Un indice troublant vient d'être trouvé concernant l'origine des FRB, ces sursauts rapides d'ondes radio dont l'origine est encore mal comprise. Dans un article paru dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, des astrophysiciens japonais ont étudié les motifs des sursauts des trois FRB répétitifs les plus productifs, et ils trouvent une forte analogie avec les tremblements de Terre... Ils font naturellement le lien avec des tremblements de la croûte d'étoiles à neutrons...
Cela fait maintenant seize ans que le premier FRB (Fast Radio Burst) a été détecté dans les données d'archives du radiotélescope australien de Parkes. On sait aujourd'hui que des milliers de ces FRB se produisent chaque jour même si on ne les détecte pas tous. Un FRB typique libère plus d'énergie en quelques millisecondes que le Soleil ne le fait en plusieurs jours. De toute évidence, seul quelque chose d’immensément puissant peut être à l’origine de ces événements. La plupart des FRB semblent ponctuels et uniques, mais quelques dizaines de sources répétitives ont été identifiées, et certaines sont très répétitives. Il n'existe pas beaucoup d'objets dans l'univers assez puissants pour libérer ne serait-ce qu'un seul FRB, et encore moins plusieurs, et les étoiles à neutrons sont un candidat évident, en particulier la sous-catégorie hautement magnétisée connue sous le nom de magnétars.
Cependant, on n'explique toujours pas clairement comment les magnétars pourraient produire des FRB. Plusieurs modèle ont été proposés, il a d'abord été considéré que la surface d'un magnétar pourrait subir un tremblement d'étoile, une libération d'énergie similaire aux tremblements de terre sur Terre, mais il n’y avait pas beaucoup de preuves de cette idée. Et puis plusieurs idées ont évoqué les interactions complexes de la magnétosphère des magnétars avec la surface ou même en interaction avec un astre lié gravitationnellement.
Pour creuser cette question de l'origine des FRB, Tomonori Totani et Yuya Tsuzuki (université de Tokyo) ont eu l'idée d'étudier les sursauts radio des FRB répétitifs qui ont produit le plus de sursauts depuis qu'on les détecte. Il s'agit de FRB 20121102A, 20201124A et 20220912A. Les chercheurs japonais ont exploité près de 7 000 sursauts rapportés dans la littérature pour les trois sources (3153 sursauts pour le premier, 2537 sursauts pour le deuxième et 1076 pour le troisième), et en font une analyse de fonction de corrélation dans l'espace 2D du temps et de l'énergie pour chaque sursaut. Auparavant, les études de corrélation temporelle des FRB ont été principalement réalisées à l'aide de distributions de temps d'attente entre deux sursauts consécutifs. Mais les chercheurs japonais regardent cette fois un paramètre Δt, qui est l'intervalle de temps entre deux sursauts quels qu'ils soient pour une même source, pas nécessairement des sursaut consécutifs.
Totani et Tsuzuki trouvent ainsi des caractéristiques qui apparaissent universelles dans les trois sources. Un signal clair en loi de puissance de la fonction de corrélation est observé. La fonction de corrélation indique que chaque sursaut possède environ 10 à 60 % de chances de produire une réplique, qui à un rythme décroissant selon une loi de puissance proportionnelle à (Δt + τ)−p avec p = 1,5 à 2,5 et τ est la durée typique d'un événement. Ce comportement est tout à fait similaire à celui de la loi d'Omori-Utsu qui a été développée pour modéliser les secousses et répliques des tremblements de terre. Les chercheurs montrent que le taux de réplique corrélé est stable quels que soient les changements d’activité de la source, et aussi il qu'il n’y a aucune corrélation entre l’énergie émise et le paramètre Δt, exactement comme dans le cas des tremblements de terre.
Totani et Tsuzuki démontrent en fait que toutes ces propriétés observés sur les trois FRB sont quantitativement communes aux tremblements de terre. Et pour tester, ils comparent également ces résultats avec un autre phénomène qui avait un temps été suggéré pour expliquer les FRB : des éruptions stellaires magnétiques géantes. Les chercheurs montrent clairement que les données des sursauts de FRB sont tout à fait du même type que celles des tremblements de terre et pas du tout semblables aux éruptions stellaires. Ces résultats suggèrent selon eux que les FRB répétitifs (ou au moins une partie d'entre eux) sont un phénomène dans lequel l'énergie stockée dans la croûte rigide d'étoiles à neutrons enveloppant leur intérieur ultra dense est libérée par une activité sismique. Ils pensent que les mouvements de la croûte, tels que des morceaux s'effleurant les uns les autres, pourraient libérer l'énergie que nous pouvons détecter sous forme de FRB, et que ces mouvements de la croûte pourraient être entraînés par les forces gravitationnelles créées par les approches rapprochées d'une étoile compagne.
Deux FRB répétitfs, dont 20121102A, sont connus pour modifier périodiquement leur activité par cycles de 16 ou 160 jours. S'il s'agit d'étoiles à neutrons dans un système binaire, l'activité peut être augmentée lorsque la croûte est déformée par les forces de marée de l'étoile compagne lorsqu'elle arrive au péricentre. Plusieurs modèles avec une origine binaire ont été proposés entre 2020 et 2022 pour expliquer les activités périodiques des FRB (Ioka & Zhang 2020 ; Lyutikov, Barkov & Giannios 2020 ; Barkov & Popov 2022 ), mais la plupart ont supposé que la périodicité était due à l'absorption du rayonnement radio (par exemple par les vents stellaires de l'étoile compagne), plutôt que par un changement intrinsèque de l'activité de production de sursaut radio. Totani et Tsuzuki relèvent aussi le cas du FRB répétitif qui a été trouvé en 2022 dans un amas globulaire de la galaxie voisine M81 (Kirsten et al. 2022 ), ils précisent que l'activité de ce FRB (donc l'activité sismique de la croûte de l'étoile à neutrons) pourrait être stimulée par des rencontres rapprochées avec d'autres étoiles de l'amas, un lieu effectivement propice pour cela...
Ce qui est intéressant, c'est que dans le cas des tremblements de terre, on pense que les différences dans le facteur de puissance p de la loi d'Omori-Utsu reflètent les propriétés physiques de la croûte et les processus sismiques associés. De ce fait, des valeurs de p relativement élevées pour les FRB peuvent fournir des informations sur les propriétés physiques des croûtes d'étoiles à neutrons et sur le mécanisme de production d'énergie par leurs processus sismiques. Pour les chercheurs japonais, une étude statistique des sursauts de FRB répétitfs comme ils l'ont faite pourrait donc être une nouvelle possibilité offerte aux astrophysiciens de sonder la physique de la matière nucléaire des étoiles à neutrons.
Source
Fast radio bursts trigger aftershocks resembling earthquakes, but not solar flares
Tomonori Totani et Yuya Tsuzuki
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 526 (11 october 2023)
Illustrations
1. Vue d'artiste d'un magnétar et ses lignes de champ magnétique, produisant une éruption de rayonnement (Sophia Dagnello, NRAO/AUI/NSF)
2. Analyse de corrélations temps-énergie des sursauts radio de FRB 20121102A
3. Analyse de corrélations temps-énergie des secousses et répliques de tremblements de terre à Narita (Japon)
4. Tomonori Totani
3 commentaires :
A t-on une idée de la phase de la croûte de ces astres? Sans structure atomique, je suppose qu'on ne peut plus parler de cristalline ou d'amorphe. Ce doit être une forme gazeuse/plasma suffisamment dense pour posséder une dureté quelconque (et énorme)... Ce qui m'étonne, c'est qu'à ce niveau de dégénérescence on puisse avoir une forme "fluide" contenue dans une forme "solide". En métallurgie, une croûte se forme à cause de la différence de température marquée en surface qui entraîne un ou des changements de phase. Ici ça ne me semble pas vraiment applicable...
D'autre part, si on retourne l'analogie évoquée dans l'article, peut considérer le grondement d'un tremblement de terre comme étant un radio burst émis par la Terre? Dans ce cas, quelle est la différence d'ordre de grandeur? Merci!
la croûte, c'est de la matière nucléaire constituée de noyaux très riches en neutrons avec encore quelques protons, et en dessous, il ne subsiste plus que des neutrons qui peuvent constituer un milieu superfluide étant donné leurs propriétés quantiques.
L'analogie avec les tremblement terrestres ne va pas jusqu'à l'émission de sursauts radio. C'est le cas dans les étoiles à neutrons du fait des champs magnétiques gigantesques qui sont mis en jeu et qui produisent des mouvements de particules à même de produire ces ondes radio. Si émission d'ondes radio il y a lors d'un tremblement de Terre, la différence d'ordre de grandeur serait probablement en rapport des intensités de champs magnétiques : 10^15 Gauss pour un magnétar, contre 0,5 Gauss pour la Terre. 15 ordres de grandeur de différence ! (ou 1 million de milliards...)
Merci!
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