jeudi 6 juillet 2023

La dilatation temporelle liée à l'expansion observée dans des quasars à haut redshift


Un objet qui est situé dans l’univers indiquant un décalage vers le rouge (redshift) noté z, voit sa lumière décalée d’un facteur relatif z=Δλ/
λ Mais cela dit aussi que les longueurs d’ondes de sa lumière sont étirées d’un facteur (z+1) et que la source en question se trouve dans un univers qui est (z+1) fois plus petit que l’univers dans lequel nous vivons aujourd’hui. Et la cosmologie relativiste nous dit aussi que cet objet qui est observé avec le redshift z doit montrer une dilatation temporelle d’un facteur (z+1) par rapport à nous : le temps doit s’y écouler (z+1) fois moins vite pour les observateurs que nous sommes. Cet effet peut théoriquement être observable sur des objets qui sont naturellement variables où qui évoluent rapidement. Il a déjà été observé sur des supernovas très éloignées, mais étonnamment, l’observation de l’émission variable de quasars lointains ne semblait pas montrer cette dilatation temporelle cosmologique malgré leurs redshifts souvent très élevé. Et bien c’est désormais chose faite ! Deux astrophysiciens, australien et néo-zélandais viennent de démontrer cet effet de dilatation temporelle dans des quasars à haut décalage vers le rouge grâce à une étude statistique de leur luminosité variable. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

Outre les supernovas et les quasars, il existe d’autres sources transitoires très éloignées qui peuvent montrer des signes de dilatation temporelle, on peut citer les sursauts gamma et les sursauts radio rapides. Mais les recherches effectuées sur ces types de sources se sont avérées moins concluantes que pour les supernovas. Par exemple, bien que l'examen des courbes de lumière des sursauts gamma ait généralement montré une cohérence avec la signature cosmologique attendue, les incertitudes concernant le mécanisme d'émission détaillé et les caractéristiques attendues des courbes de lumière font que cette détection n'est pas définitive. Pour les sursauts radio rapides découverts plus récemment le signal de dilatation temporel est également limité par la connaissance partielle des processus physiques à l'origine de leur émission.

Geraint Lewis (université de Sydney) et Brendon Brewer (université de Auckland) se sont concentrés sur les quasars, avec un échantillon de 190 quasars qui ont été suivis sur une durée de 20 ans pour étudier comment évoluait leurs variations de luminosité en fonction de (1+z). Ils ont testé l’existence ou non d’une dilatation temporelle cosmologique en considérant plusieurs cas, via l’application d’un facteur (1+z)n pour la dilatation temporelle et en cherchant la valeur de n à partir d’une étude statistique sur leur gros échantillon de quasars, dont les redshifts s’étalent entre 0,2 et 4. Si n=0, le facteur de dilatation temporelle est égal à 1 et il n’y a donc pas de dilatation temporelle, et si n=1, on obtient le facteur (1+z), le facteur qui est attendu à partir de la théorie.

Les quasars sont connus pour être des sources variables depuis leur découverte dans les années 1960, l'émission provenant d'un disque d'accrétion relativiste en orbite autour d'un trou noir supermassif. Cependant, jusqu’à aujourd’hui, la variabilité affichée par les quasars sur une large gamme de décalages vers le rouge ne montrait pas la dilatation du temps cosmologique attendue, et du coup, cela a conduit à suggérer que la variabilité des quasars n'était pas intrinsèque, mais qu'elle était due à des phénomènes de microlentille dus à la présence de trous noirs distribués sur le trajet entre les quasars et nous. D'autres analyses ont déclaré que cela mettait en évidence des problèmes plus fondamentaux liés au modèle cosmologique, et ont même pour certains suggéré que les quasars n'étaient pas cosmologiquement éloignés comme on le pense et que leurs décalages vers le rouge observés seraient dus à des mécanismes autres que l'expansion de l'espace.

L’échantillon de quasars que Lewis et Brewer ont exploité est issu du programme Dark Energy Survey. Ces quasars sont tirés d’un plus vaste échantillon de plus de 100 000 quasars qui ont été identifiés par spectroscopie dans la base de données Sloan Digital Sky Survey de 300 deg². La luminosité bolométrique a été déterminée par ajustement spectral et correction à partir des distributions d'énergie spectrales composites. Ces 190 quasars ont été observés photométriquement entre 1998 et 2020, grâce à la combinaison de plusieurs époques d'exposition du SDSS, du PanSTARRS (Panoramic Survey Telescope Rapid Response System) et du Dark Energy Survey.

Les chercheurs construisent la distribution de la dépendance du décalage vers le rouge pour la dilatation temporelle, concrétisée par le facteur de puissance n, qui est traité comme un paramètre libre dans l’analyse statistique. Ils obtiennent une distribution qui ressemble à une gaussienne, dont la valeur médiane vaut 1,28. Les 16ème et 84ème percentiles valent respectivement 0,99 et 1,56. La valeur de n est clairement décalée par rapport à zéro, ce qui indique une claire dilatation temporelle dans la variabilité de luminosité de l'échantillon de quasars.

Les chercheurs notent que le fait de ne pas trouver exactement n=1 pourrait potentiellement indiquer la présence de facteurs supplémentaires tels que l'évolution des quasars au cours du temps cosmique en plus de la dilatation temporelle due à l'expansion cosmique. Mais heureusement, une telle évolution des quasars au cours du temps ne pourrait pas mimer à elle seule exactement la dilatation temporelle car Lewis et Brewer ont pris soin d’exploiter des quasars similaires en termes de luminosité bolométrique et de longueur d'onde au repos observée. Ce serait selon eux une coïncidence très peu probable que cette évolution des quasars dans le temps cosmique se traduise par une dépendance quasi exacte en (1 + z), mimant le facteur d’expansion cosmique (et de dilatation temporelle). Des ensembles de données photométriques plus étendus en termes de nombre de quasars et de durée de leurs courbes de lumière photométriques seront nécessaires pour séparer clairement l'influence de l'expansion cosmique de celle de l'évolution intrinsèque des quasars.

Pour les deux astrophysiciens, c’est d’ailleurs très certainement la taille réduite des échantillons dans les études antérieures sur les quasars qui n’avait pas permis de détecter la dilatation temporelle dans leur variabilité de luminosité. La cadence de l'échantillonnage des données et de la caractérisation de la variabilité des quasars pouvait aussi être en cause. Nous sommes maintenant à une époque où nous disposons d'observations d'un nombre suffisamment important de quasars couvrant une large gamme de redshifts, et observés sur de longues périodes et à une cadence qui surmonte leur nature stochastique. Et cela permet désormais une caractérisation précise de leur variabilité, et donc une détermination robuste de l'empreinte de l'expansion cosmologique sur leurs courbes de lumière. Avec les programmes à venir tels que le Legacy Survey of Space and Time de l’observatoire Vera Rubin, le nombre de quasars observés à une cadence temporelle élevée augmentera rapidement et la mesure de la dilatation temporelle cosmologique, et potentiellement l'influence de l'évolution intrinsèque des quasars, deviendront facilement observables.

Cette détection de l'expansion cosmique via la dilatation temporelle directement imprimée sur la variabilité des quasars démontre en tous cas que leurs propriétés sont cohérentes avec le fait qu'ils sont bien des sources variables à des distances cosmologiques, et ça contredit certaines affirmations précédentes selon lesquelles la variabilité des quasars n'est pas intrinsèque, mais serait due à des influences externes voire à une physique non standard. Et cette mesure constitue une preuve supplémentaire que nous vivons bien dans un Univers relativiste en expansion, pour ceux qui en douteraient encore…

Source

Detection of the cosmological time dilation of high-redshift quasars

Geraint F. Lewis & Brendon J. Brewer

Nature Astronomy (3 july 2023)

https://doi.org/10.1038/s41550-023-02029-2

 

Illustration

Distribution obtenue pour le facteur de puissance n (Lewis&Brewer)

 

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