samedi 22 juillet 2023

Observation d’une naine blanche à double face hydrogène/hélium


Une équipe d’astrophysiciens vient de trouver une naine blanche très étonnante : elle arbore deux faces distinctes, l’une d’hydrogène et l’autre d’hélium. Ils l’ont appelée Janus, et la découverte est publiée dans Nature.  

Cette naine blanche, nommée officiellement ZTF J2033+3229 a été découverte par Ilaria Caiazzo (Caltech) et ses collaborateurs lors d'une recherche de naines blanches périodiquement variables avec le Zwicky Transient Facility (ZTF). Des observations avec le photomètre imageur à grande vitesse CHIMERA (Caltech HIgh-speed Multi-color camERA) monté sur le télescope Hale du Mont Palomar et avec l'imageur à quintuple faisceau HiPERCAM sur le Gran Telescopio Canarias ont révélé une courbe de lumière sinusoïdale de grande amplitude avec une période de 14,97 minutes. C’est comme si une face était beaucoup plus brillante que l’autre.

Face à cette bizarrerie, les chercheurs ont ensuite obtenu des données de spectroscopie résolue en phase en utilisant le spectromètre imageur LRIS (Low-Resolution Imaging Spectrometer) monté sur le télescope Keck I. Et le résultat montre très clairement que le spectre de la naine blanche passe de raies de l’hydrogène à une phase d'environ 0 (la phase de luminosité maximale dans la courbe de lumière photométrique) à des raies de l’hélium à une phase d'environ 0,5 (luminosité minimale). Une face est formée d’une atmosphère dominée par l’hydrogène tandis que l’autre face est dominée par l’hélium…

Dans les naines blanches qui ont une masse similaire à celle du Soleil mais la dimension d’une planète comme la Terre, la forte gravité qui en résulte produit une forte ségrégation des éléments : les éléments lourds tombent vers le centre et la couche supérieure de l'atmosphère ne contient que l'élément le plus léger présent, généralement de l'hydrogène ou de l'hélium. Généralement aussi, la température de surface est un paramètre clé puisqu’en dessous d’une certaine valeur, de l’ordre de 30000 K on devrait voir principalement une atmosphère d’hélium et non d’hydrogène.

Selon Caiazzo et son équipe, les variations spectroscopiques et photométriques observées excluent la première hypothèse qui leur était venue à l’idée, selon laquelle Janus serait en fait un système binaire composé d'une naine blanche dont le spectre est dominé par l'hydrogène (une naine blanche de type DA) et d'une autre dont le spectre est dominé par l'hélium (type DB). En effet, pour expliquer la variabilité spectroscopique de Janus, la binaire devrait produire des éclipses et, pour avoir une période orbitale de 15 minutes, les vitesses radiales des deux étoiles seraient apparentes sous forme de décalages Doppler importants correspondant à des décalages de longueur d'onde de 15 Å à 30 Å, or de tels décalages spectraux ne sont pas détectés dans les spectres de Janus. En plus, la courbe de lumière est tout à fait sinusoïdale et ne présente pas de trace d’éclipses. Les chercheurs ont donc conclu qu’il s’agissait bien d’une seule étoile isolée qui tourne sur elle-même avec une période de 14,97 min et que les changements spectraux et photométriques sont causés par une variation de composition à la surface. Les astrophysiciens notent en revanche que des périodes de rotation aussi courtes sont rares pour des naines blanches isolées (les périodes de rotation typiques vont de quelques heures à quelques jours), et elles sont généralement associées à une origine de fusion parce qu'elles sont souvent observées dans des naines blanches fortement magnétisées.

Ensuite, pour tenter de contraindre la température de ZTF J2033+3229 alias Janus, Caiazzo et ses collaborateurs ont acquis des mesures photométriques dans le proche ultraviolet en utilisant l'instrument UVOT (Ultraviolet/Optical Telescope) du télescope spatial Swift. Ils observent que la variation d'amplitude crête à crête dans l'UV est plus de deux fois supérieure à celle de l'optique : 46 ± 8%.  Les chercheurs ont comparé la distribution spectrale d'énergie observée au maximum et au minimum de luminosité en utilisant les données HiPERCAM et Swift avec des modèles synthétiques d'atmosphère. Pour la phase 0, ils ont utilisé des modèles d'atmosphère à hydrogène pur, alors que pour la phase 0,5, ils ont essayé plusieurs modèles avec un rapport de masse hydrogène/hélium variable, mais ils ont constaté que la composition n'affectait pas l'ajustement de la distribution spectrale d'énergie. Ils trouvent finalement une valeur de température d’environ 35000 K pour les deux faces. En comparant le rayon et la température obtenus avec les modèles de refroidissement des naines blanches, les chercheurs déduisent la masse de la naine blanche. Selon la composition du noyau, ils obtiennent une masse comprise entre 1,2 M et 1,27 M, donc une naine blanche plutôt massive.

Bizarrement, les raies d’absorption qui sont visibles dans le spectre paraissent affaiblies comme si la température était de l’ordre de 50000 K, mais une telle température est incompatible avec la distribution spectrale d’énergie globale qui est observée, et à 50000 K, on verrait une raie d’absorption très particulière de l’hélium sur la face « hélium », une raie qui n’est pas observée à la phase 0,5. La température doit donc bien être de l’ordre de 35000 K et les raies d’absorption seraient donc affaiblies par un autre mécanisme, selon les chercheurs.

Caiazzo et ses collaborateurs ont fini par trouver une explication commune à la fois pour la double face hydrogène/hélium étonnante de Janus et pour les anomalies des raies d’absorption.  Selon eux, ce serait dû à la présence d'un champ magnétique à la surface de la naine blanche. Il se trouve que le désaccord entre les températures dérivées de la photométrie et de la spectroscopie est très courant dans les naines blanches magnétiques, même s’il reste à démontrer pour une température de 35000 K. Les astrophysiciens montrent que si un petit champ magnétique est présent à la surface de la naine blanche, il serait suffisant pour inhiber le mélange convectif sur une partie de la surface de la naine blanche. Dans ce cas, la face brillante riche en hydrogène de la naine blanche correspondrait à la région où le champ est suffisamment fort pour empêcher la convection, de sorte que la couche d'hydrogène est préservée. La face dominée par l'hélium, en revanche, correspondrait à la région où le champ magnétique est plus faible et où la convection est suffisamment forte pour corroder la fine couche d'hydrogène. Une estimation simple du champ magnétique minimum nécessaire pour inhiber la convection est obtenue en imposant une pression de champ magnétique égale à la pression du gaz à une profondeur optique d'environ 1 et les chercheurs calculent ainsi qu'un champ de quelques dizaines de kilogauss serait suffisant pour arrêter la convection. Comme les raies d'absorption ne présentent pas de dédoublement Zeeman ni de décalage de longueur d'onde, on sait que le champ magnétique sur l'une ou l'autre des faces ne peut pas être supérieur à quelques mégagauss.

Caiazzo et ses collaborateurs proposent également une solution alternative mais toujours fondée sur la présence d’un champ magnétique : comme le début de la convection due à l'hélium neutre est extrêmement sensible à la température effective, si le champ magnétique induisait une petite différence de température entre les deux faces, cela suffirait à expliquer la différence de composition observée : du côté chaud, la région de mélange ne serait  pas encore étendue à la couche d'hydrogène et nous verrions encore de l'hydrogène, alors que du côté plus froid, le mélange aurait déjà dilué l'hydrogène et nous ne verrions plus que de l'hélium…

Selon les chercheurs, lorsque Janus se refroidira à des températures plus basses, la convection beaucoup plus forte réussira à surmonter le champ magnétique et à détruire la couche d'hydrogène, transformant la naine blanche en une naine blanche à hélium normale (de type DB). Des variations spectrales, moins extrêmes que dans le cas de Janus, avaient déjà été observées dans une autre naine blanche, GD 323 dont le spectre présente des caractéristiques d'absorption de l'hydrogène et de l'hélium qui semblent également faibles par rapport à sa température. Et GD 323 présente également des variations quasi-périodiques dans ses raies d'absorption, avec une intensité des raies de l'hydrogène et de l'hélium qui est anticorrélée. Janus pourrait donc ne pas être un cas isolé, mais plutôt le membre le plus frappant d'une classe de naines blanches à double face. Si l'on en trouve d'autres avec des températures similaires, cela indiquera clairement que leur comportement est lié à l'augmentation des instabilités convectives dans la couche d'hélium, et donc que les naines blanches à double face pourraient constituer un sous-échantillon de naines blanches magnétiques se situant entre les types DA et DB.

La découverte et l'étude d'une classe d'objets en transition de ce type grâce aux futurs relevés photométriques et spectroscopiques dans tout le ciel permettra de mettre en lumière les mécanismes physiques encore mal compris qui sous-tendent l'évolution spectrale des naines blanches.

 

Source

A rotating white dwarf shows different compositions on its opposite faces

Ilaria Caiazzo, et al.

Nature (19 july 2023)

https://doi.org/10.1038/s41586-023-06171-9


 

Illustrations


1. Vue d'artiste de la naine blanche Janus.

2. Courbe de luminosité dans 5 bandes de couleurs (Caiazzo, et al.)

3. Ilaria Caiazzo


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