vendredi 3 mars 2023

Des accrétions similaires autour des trous noirs et des étoiles à neutrons


Des observations à multi-longueurs d'onde du rayonnement d'un système binaire impliquant une étoile à neutrons montrent des signatures similaires à celles d'une binaire impliquant un trou noir, ce qui suggère que le mécanisme d'accrétion est le même pour toutes ces sources à des luminosités élevées. L'étude est parue dans Nature

Les binaires à rayons X sont des systèmes comprenant une étoile normale et le résidu d'une étoile effondrée (une étoile à neutrons ou un trou noir). La matière qui tombe de l'étoile normale vers l'astre compact devient si chaude en formant un disque d'accrétion qu'elle émet de nombreux rayons X. Lorsque la luminosité de ces rayons X est élevée, les instabilités qui se produisent peuvent nous aider à comprendre les conditions extrêmes qui sont rencontrées au voisinage de ces systèmes.
Federico Vincentelli (Instituto de Astrofisica de Canarias) et ses collaborateurs ont observé les instabilités de la binaire X Swift J1858.6−0814 qui contient une étoile à neutrons qui ressemble à s'y méprendre au système GRS 1915+105 qui lui contient un trou noir. Le schéma des rayons X émanant de GRS 1915 + 105 ressemble fortement à l'enregistrement de l'activité électrique d'un cœur - il présente une caractéristique appelée variabilité de type β, typique, d'un battement cardiaque. Des comportements similaires avaient été identifiés dans d'autres systèmes binaires à trou noir, mais il n'était pas clair jusqu'à aujourd'hui s'ils existent également dans les systèmes à étoiles à neutrons.
Le signal de GRS 1915+105 varie, et cette variabilité est le résultat direct du fait que le trou noir accrète de la matière à un rythme qui fluctue. Cela produit un épuisement et un réapprovisionnement rapides du disque d'accrétion interne à proximité du trou noir. Ces variations répétées conduisent à des modifications marquées de l'émission de rayons X et peuvent être décrites par une instabilité dynamique. 
C'est ce qu'ont fait Vincentelli et al. qui ont mené une campagne pour obtenir de telles observations à plusieurs longueurs d'onde de la binaire à rayons X Swift J1858.6−0814. Découvert en octobre 2018, ce système est un excellent choix pour l'étude, car très lumineux et présentant une émission très variable. Des études antérieures avaient rapporté une émission caractérisée par des flashes de lumière provenant de la surface de l'étoile à neutrons, des schémas de variabilité qui ressemblent à ceux de GRS 915+105, et des flux de rayons X, de fréquences visibles et ultraviolettes, les signaux de rayons X suggérant la présence de matière près de l'étoile à neutrons.
L'émission du disque d'accrétion dans sa partie interne apparaît également obscurcie, ce qui indique la présence de matière au-dessus et au-dessous du disque, selon les chercheurs. Vincentelli et ses collaborateurs ont observé le système pendant environ quatre heures, en utilisant plusieurs instruments pour accéder simultanément à plusieurs longueurs d'onde. Le télescope spatial NuSTAR a été utilisé pour mesurer les rayons X à haute résolution, le télescope spatial Hubble pour les fréquences UV, le télescope Liverpool en Espagne pour les fréquences visibles; le Very Large Telescope pour le proche infrarouge et le Very Large Array pour les ondes radio.  De telles campagnes coordonnées sont difficiles à organiser, en partie parce que la visibilité est déterminée par la position d'une source par rapport à la Terre et par les conditions météorologiques locales à chaque installation. Mais elles sont également compliquées par la planification requise  (le moment et la durée pendant lesquels une installation donnée peut observer la source, et aussi par les multiples comités d'examen des responsables scientifiques chargés d'accorder le temps d'observation sur chaque instrument. L'un des principaux résultats de la campagne a été la découverte d'instabilités de type battements dans les différentes émissions à la fois de rayons X, infrarouges, optiques et ultraviolettes de Swift J1858.6−0814. Le modèle de variabilité caractéristique apparaît très similaire à la variabilité de type β qui est observée dans les rayons X de GRS 1915 + 105. 


Et les chercheurs montrent aussi que l'émission infrarouge de Swift J1858.6−0814 est en retard sur son émission de rayons X de 2,5 à 5,5 secondes. C'est cohérent avec l'idée que les rayons X du disque interne sont absorbés à la fois par le disque externe et l'étoile compagne, puis réémis sous forme de rayonnement infrarouge quelques secondes plus tard. A partir des similitudes entre GRS 1915+105 et Swift J1858.6−0814, les auteurs proposent un modèle pour expliquer les propriétés multi-longueurs d'onde qui sont observées. Leur modèle soutient que ce sont les changements dans la taille du disque d'accrétion qui induisent la variabilité rapide des rayons X de GRS 1915+105 et de Swift J1858.6−0814, mais que cette variabilité est un peu moins évidente dans le système à étoile à neutrons parce que le disque d'accrétion est masqué. 
Dans le cas de GRS 1915+105, comme dans celui de Swift J1858.6−0814, le cycle peut être pensé en termes de changements du rayon du disque d'accrétion qui varie entre un minimum et un maximum au fur et à mesure que le disque s'épuise et se remplit. Ces changements se produisent en raison de l'interaction entre la gravité et la pression de rayonnement qui se développe dans le flux d'accrétion. Cette pression gonfle le disque intérieur, vidant ainsi son centre, puis la gravité aspire le matériau du bord extérieur du disque pour remplir la région intérieure. Pendant la phase d'épuisement du cycle, la matière est expulsée du système sous la forme d'un jet de particules se déplaçant à des vitesses relativistes et peut être observée aux fréquences infrarouges et radio. Au fur et à mesure que le disque se recharge, ce jet perd rapidement de l'énergie, jusqu'à ce qu'il puisse se reconstituer une fois le disque complètement rempli. La seule façon d'étudier correctement ce cycle était d'observer simultanément des sources de haute luminosité aux fréquences X, infrarouge et radio.
Mais, d'après Vincentelli et son équipe, alors que les jets qui se forment lors de l'épuisement du disque autour de GRS 1915+105 peuvent être observés directement sous forme d'émission infrarouge et radio, ceux éjectés du disque de Swift J1858.6−0814 sont quant à eux obscurcis et observés uniquement sous forme de rayonnement réémis au niveau visible et UV. Une telle émission de battement dans les longueurs d'ondes visibles et UV n'est pas observée pour GRS 1915+105 car son disque d'accrétion est plus grand que celui de Swift J1858.6−0814, et il est orienté différemment par rapport à la ligne de visée. La présence du matériau absorbant dans le système Swift J1858.6−0814 n'est en revanche pas bien compris par les chercheurs.
Vincentelli et al. soutiennent que ce scénario physique pourrait être valable pour tous les trous noirs et les étoiles à neutrons en accrétion qui montrent une forte luminosité. Cette conclusion nécessitera tout de même l'observation d'autres sources, pour confirmer et contraindre les paramètres du modèle, mais il est clair que les instabilités d'accrétion, les jets et la présence de matériaux obscurcissants sont trois éléments à prendre en compte lors de l'étude de systèmes binaires d'astres compacts.


Source

A shared accretion instability for black holes and neutron stars
Federico Vincentelli et al.
Nature volume 615 (1st march 2023)

Illustrations

1. Schéma des processus physiques du système Swift J1858.6−0814 (Nature)
2. Schéma des processus physiques du système GRS 1915+105 (Nature) 

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