vendredi 10 mars 2023

Les images du télescope Hubble affectées par des satellites en forte augmentation


Une équipe internationale d'astrophysiciens a utilisé les données épluchées par plus de 11 000 "scientifiques citoyens" pour évaluer l'ampleur des traces de satellites de méga constellations dans les images archivées du télescope spatial Hubble (qui se trouve sur une orbite inférieure à celle des satellites parasites). Près de 3% des images sont déjà affectées en moyenne et cette fraction ne cesse d'augmenter depuis 20 ans... L'étude est parue dans Nature Astronomy.

Au fur et à mesure que de plus en plus de satellites ont été déployés et que les télescopes au sol deviennent de plus en plus sophistiqués et sensibles, les inquiétudes des astrophysiciens n'ont fait que croître. Mais ces dernières années, les chercheurs qui exploitent les données des télescopes spatiaux sont également devenus plus inquiets, en particulier vis à vis des méga-constellations de satellites qui sont en cours de déploiement en ce moment. Sandor Kruk (Max-Planck Institute für Extraterrestrial Physik, Garching) et ses collaborateurs en font partie, et étayent aujourd'hui leurs craintes par une étude quantitative. Lancé en 1990, l'orbite de Hubble se dégrade lentement en raison de la traînée atmosphérique, étant maintenant à une altitude moyenne de 538 km au-dessus de la surface de la Terre. Le télescope Hubble est donc sensible aux autres satellites situés sur des orbites plus élevées qui, selon l'angle d'éclairage solaire, la position et le pointage du télescope, peuvent affecter les observations en provoquant des traînées lumineuses brillantes sur les images. L'autre préoccupation est que ces satellites artificiels deviendront a terme des débris spatiaux, augmentant la quantité de déchets spatiaux et la possibilité d'une collision d'un débris avec le télescope.
Les traînées de satellites ont été reconnues comme des anomalies dans les images du Advanced Camera for Surveys (ACS) dès 2008. Mais, jusqu'à présent, il n'y avait pas eu d'évaluation quantitative de la fréquence d'apparition des satellites dans les images de Hubble. Le résultat du passage d'un satellite parasite dans le champ de Hubble est l'apparition de points de lumière ou de traînées à travers les images, les rendant généralement inexploitables pour la science. Kruk et son équipe se sont appuyés sur un projet de science participative nommé Hubble Asteroid Hunter (www.asteroidhunter.org). Les 11000 participants devaient examiner des lots d'images prises par Hubble au cours des années 2001 à 2021 et signaler (entre autre) celles qui avaient des traces d'astéroïdes. Contrairement aux traînées produites par le passage d'astéroïdes, qui apparaissent comme des traînées courtes et incurvées dans les images en raison de l'effet de parallaxe causé par le mouvement du télescope autour de la Terre, les traînées de satellites parasites traversent rapidement tout le champ de vision de Hubble et, dans la plupart des cas, apparaissent sous forme de lignes droites. Les participants pouvaient facilement repérer les anomalies de ce type dans les images archivées.
Les astrophysiciens se sont également appuyés sur un algorithme d'apprentissage automatique pour analyser les résultats et faire des prédictions concernant le nombre total probable d'expositions de Hubble aux satellites parasites. Le résultat est déjà terrible : environ 2,7 % des images de Hubble avec un temps d'exposition typique de 11 minutes sont affectées par des satellites.
Kruk et ses collaborateurs montrent que cette fraction dépend de la taille du champ de vision, du temps d'exposition, du filtre utilisé et du pointage. Il existe notamment une différence significative entre les deux instruments du télescope étudiés : la fraction moyenne d'images pourries pour l'ACS/Wide-Field Channel est de 3,2 ± 0,2 %, tandis que pour la Wide-Field Camera 3/UVIS, c'est 1,7 ± 0,1%, en raison du plus grand camp de vue du premier imageur et d'une couverture de longueur d'onde différente des deux instruments. Kruk et ses collaborateurs calculent que la probabilité de voir un satellite dans une image de Hubble entre 2009 et 2020 est de 3,7% pour l'imageur ACS/WFC (et 3,2% pour WFC3/UVIS), tandis qu'en  2021 cette probabilité est respectivement de 5,9% et 5,5%, soit une augmentation de 59 et 71 % pour ACS/WFC et WFC3/UVIS, respectivement.
Enfin, les chercheurs ont regardé si les satellites parasites de Hubble sont répartis uniformément dans le ciel. Hubble étant un observatoire général, les observations sont en principe aléatoires dans le ciel, à l'exception de certains relevés (par exemple, COSMOS, CANDELS, ou les Hubble Deep Fields), qui contiennent des milliers d'observations dans une petite fraction du ciel (environ 2 degrés carré ). Kruk et son équipe montrent que bien qu'il y ait des variations dans le ciel, il existe un excès d'observations contenant des satellites, le long de l'équateur ( δ  = 0°) : il y a deux fois plus de chances de rencontrer un satellite en observant dans le plan équatorial que partout ailleurs. Cela peut s'expliquer par les satellites en orbite géostationnaire, qui présentent une latitude équatoriale constante sur toute leur orbite. De plus, il existe un léger excès d'observations parasitées à δ  > 60 °, peut-être en raison d'une fraction plus élevée de satellites sur des orbites fortement elliptiques et inclinées, telles que les orbites Molniya et Tundra, qui sont destinées à couvrir les régions de haute latitude.
La fraction des images de Hubble parasitées par des satellites est certes encore relativement faible actuellement avec un impact négligeable sur la science. Mais, le nombre de satellites et de débris spatiaux ne fera qu'augmenter à l'avenir. Au 3 octobre 2021, il y avait 8 460 objets de taille > 0,1 m² en orbite au-dessus de l'altitude du télescope Hubble (5 589 satellites de grandes tailles > 1 m² et 2 871 de tailles moyennes < 1 m²). Il y a eu une augmentation de 40 % du nombre de satellites artificiels au cours de la période 2005-2021, ce qui correspond à l'augmentation observée de la fraction de traces de satellites dans les images de Hubble sur la période (une augmentation d'environ 50 %).
A partir de ce nombre de 8500 satellites dont l'altitude moyenne est de 1500 km, Kruk et ses collaborateurs dérivent grâce à une modélisation quelle est la probabilité que l'un d'entre eux croise le champ de vue de Hubble, avec des conditions d'illumination qui produiraient une traînée sur l'image. La fraction de satellites illuminés à cette altitude, visibles à tout moment par Hubble est de 11 %. Les chercheurs trouvent une probabilité de 4,4 % pour l'imageur ACS/WFC et 3,5 % pour WFC3/UVIS, des valeurs qui sont très proches des probabilités qui sont observées (5,9% et 4,4 % sur l'année 2021). Ils ont donc un bon modèle qu'ils peuvent utiliser pour extrapoler le futur. 
À la date de la rédaction de cet article par Kruk et al., il y avait 1562 satellites Starlink et 320 One Web en orbite, augmentant la population de satellites proches de l'orbite de Hubble. Le nombre de satellites en orbite basse estimé se situe entre 60 000 et 100 000 d'ici les années 2030, la plupart de ces satellites devant se trouver entre 500 et 2 000 km d'altitude (Hubble est à 538 km). Kruk et ses collaborateurs calculent donc l'impact futur de ces satellites sur les observations de Hubble, à partir de leur modèle, en supposant des mégaconstellations typiques entre 500 et 2000 km d'altitude, et ils calculent la probabilité que l'une de ces merdes croise le champ de vue de l'un des instruments de Hubble. Résultat : la probabilité atteindrait jusqu'à 50%, en fonction de l'altitude et du nombre de satellites en orbite. Par exemple, la probabilité pour qu'un des 100 000 satellites qui seront à 850 km d'altitude croise le champ du télescope spatial est de 33 % pour l'imageur WFC3/UVIS et de 41 % pour ACS/WFC, ce qui augmente donc d'un facteur 10 la fraction actuelle des images affectées.
Les satellites en orbite entre 1000 à 2 000 km apparaîtront plus fréquemment dans les images car la fraction de satellites visibles est plus élevée, mais ils produiront des traînées plus étroites. Inversement, les satellites sur des orbites plus basses (500 à 1000 km) apparaîtront moins fréquemment sur les images, mais ils produiront des traînées plus larges. L'un des principaux essaims Starlink, par exemple, se trouve à 550 km d'altitude, non loin de l'altitude de Hubble. En supposant qu'un satellite passe à seulement 100 km du pointage de Hubble, un Starlink de 2 de 3 m produira une bande de 120 pixels de largeur sur l'imageur ACS de Hubble, pourrissant inéluctablement l'image.
Hubble n'est pas le seul télescope spatial affecté par des satellites artificiels. D'autres télescopes en orbite basse, tels que CHEOPS ou NEOWISE, sont également sensibles aux traînées de satellites dans leurs images, car leur orbite est inférieure à l'orbite de nombreux satellites actuels. On peut également citer un futur télescope en orbite basse ayant un grand champ de vue : le télescope infrarouge à grand champ Xuntian (300 fois le FoV de Hubble !) qui est prévu sur la Station spatiale chinoise. Lui aussi sera fortement impacté.
De nombreux observatoires spatiaux sont désormais en orbite ou prévus au point de Lagrange L2 (James Webb, Euclid, Plato), les plaçant loin des satellites artificiels et des débris spatiaux, et les épargnant du problème croissant auquel sont confrontés les télescopes en orbite basse et au sol. Mais est-ce que c'est la seule solution pour continuer à faire de l'astrophysique ? Pourquoi ne pas simplement interdire les méga-constellations avant qu'il ne soit trop tard ? 

Source

The impact of satellite trails on Hubble Space Telescope observations
Sandor Kruk et al.
Nature Astronomy (2 march 2023)
https://doi.org/10.1038/s41550-023-01903-3


Illustrations

1. Exemples de trainées dues à des satellites dans les images de Hubble (Kruk et al.)
2. Fractions d'images parasitées en fonction des années et en fonction du filtre de Hubble (Kruk et al.)

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