dimanche 9 juillet 2023

Les anomalies du fond diffus cosmologique expliquées par un effet d'avant plan galactique

C'est une découverte potentiellement très importante qui vient d'être publiée dans Astronomy&Astrophysics. Au bon moment pour nous, juste avant de prendre une pause de quelques semaines... Des chercheurs norvégien et argentins ont découvert l'existence d'un effet jusqu'alors inconnu autour de grandes galaxies proches sur les photons du fond diffus cosmologique (le CMB). Cet effet d'avant plan produit un refroidissement local du CMB, et expliquerait de nombreuses anomalies qui sont observées aujourd'hui dans le CMB, dont le fameux "cold spot", et cela pourrait avoir aussi un effet sur les paramètres du modèle cosmologique qui sont déduits des fluctuations du CMB...

Tout est parti d'une étude parue en février dernier de Héliana Luparello et collaborateurs qui ont découvert de manière fortuite que les photons du CMB semblaient interagir dans les halos étendus des galaxies. Une interaction jusqu'alors inconnue produit l'équivalent d'un refroidissement du fond diffus cosmologique à travers ces halos galactiques. 
Puisque cet avant-plan extragalactique s'étend sur de grandes échelles angulaires, Frode Hansen (université de Oslo) et ses collaborateurs argentins ont cherché à savoir s'il pouvait ou non fournir une explication aux anomalies statistiques qui sont vues aujourd'hui dans le CMB. Bien qu'elles soient à un niveau de signification faible (2 à 3σ ), le nombre élevé de telles valeurs statistiquement aberrantes dans les données à la fois de WMAP et de Planck, les derniers télescopes qui ont cartographié le CMB en détail, justifie une enquête plus approfondie.
Hansen et ses collaborateurs montrent que l'interaction inconnue avec les photons du CMB autour des grandes galaxies peut s'étendre dans une sphère allant jusqu'à plusieurs mégaparsecs projetés autour de ces galaxies. Les astrophysiciens ont donc étudié dans quelle mesure ce nouvel effet de premier plan peut avoir un impact sur la carte de fluctuation du CMB. En utilisant les décréments de température observés autour des galaxies par Luparello et al. et en faisant quelques hypothèses générales sur l'interaction a priori inconnue, Hansen et ses collaborateurs proposent un profil de température radial commun pour toutes les galaxies. En attribuant ensuite ce profil aux galaxies proches dans la plage de décalage vers le rouge z comprise entre 0,004 et 0,02, ils ont alors crée un modèle de carte de premier plan, une sorte de cartographie de la distorsion du CMB qui serait due à cet effet de refroidissement des galaxies.
Lorsqu'ils comparent ensuite cette cartographie de la distorsion du CMB qui serait due à l'effet inconnu des galaxies avec la carte du CMB qui a été mesurée par le télescope Planck, Hansen et ses collaborateurs trouvent une ressemblance remarquable entre la carte de distorsion, basée sur les galaxies proches, et la carte de Planck. Par rapport à 1000 cartes simulées, les chercheurs constatent qu'aucune d'entre elles ne montre une corrélation aussi forte que la carte de distorsions de premier plan qu'ils ont produite, avec des effets à la fois sur les grandes et les petites échelles angulaires. 

En particulier, les modes quadripolaire (ℓ=2), octopolaire (ℓ=3) ainsi que les modes ℓ=4 et ℓ=5 de la carte de Planck sont étonnamment  corrélés avec la carte de distorsion construite par Hansen et ses collaborateurs, avec une signification élevée. De plus, l'un des décréments de température les plus importants sur la carte de distorsion coïncide avec la position du "cold spot" du CMB. On le rappelle, la cartographie de distorsion de Hansen et son équipe n'est fondée que sur la distribution de galaxies proches en considérant l'existence d'un effet de leur halo sur les photons du CMB. La concordance avec les différents modes du CMB est tout à fait frappante. 
Compte tenu de ces corrélations et du fait que beaucoup plus de galaxies proches sont observées dans l'hémisphère d'asymétrie de puissance maximale dans le CMB que dans l'hémisphère opposé, selon Hansen et ses collaborateurs, il semble probable que la composante de premier plan inconnue puisse également être la principale cause de l'anomalie d'asymétrie de puissance ainsi que l'asymétrie dipolaire des paramètres qui sont vus dans les données de Planck. En outre, l'une des zones froides les plus dominantes de la carte de premier plan se trouve à la position du point froid anormal du CMB (le fameux "cold spot"). Pour Hansen et son équipe, les avant-plans locaux peuvent s'ajouter à l'effet Sachs-Wolf intégré du supervide Eridanus dans la même région pour produire cette zone compacte à basse température. Compte tenu de la particularité du "cold spot", les chercheurs projettent de l'explorer plus en détail dans une prochaine publication. 
Enfin, le grand nombre de points froids supplémentaires qui sont introduits par l'effet des galaxies proches est une explication possible de la raison pour laquelle la caractéristique d'Euler et les anomalies topologiques montrent un nombre excessif de points froids par rapport aux points chauds dans les données de Planck et les données de WMAP. Ainsi, en plus des anomalies à grande échelle, le type de premier plan exploré ici pourrait également expliquer la présence de cet excès de régions froides compactes, sans nécessiter d'hypothèses supplémentaires sur le CMB. Tester la topologie de la carte du CMB dans les zones où plus de distorsions d'avant-plans sont attendues (là où il y a un peu plus de galaxies) et la comparer à des parties du ciel avec moins de contamination attendue des galaxies proches pourrait constituer un test important du modèle de Hansen et al. basé sur les observations de Luparello et al. Et il faudra certainement le faire.

Pour résumer, à partir d'une modélisation simple d'un effet d'avant-plan d'origine encore inconnue, associé à des galaxies proches, Hansen et ses collaborateurs ont donc trouvé que les plus grandes échelles du CMB semblent fortement contaminées. Cela pourrait poser un problème important pour l'interprétation du spectre de puissance du CMB, car les multipôles les plus faibles deviendront encore plus petits après correction de la composante de premier plan qui est présentée ici. Il est difficile de voir comment un spectre de puissance très faible aux grandes échelles pourrait être cohérent avec le modèle standard ΛCDM actuel. Et Hansen et al. ont également montré que les corrélations s'étendent à des échelles plus petites et peuvent aussi modifier considérablement le spectre de puissance à ces petites échelles.
Dans leur conclusion, Frode Hansen et ses collaborateurs reconnaissent le fait que dans de nombreux cas, il n'y a pas une coïncidence exacte entre les positions des galaxies et les fluctuations du CMB. Ils expliquent que c'est dans une certaine mesure attendu car les fluctuations chaudes du CMB effacent dans certains cas les empreintes froides des distorsions de premiers plans.

Avant de crier à la révolution cosmologique, il va falloir essayer de comprendre les mécanismes physiques qui seraient associés à l'effet de refroidissement des photons du CMB dans les halos de galaxies qui est à la base du modèle de Hansen et al. . Cela sera nécessaire pour corriger les cartes du CMB de Planck et aborder ensuite leur impact sur les paramètres du modèle cosmologique. Etant donné notre ignorance des propriétés de ce nouvel effet de premier plan, les modifications possibles des paramètres du modèle cosmologique sont actuellement spéculatives. Et le nombre limité de galaxies proches et la présence de grandes fluctuations intrinsèques du CMB rendent sa modélisation difficile. On ne sait pas pour le moment ce qui serait à l'origine d'un tel effet, mais on voit que si il est confirmé, son impact pourrait être énorme pour la cosmologie, et c'est d'autant plus passionnant! Bel été à toutes et à tous ! 


Source

A possible common explanation for several cosmic microwave background (CMB) anomalies: A strong impact of nearby galaxies on observed large-scale CMB fluctuations
Frode K. Hansen
Astronomy&Astrophysics  Volume 675 (7 July 2023)


Illustrations

1. Comparaison de la cartographie du CMB de Planck et du modèle de distorsion construit par Hansen et al. 
2. Comparaison des modes l=2,3,4 et 5 du CMB de Planck et de la distorsion d'avant-plan de Hansen et al. 

1 commentaire :

Pascal a dit…

Bonjour Eric,

Voici coup sur coup deux avancées potentiellement majeures en cosmologie : la découverte du fond diffus d'ondes gravitationnelles basses fréquences (GWB), qui va peut-être devenir à terme aussi informatif que le CMB, et la correction de ce même CMB par la prise en compte de l'effet d'avant plan dont parle cet article. Concernant ce dernier, les auteurs n'avancent aucune hypothèse sur son mystérieux mécanisme : s'agit-il d'une interaction avec la matière baryonique du halo, ou bien, encore plus excitant, faisant intervenir la matière noire ??

Bonnes vacances !