lundi 3 juillet 2023

8 Ursae Minoris b, la planète qui ne devrait pas exister


8 Ursae Minoris b n'est pas une planète comme les autres. Elle a été découverte en orbite d'une étoile géante rouge qui est en train de brûler de l'hélium, à une distance de 0,5 UA. Or, cette étoile géante se trouve dans une phase de sa vie où l'on sait qu'elle a dû récemment gonfler jusqu'à un rayon de 0,7 UA. L'étoile aurait dû détruire le planète. Mais 8 Ursae Minoris b est toujours bien là, et avec une orbite très circulaire... Après avoir usé quelques craies et gratté quelques crânes, une équipe d'astrophysiciens pense avoir résolu l'énigme... Ils publient leurs travaux dans Nature.

Lorsque les étoiles de la séquence principale se transforment en géantes rouges, on s'attend à ce qu'elles engloutissent les planètes proches (ce que fera le Soleil dans quelques milliards d'années). Jusqu'à présent, l'absence de planètes ayant de courtes périodes orbitales autour des géantes rouges post-expansion brûlant de l'hélium  a été interprétée comme une preuve que des planètes proches d'étoiles semblables au Soleil ne survivent pas à la phase d'expansion géante. Mais la découverte de la planète géante 8 Ursae Minoris b, avec sa période orbitale de 93,4 ± 4,5 jours, change la donne. 
Comme la détection des changements de vitesse radiale des planètes proches entourant les géantes rouges est parfois ambiguë, Marc Hon (université de Hawaï) et ses collaborateurs ont donc commencé par confirmer la détection de 8 UMi b en collectant 135 mesures de vitesse radiale à l'aide du spectromètre HIRES du télescope Keck-I à Maunakea. Une orbite képlérienne ajustée aux données de vitesse radiale combinées leur a permis d'affiner les propriétés orbitales de la planète à une période de 93,31 ± 0,06 jours et une excentricité de 0,06 ± 0,03, démontrant par la même occasion la cohérence de phase des données de vitesse radiale sur 12,5 ans (soit 49 cycles orbitaux). 
Pour déterminer la masse de l'étoile, Hon et ses collaborateurs ont utilisé des techniques qui comparent les propriétés observées de l'étoile aux observables prédites à partir de modèles d'évolution stellaire. En utilisant des observables de spectroscopie et d'astérosismologie, ils ont ainsi estimé la masse de l'étoile à 1,51 ± 0,05 M, ce qui indique un demi-grand axe de 0,462 ± 0,006  AU et donc une masse planétaire minimale de 1,65 ± 0,06 MJ pour 8 UMi b. C'est sur la base de la masse et de la métallicité de l'étoile que les modèles stellaires prédisent que 8 UMi se serait étendue jusqu'à environ 0,7  UA . On sait que les naines brunes ou les étoiles de faible masse peuvent survivre à l'engloutissement d'une étoile hôte dans les scénarios à enveloppe commune, mais 8 UMi b est bien moins massive qu'une naine brune (avec une probabilité de 99,2 %). De plus, la planète une fois engloutie n'aurait eu besoin que de 100 à 10000 ans pour spiraler vers le centre de l'étoile, à comparer avec l'échelle de temps d'un million d'années requise pour l'expansion en géante rouge de l'étoile.
Face à cette étrangeté, les chercheurs ont pensé à une autre possibilité : celle que la planète aurait initialement orbité à une plus grande distance puis aurait été attirée vers l'intérieur par les interactions de marée de son étoile hôte en cours d'expansion. Cependant, Hon et ses collaborateurs précisent que les simulations de ce type de processus indiquent qu'un tel scénario nécessiterait une migration très finement réglée pour stopper la désintégration orbitale dans l'enveloppe stellaire et reproduire l'orbite à excentricité de la planète proche de zéro qui est observée. 
En guise d'alternative, les chercheurs ont également pensé à des interactions dynamiques qui auraient pu avoir dispersé la planète sur une orbite excentrique, qui aaurait ensuite subi une circularisation de marée. Mais dans ce scénario, la planète ne doit avoir atteint son orbite quasi circulaire actuelle qu'après que l'étoile hôte a atteint sa taille maximale et commencé à brûler de l'hélium. La circularisation de l'orbite de la planète par les effets de marées devrait donc se produire dans les 100 millions d'années que l'étoile hôte passe dans son stade de combustion d'hélium dans son coeur, ce qui est très peu probable étant donné que à sa distance actuelle, l'orbite de la planète nécessiterait au minimum plusieurs milliards d'années pour sa circularisation. Compte tenu de la courte durée de vie des géantes brûlant de l'hélium, l'orbite presque circulaire de 8 Ursae Minoris b (une excentricité proche de zéro : e  ≈ 0,06) est donc très difficile à concilier avec des scénarios dans lesquels la planète aurait survécu en ayant initialement une orbite éloignée. 
Hon et son équipe ont alors pensé à autre chose : et si la planète avait toujours été sur la même orbite, mais que ce serait l'étoile géante rouge qui n'aurait pas évolué comme on le pense ? Si 8 Ursae Minoris b avait été dans le passé une planète tournant autour non pas d'une seule étoile mais d'un couple d'étoiles ? Et plus exactement d'un couple naine blanche - géante qui aurait fusionné pour donner l'étoile visible aujourd'hui ?  Les astrophysiciens montrent que d'après les modèles d'évolution stellaire binaires, les fusions naines blanches-géantes rouges peuvent enflammer l'hélium du coeur, entraînant l'arrêt précoce de l'expansion d'une géante rouge. À l'aide d'une simulation, ils ont modélisé une histoire binaire pour 8 UMi et vérifié qu'une planète circumbinaire pouvait rester dynamiquement stable tout au long de l'évolution binaire de deux étoiles de faible masse qui orbitent initialement avec une période de 2 jours avant que l'une des deux gonfle (mais pas trop) et se transforme en naine blanche puis produira une paire naine blanche-géante rouge qui fusionnera à temps pour que l'enveloppe n'englobe pas la planète.
Dans ce scénario, on a au départ deux étoiles, une de 1,23 M et l'autre de 0,86 M qui vont évoluer pour devenir une naine blanche de 0,25 M et une géante rouge de 1,25 M, qui fusionneront pour devenir une seule étoile géante de 1,5 M. Et le scénario fonctionne ! 8 UMi peut avoir été un système binaire proche, dont la fusion a empêché ses composantes de se développer suffisamment pour engloutir sa planète circumbinaire. Mais la simulation dit aussi qu'à terme, 8 UMi devra évoluer en une étoile géante rouge typique, de sorte que la planète finira quand même par être engloutie, mais ce sera quand l'étoile aura épuisé son noyau d'hélium. Les chercheurs notent par ailleurs qu'un scénario d'évolution binaire pour 8 UMi est aussi étayé par des prédictions d'enrichissement en lithium de surface pour l'étoile finale brûlant de l'hélium dans les simulations. Or, des mesures spectroscopiques antérieures ont indiqué que 8 UMi était surabondante en lithium, un facteur 10 à 100 fois supérieur aux abondances de lithium des étoiles du même type observées.
Pour ne pas être en reste, Hon et ses collaborateurs évoquent une dernière possibilité pour expliquer l'existence de 8 UMi b : la planète aurait pu s'être formée comme un sous-produit de l'événement de fusion stellaire entre les deux étoiles. Des éjectas stellaires issus d'interactions binaires ont été déjà été proposés dans le passé pour former des disques protoplanétaires, et ainsi 8 UMi b pourrait aussi avoir émergé du disque de débris entourant le reste de la fusion stellaire... 

En tant que planète rapprochée autour d'une géante rouge brûlant de l'hélium, 8 UMi b démontre que la multiplicité stellaire, dont l'effet influence fortement le destin des systèmes planétaires, peut entraîner des voies par lesquelles les planètes peuvent survivre à l'évolution de leur étoile. Étant donné que les systèmes binaires se trouvent couramment dans la Galaxie, il peut donc exister un nombre sensiblement plus élevé d'exoplanètes en orbite autour d'étoiles post-séquence principale qu'on ne le supposait auparavant.

Source

A close-in giant planet escapes engulfment by its star
Marc Hon et al.
Nature volume 618 (28 june 2023)

Illustration

Schéma de l'évolution du système de 8 UMi (Marc Hon et al.)

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