contraintes morphologiques. GLASS-z10 montre un profil lumineux exponentiel clairement étendu, ce qui est potentiellement compatible avec une galaxie à disque dont le rayon serait de l'ordre de 0,7 kpc, quant à la détentrice du record de distance, GLASS-z12, elle aurait un rayon un peu plus petit de 0,5 kpc. Pour comparaison, notre galaxie a un rayon d'environ 15 kpc (et plusieurs centaines de milliards de masses solaires d'étoiles). Mais ces petites galaxies très lointaines et très jeunes sont aussi très productives. Naidu et ses collaborateurs déduisent leur taux de formation d'étoiles : GLASS-z10 en fabrique 10 par an et GLASS-z12 6 par an. Les astrophysiciens parviennent aussi à leur déterminer un âge : GLASS-z10 aurait 163 mégannées (+20/-133 mégannées) et GLASS-z12 111 mégannées (+26/-83 mégannées). GLASS-z12 aurait donc produit ses premières étoiles 240 mégannées après le Big Bang et GLASS-z10 290 mégannées après la singularité initiale... 

Si elles sont confirmées, ces deux galaxies, en rejoignant GN-z11 (vue à une époque juste entre GLASS-z10 et GLASS-z12 et elle aussi faisant environ 1 milliard de masses solaires en étoiles), défient les prévisions de densité des galaxies lumineuses basées sur les fonctions de luminosité UV de Schechter. Ce modèle nous dit en effet qu'il faudrait une zone de sondage dix fois plus grande pour trouver des galaxies aussi lumineuses à des redshifts aussi élevés en aussi grand nombre. En gros, il y aurait 10 fois trop de galaxies à cette époque cosmique par rapport à ce qu'on pensait. Cela a évidemment aussi des implications sur la façon dont ces galaxies ont commencé à se former. 

Ces observations suggèrent surtout que les futures observations profondes du JWST pourraient identifier des galaxies relativement brillantes à des époques beaucoup plus précoces que ce qui aurait pu être anticipé avant le lancement du télescope. Et que ce nouveau record ne tiendra pas bien longtemps, pour le plus grand plaisir de toute la communauté astrophysique. 

Source 

Two Remarkably Luminous Galaxy Candidates at z ≈ 10–12 Revealed by JWST 

Rohan P. Naidu et al.

The Astrophysical Journal Letters, Volume 940, Number 1 (17 november 2022)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ac9b22


Illustration

Champ de l'amas de galaxies Abell 2744 imagée par Webb où ont été trouvées GLASS-z10 et z12 (NASA/JWST)

2 commentaires :

paul bruscoli a dit…

Quant au plaisir de la communauté toute entière, hum, je ne parierai pas, ni pour ni contre.

https://arxiv.org/abs/2212.04480

qui confirme cela

https://arxiv.org/abs/2208.01611

et sans surprise pour certains

https://arxiv.org/abs/astro-ph/9710335

Bien à vous,
Paul

Dr Eric Simon a dit…

ces articles sont des preprints, pas des articles publiés (après review d'un comité de lecture). On en parlera donc quand ça sera le cas, comme toujours sur Ca Se Passe Là-Haut.