mercredi 1 mars 2023

Les molécules organiques complexes de l'astéroïde Ryugu


Les résultats de l'analyse des échantillons rapportés par la sonde Hayabusa2 de la surface de l'astéroïde carboné (162173) Ryugu sont publiés dans plusieurs articles dans Science. L'un d'eux révèle le contenu en molécules organiques, avec une grande variété de molécules contenant les atomes CHNOS, formés par diverses réactions de méthylation, d'hydratation, d'hydroxylation et de sulfuration. Des acides aminés, des amines aliphatiques, des acides carboxyliques, des hydrocarbures aromatiques polycycliques et des composés hétérocycliques azotés ont été détectés, tous d'origine abiotique. 

Ryugu est un astéroïde sombre et primitif contenant des minéraux hydratés similaires aux météorites carbonées les plus hydratées. Les astéroïdes de type C sont courants dans la ceinture d'astéroïdes et ont été proposés comme corps parents des météorites carbonées. Les échantillons de Ryugu offrent l'opportunité d'étudier les composés organiques pour les comparer avec ceux des météorites carbonées. Mais contrairement aux météorites, les échantillons de Ryugu ont été collectés et livrés pour étude dans des conditions contrôlées, réduisant la contamination terrestre et les effets de l'entrée atmosphérique, et c'est une grosse différence.
Hiroshi Naraoka (Université de Kyushu) et ses collègues japonais ont analysé sous toutes les coutures les 5 g de grains que la capsule de Hayabusa2 avait livrés. Ils ont principalement utilisé la spectrométrie de masse couplée à la chromatographie liquide et gazeuse. Ils ont ainsi identifié de nombreuses molécules organiques dans les échantillons. La spectroscopie de masse a permis de détecter des centaines de milliers de signaux, que les chercheurs attribuent à environ 20 000 compositions élémentaires différentes composées de carbone, d'hydrogène, d'azote, d'oxygène et/ou de soufre. Parmi ces molécules complexes, quinze acides aminés, dont la glycine, l'alanine et l'acide α-aminobutyrique, ont été identifiés. Ces acides aminés étaient présents sous forme de mélanges racémiques (c'est à dire avec des abondances égales pour les molécules droites et gauches), ce qui est compatible avec une origine abiotique. 
Des amines aliphatiques (telles que la méthylamine) et des acides carboxyliques (tels que l'acide acétique) ont également été détectés, probablement retenus sur Ryugu sous forme de sels organiques selon Naraoka et ses collaborateurs. La présence d'hydrocarbures aromatiques, notamment les alkylbenzènes, le fluoranthène et le pyrène, implique que le corps parent de Ryugu a subi un traitement hydrothermique et/ou provient d'une synthèse présolaire dans le milieu interstellaire. Et des composés hétérocycliques contenant de l'azote ont aussi été identifiés comme leurs homologues alkylés, qui auraient pu être synthétisés à partir d'aldéhydes simples et d'ammoniac. L'analyse in situ de la surface d'un grain a montré une distribution spatiale hétérogène d'homologues alkylés de composés azotés et oxygénés.
Il faut se rappeler que les météorites de chondrites carbonées primitives sont connues pour contenir une variété de molécules organiques solubles, notamment des molécules prébiotiques telles que les acides aminés. On estime que les météorites pourraient avoir livré des acides aminés et d'autres molécules organiques prébiotiques à la Terre primitive et à d'autres planètes rocheuses. Ce qui paraît clair, c'est que la matière organique dans les échantillons de Ryugu est le produit de processus physiques et chimiques qui se sont produits dans le milieu interstellaire, la nébuleuse protosolaire et/ou sur le planétésimal qui était le corps parent de Ryugu. 
Pour Naraoka et ses collaborateurs, la grande variété de molécules identifiées indique que des processus chimiques prolongés ont contribué à la synthèse de matières organiques solubles sur Ryugu ou son corps parent. Le mélange très diversifié de molécules organiques solubles dans les échantillons ressemble de fait à celui observé dans certaines chondrites carbonées. Mais la concentration de ces molécules dans Ryugu est inférieure à celle des chondrites CM modérément altérées en milieu aqueux, elle est en revanche plus similaire à ce qui est observé dans les chondrites CI de type Ivuna qui sont altérées en milieu aqueux. La diversité moléculaire des composés de faible poids moléculaire, y compris les amines aliphatiques et les acides carboxyliques, est plus faible dans les échantillons de Ryugu que celle mesurée précédemment dans la célèbre météorite de Murchison.
La matière organique de Ryugu semble donc avoir été affectée par une altération aqueuse, qui a produit des hydrocarbures aromatiques similaires au pétrole hydrothermal sur Terre. Cependant, les échantillons de Ryugu ne semblent n'avoir jamais connu de hautes températures. ce qui est différent des chondrites CI Yamato 980115 et Belgica 7904 et qui contiennent de très faibles abondances d'acides aminés et de molécules aromatiques.  
La diversité chimique est cohérente avec la chimie organique aqueuse à des températures modestes qui devaient régner sur l'astéroïde parent de Ryugu. Les chercheurs japonais estiment que la température de chauffage effective était inférieure à 150°C pour les molécules organiques solubles de Ryugu. Or, ils notent que les observations en télédétection de Ryugu recueillies par Hayabusa2 montraient des indices de métamorphisme thermique de 300 à 400°C sur l'astéroïde. Selon eux, cette contradiction peut être levée si on tient compte de la protection qu'auraient eu les matières organiques par leur incorporation dans des minéraux hydratés.
L'analyse des échantillons indique donc que les matériaux de surface de Ryugu abritent des molécules organiques malgré un environnement très difficile causé par le chauffage solaire, mais aussi l'irradiation ultraviolette, l'irradiation par les rayons cosmiques et le vide poussé. Pour Naraoka et ses collaborateurs, les grains de surface des couches supérieures de Ryugu agissent comme une véritable couche de protection pour ces molécules organiques, ce qui est très différent de ce qu'on peut voir classiquement avec les météorites, pour lesquelles l'ablation atmosphérique pendant leur arrivée zsur Terre modifie les matériaux proches de la surface. 
Les astrophysiciens concluent que les composés organiques sur les astéroïdes peuvent être éjectés de la surface par des impacts ou d'autres causes, de quoi les disperser à travers tout le système solaire (ou au-delà) sous forme de météoroïdes ou d'astéroïdes, et notamment sur la Terre primitive.


Source

Soluble organic molecules in samples of the carbonaceous asteroid (162173) Ryugu
Hiroshi Naroka et al. 
Science Vol 379, Issue 6634 (24 Feb 2023)
Illustration

JAXA, University of Tokyo, Kochi University, Rikkyo University, Nagoya University, Chiba Institute of Technology, Meiji University, University of Aizu, AIST, NASA, Dan Gallagher.

Aucun commentaire :