vendredi 30 novembre 2012

Comment MESSENGER a Trouvé de l'Eau sur Mercure

Est-ce une grande nouvelle ? De la glace d'eau sur Mercure, la planète la plus brûlante du système solaire, rendez-vous compte! Il n'y a en fait rien d'étonnant à trouver de la glace sur une planète si chaude. 

En effet, Mercure, bien que très proche du Soleil, possède la caractéristique d'avoir son axe de rotation presque parfaitement orthogonal à son plan de révolution autour du soleil. Un cratère un peu profond situé au niveau de l'un des pôles voit donc son fond rester perpétuellement dans l'ombre. 
MESSENGER et Mercure (vue d'artiste)
Qui plus est, Mercure, à cause de sa taille et sa position près du Soleil, ne possède aucune atmosphère, ce qui fait qu'il n'y a aucune convection possible : la chaleur produite sur la surface éclairée ne peut se propager que par conduction dans la croûte, et elle ne dégage pas de chaleur interne.

La possibilité de l'existence de glace d'eau aux poles de Mercure pour ces raisons avait été inférée depuis longtemps, et c'est en 1992 déjà que des mesures radars par le radiotélescope d'Arecibo, avaient montré des signes de dépôts de glace au pôle Nord de Mercure.


La sonde MESSENGER (MErcury Surface, Space Environment Geochemistry and Ranging) actuellement en orbite autour de Mercure vient juste de confirmer les données antérieures avec une méthode différente, ce qui permet d'affirmer maintenant qu'il s'agit bien de composés fortement hydrogénés qui se trouvent au pôle nord mercurien.

Quelle technique a utilisé MESSENGER (et surtout les scientifiques qui sont derrière ce projet) pour détecter des petites quantités d'eau en survolant Mercure à plusieurs milliers de kilomètres ? C'est ce que vais tenter de vous expliquer. 
Pôle Nord de Mercure, en jaune : présence de glace d'eau (NASA)

MESSENGER est équipé d'un instrument de mesure nucléaire qu'on appelle un Spectromètre Neutronique. Ce spectromètre compte le nombre de neutrons qui arrivent au niveau de la sonde en provenance de la planète, en les classant en fonction de leur énergie. Les neutrons sont classés en familles en fonction de leur énergie cinétique, on parle de neutrons froids (E< 0,005 eV), de neutrons thermiques (0,005< E < 0,5 eV), de neutrons épithermiques (0,5 eV < E < 10 keV), de neutrons intermédiaires (10 keV < E < 1 MeV) et de neutrons rapides (E > 1 MeV).

Le spectromètre neutronique embarqué sur MESSENGER est à la pointe technologique de ce qui se fait dans le domaine, il permet de mesurer à la fois trois plages d'énergies de neutrons : thermiques, épithermiques et rapides. Il est constitué d'une sorte de sandwich de trois scintillateurs : deux verres dopés au Lithium, qui permettent de détecter et séparer les neutrons thermiques et épithermiques, et un scintillateur plastique dopé au Bore entouré d'une coque de gadolinium, qui permet de mesurer les neutrons épithermiques (de manière redondante et indépendante des deux premiers scintillateurs) ainsi que les neutrons rapides après avoir été ralentis dans la matrice plastique.

Des neutrons proviennent naturellement de la surface de Mercure. Ils sont produits notamment par des réactions du rayonnement cosmique (essentiellement venant du soleil proche) dans la croûte de Mercure, jusqu'à une petite profondeur.
Ces neutrons cosmogéniques peuvent avoir une énergie assez élevée, ce sont  principalement des neutrons rapides et ils arrivent sur MESSENGER environ à un taux de 10 par seconde. 

Production de neutrons sur Mercure par les rayons cosmiques (I.G. Mitrofanov et al.)
Et ce qui fait ralentir les neutrons, en leur faisant perdre de l'énergie cinétique, ce sont des collisions avec les noyaux d'atome qu'ils rencontrent sur leur passage. Et vous devinez quoi ? L'atome qui a le plus grand pouvoir de diffusion (de ralentissement) sur les neutrons, c'est l'hydrogène !

Mesurer le nombre de neutrons qui ont été ralentis permet ainsi d'évaluer la quantité d'hydrogène présente. C'est aussi simple que ça. Le spectromètre neutronique de MESSENGER enregistre ainsi le nombre de neutrons dans chaque gamme d'énergie en fonction des zones qu'il survole, et à partir des données spectrales (le nombre de coups détectés dans les scintillateurs en fonction de l'énergie), on peut fabriquer une cartographie de l'hydrogène sur la surface de Mercure.

Le lien entre hydrogène et eau est relativement aisé à faire ensuite, la molécule d'eau, (comportant deux atomes d'hydrogène) étant la forme chimique hydrogénée la plus probable sur ce type de planète.
Le spectromètre neutronique de MESSENGER (NASA)
Les mesures peuvent même fournir des informations très détaillées sur les épaisseurs de matière hydrogénée détectées.
Par exemple, les données analysées par l'équipe qui publie ce résultat dans Science aujourd’hui indiquent que la couche riche en hydrogène (qui serait de la glace d’eau pure) ferait plusieurs dizaines de centimètres, et serait située en dessous d'une autre couche de 10 à 20 centimètres qui, elle, ne contiendrait pas plus de 25% d'hydrogène.

Ensuite, par extrapolation, les planétologues calculent une masse totale de glace d'eau présente sur Mercure et arrivent à une valeur comprise entre 20 milliards et 1000 milliards de tonnes, ce qui est selon eux tout à fait cohérent avec ce qu'on attendrait par l'apport de comètes et d'astéroides venus s'écraser sur Mercure.

1000 milliards de tonnes (ou de mètres cubes, c'est équivalent) ne représente qu'un gros iceberg cubique de 10 km, pas grand chose à l'échelle d'une planète, même la plus petite de notre système solaire...

Référence :
Evidence for Water Ice Near Mercury's North Pole from MESSENGER Neutron Spectrometer Measurements
David J. Lawrence et al.
Science (November 29 2012)

jeudi 29 novembre 2012

NGC1277 : 17 Milliards de Masses Solaires pour un Trou Noir

On le sait, la plupart des galaxies massives possèdent un trou noir supermassif en leur centre, et la masse de ce trou noir est censée être correlée avec les propriétés du bulbe de la galaxie-hôte.
Les différentes observations ont montré une masse moyenne du trou noir de l'ordre de 0,1% de la masse du bulbe stellaire de la galaxie.
Jusqu'à aujourd'hui, la galaxie possèdant le trou noir le plus massif par rapport à son bulbe était une petite galaxie nommée NGC4486B. Ce record vient d'être complètement pulvérisé par la découverte d'un trou noir
fantastique représentant pas moins de 59% de la masse du bulbe galactique. Ce trou noir pèse 17 milliards de masses solaires !

L'équipe germano-américaine qui vient de publier sa découverte dans Nature cette semaine a étudié la cinématique stellaire de galaxies compactes et notamment NGC 1277, une galaxie lenticulaire compacte située à 238 millions d'années-lumières, qui a une masse de 120 milliards de masses solaires.
Ils sont parvenu à calculer la masse de son trou noir supermassif (allez, disons hypermassif), et elle vaut 17 (dix-sept) milliards de masses solaires...
NGC 1277, vue par le Hubble Space Telescope (HST)
Pour déduire la masse centrale d'une galaxie, les astronomes ont observé les dispersions de vitesses des étoiles vers le centre de la galaxie. Ils ont utilisé pour cela l'instrument de spectrographie Marcario Low Resolution Spectrograph qui est installé sur le Hobby-Eberly Telescope au Texas.

De grandes dispersions de vitesses d'étoiles dans de si petites galaxies est un signe sans conteste de forte concentration de masse au centre : 6 galaxies compactes étudiées ont ainsi montré un centre très dense : plus de 10 milliards de masses solaires dans un rayon de 650 années-lumières, soit 100 fois plus que ce que l'on connait pour des galaxies de la même taille.
Et parmi les six galaxies étudiées, l'une d'entre elles avait été observée dans le passé par le télescope Hubble, ce qui a permis d'obtenir des données supplémentaires sur cette NGC 1277, dont le nom va devenir celèbre pendant un moment...

A partir des images du HST et des mesures de dispersion de vitesse, l'équipe menée par Remco van den Bosch du Max-Planck Institut für Astronomie à Heidelberg a patiemment simulé et modélisé 600 000 modèles d'orbites pour tester les combinaisons de différents paramètres : le ratio masse stellaire/lumière, la masse du trou noir, la masse et la concentration du halo sombre.

C'est ensuite en trouvant le meilleur ajustement de tous ces paramètres qu'ils obtiennent la masse démente de 17+-3 milliards de masses solaires pour le trou noir central.
Non seulement le trou noir représente 59% de la masse du bulbe, mais il fait aussi près de 14% de la masse stellaire totale de toute la galaxie. Inutile de préciser que c'est considérable et que c'est du jamais-vu jusqu'à présent.

Alors qu'il avait été établi précédemment une relation à peu près linéaire (en échelle logarithmique) entre la  luminosité du bulbe galactique et la masse du trou noir, le cas de NGC1277 apparait totalement en dehors de la droite sur le graphe... Les auteurs en concluent que l'indicateur de la luminosité du bulbe galactique n'est sans doute pas un bon indicateur de la masse du Trou noir central. C'est seulement en étudiant en détail les cinq autres galaxies à forte dispersions de vitesses, dont on sait qu'elles abritent elles aussi des monstres, que le modèle prédictif pourra être amélioré.

Une chose intéressante à noter est que cette petite galaxie NGC 1277 contient uniquement de vielles étoiles de plus de 8 milliards d'années et  qu'elle n'a pas connu de formation stellaire récente. Ce qui signifie que le trou noir hypermassif doit exister au moins depuis ces 8 milliards d'années. En effet,l'accretion d'un trou noir sans beaucoup de formation d'étoiles a une très faible probabilité. De plus, NGC 1277 ne montre aucun signe de phénomène violent de fusion et "montre" un halo de matière sombre régulier à partir de la cinématique des étoiles observée.

NGC 1277 et les cinq autres galaxies compactes qui ont été étudiées sont relativement proches de nous, et bien qu'elles soient très inhabituelles à cette époque/distance, il apparait qu'elles sont en fait très similaires à de nombreuses galaxies que l'on peut rencontrer à des époques plus lointaines (aux alentours de z=2), ce qui laisse évidemment imaginer de nombreux scénarios intéressants...

Source :

An over-massive black hole in the compact lenticular galaxy NGC 1277
Remco C. E. van den Bosch,
Nature 491, 729–731 (29 November 2012)

lundi 26 novembre 2012

Demain matin à l'aube : Saturne embrasse Vénus

Pour les chanceux qui n'auront pas de gros nuages tout gris vers l'horizon Est - Sud-Est, demain matin vers 6h30 locales, vous pourrez admirer une belle conjonction entre Saturne et Vénus, et Mercure en spectateur attendri par cette étreinte chaleureuse...

Hélas pour moi, demain c'est nuages/pluie. On se réconforte avec Stellarium...



vendredi 23 novembre 2012

Makémaké, l'autre Planète Naine

Makémaké, cette planète naine de notre système solaire, assez peu connue depuis sa découverte en 2005, vient de se découvrir un peu plus grâce à une opportunité observationnelle assez rare sur laquelle se sont rués une grande équipe d’astronomes à l’aide de nombreux télescopes : une occultation d’étoile.
Makémaké, qui doit son nom à une divinité du peuple de lîle de Pâques (et qui fut découverte le jour de Pâques 2005, il n’y a pas de hasard), est la troisième plus grosse planète naine du système solaire, derrière Pluton et Eris (dont la découverte fut annoncée le même jour).

Makémaké vue par Hubble
Alors que Pluton et Eris sont très similaires en termes de taille, de densité et de composition de surface, Pluton possède une petite atmosphère alors que Eris en est dépourvue, probablement à cause de leur différence de distance au Soleil. Makémaké se situe quant à elle entre Pluton et Eris, avec une composition, connue par spectroscopie, assez semblable à ses compagnes glaciales, mais dont on ignorait jusqu’à présent totalement sa densité et si elle possédait une atmosphère.
C’est pour répondre à ces questions que de nombreux astronomes de partout dans le monde se sont associés en profitant d’un phénomène, courant avec les grosses planètes, mais rare pour des planètes naines très éloignées : l’occultation d’une étoile.

Cette occultation d’une très faible étoile (nommée NOMAD 1181-0235723, montrant une magnitude de 18.22) a eu lieu le 23 avril 2011. Le suivi de ce qu’on appelle la courbe de luminosité de cette étoile se faisant masquer par Makémaké durant un temps très court, a permis aux astronomes d’enregistrer un grand nombre d’informations, comme par exemple la présence ou non d’atmosphère, sa composition, et surtout la taille de la planète naine. Connaissant la taille et une estimation de la masse via la quantité d’atmosphère présente, ils peuvent ainsi évaluer sa densité.
Courbe de luminosité de l'occultation par Makémaké (Nature)

L’occultation avait été calculée dès 2010, ce qui laissait un peu de temps aux astronomes pour se préparer. Pas moins de 16 télescopes partout dans le monde ont alors été réquisitionnés et le jour J, seulement 7 télescopes répartis sur cinq sites ont pu être exploités pour suivre l’occultation tant attendue. Mais le résultat est à la hauteur des attentes.
Les différentes courbes de luminosités obtenues avec les 7 télescopes permettent de décrire un objet ellipsoïde avec un petit-axe de 1430 ± 9 km et un grand axe de 1502 ± 45 km. L’albédo mesuré (le pouvoir de réflexion de la lumière) est de 0,77 ± 0,03, soit plus grand que celui de Pluton (0,52) mais bien plus faible que celui de Eris (0,96). Une des données les plus intéressantes est obtenue par la forme très abrupte de l’apparition et la réapparition de l’étoile occultée, indiquant sans aucun doute l’absence d’atmosphère globale sur Makémaké (ou en tous cas avec une pression atmosphérique inférieure à 12 nanobars de méthane, excusez du peu…).

A partir des dimensions de la planète naine, de la contrainte de gravitation associée à l’absence d’atmosphère (le pouvoir de rétention des gaz volatils), et connaissant par ailleurs sa période de rotation (7,77 heures), les astronomes en déduisent sa masse et donc sa densité, qui était jusqu’alors inconnue, et qui vaut 1,7±0.3…

On voit ainsi se dessiner trois planètes naines qui ont quelques points communs et beaucoup de différences. Le très fort albédo de Eris et son absence d’atmosphère est expliqué par le fait que l’atmosphère s’est entièrement condensée en glace très réfléchissante. Makémaké montre un autre cas avec une absence d’atmosphère globale mais un albédo moyen. L’explication avancée par les auteurs de cette étude serait l’existence d’une atmosphère localisée, avec des zones de condensation et de sublimation gazeuses elles-aussi localisées sur la surface… Étonnant, non ?

Encore une curiosité de plus pas si loin de chez nous, dont il reste à découvrir si les processus sont dirigés essentiellement par la chaleur du soleil ou par d’autres mécanismes.


Source :
Albedo and atmospheric constraints of dwarf planet Makemake from a stellar occultation
J. L. Ortiz, et al.
Nature 491, 566–569 (22 November 2012)

mercredi 21 novembre 2012

Curiosity : Rumeur infondée



C'est par un message ironique sur le compte twitter officiel de la sonde Curiosity que la rumeur est démentie. Il n'y a donc rien n'à attendre de particulier dans quelques semaines, juste de la science de train de se faire... 

Mais de là à dire que la mission dans son entier sera racontée dans les livres d'histoire, ils sont un peu présomptueux, on dirait...