dimanche 30 avril 2017

Et si la matière sombre était constituée de bosons ultra-légers ?


Une étude effectuée sur 13 amas de galaxies par des observations de l'émission X du gaz chaud vient de tester l'hypothèse que la matière sombre (matière noire) soit constituée de bosons très légers, formant une matière noire "floue". Les observations apparaissent plus cohérentes avec ce modèle qu'avec celui de la matière noire froide...




L'idée d'une matière noire "floue" (fuzzy dark matter) remonte déjà à plusieurs années. L'idée repose sur l'existence en grandes quantités d'une nouvelle particule de type boson (particule d'interaction), mais qui aurait une masse très très petite, de l'ordre de  10-22 eV. Ayant une masse (et donc une énergie) aussi faible, le comportement de ces particules serait très particulier : elles se comporteraient d'avantage comme des ondes que comme des particules, montrant un effet quantique bien connu. De même, au lieu d'interagir entre elles, elles formeraient des interférences entre ondes, ce qui est observé dans un condensat de Bose-Einstein.
Le modèle de matière sombre qui constitue aujourd'hui le modèle standard de la cosmologie est une particule massive (plusieurs dizaines de GeV) interagissant faiblement avec la matière ordinaire, un fermion issu de la théorie de la supersymétrie, qui n'a encore jamais été validée expérimentalement. On l'appelle la matière sombre "froide" car ces particules massives seraient non relativistes, ayant une vitesse relativement basse. De telles particules sont sensées former de vastes halos englobant les galaxies et peuplant les amas de galaxies.
Le modèle fonctionne très bien pour expliquer les observations des grandes structures cosmiques jusqu'aux galaxies, mais il comporte toujours un épineux problème au niveau des petites galaxies. Le modèle CDM (Cold Dark Matter) prédit en effet que la densité de matière sombre au centre des galaxies doit augmenter très fortement en formant un pic de densité, suivant le profil de densité de Navarro-Frenk-White (NFW), où la densité varie comme l'inverse du rayon pour les faibles rayons. Et comme la matière ordinaire est attirée par le puits gravitationnel engendré, elle devrait elle aussi montrer un pic de densité au centre des galaxies. Le problème est que nous n'observons pas de tel pic de densité de la matière visible.
Le second défaut du modèle de la matière sombre froide est qu'il prédit la formation de très nombreux petits halos autour des gros halos, donc la présence de nombreuses galaxies naines satellites autour des grosses galaxies. Or les galaxies naines sont peu nombreuses autour de notre galaxie (même si leur nombre semble plus important autour d'autres galaxies). 
C'est notamment pour pallier ces deux défauts que l'alternative d'un boson ultra-léger a été proposée. A toute particule peut être associée une onde dans la mécanique quantique. Et la longueur d'onde caractéristique, la longueur d'onde de Compton dépend de sa masse : 𝜆 = h/mc. Avec une masse de l'ordre de 10-22 electronvolts, la longueur d'onde correspondant est de l'ordre de 1,3 années-lumière. On voit tout de suite pourquoi ce type de matière est appelée matière noire "floue" : une seule "particule" peut s'étendre sur plusieurs années-lumière, induisant par superpositions et interférences un cœur dense au centre des galaxies de plusieurs milliers d'années-lumière.
Les physiciens montrent que dans un tel modèle, il ne doit pas apparaître de pic de densité au centre des galaxies. Le modèle de la matière sombre floue fonctionne bien dans les petites galaxies mais doit être raffiné dans le cas des plus grosses galaxies : pour expliquer les concentrations de masse invisible, on doit ajouter des états quantiques multiples, des états excités, où chaque particule peut avoir différents niveaux d'énergie, de façon très similaire aux différents états d'énergie d'un électron dans un atome. Ces états excités ont pour effet de modifier la distribution de la densité de la matière sombre en fonction de la distance du centre de la galaxie. 
Tula Bernal-Marín (National Polytechnic Institute, Mexico City), et ses collaborateurs américains ont cherché a tester ce modèle de matière sombre floue a états excités à un niveau plus grand que les grandes galaxies, celui des amas de galaxies. Ils ont exploités les images en rayons X de 13 amas de galaxies obtenues avec le télescope spatial Chandra pour estimer à la fois la quantité de matière noire et comment sa densité varie en fonction de la distance du centre des amas de galaxie, pour confronter ces observations avec les prédictions du modèle théorique.
Les astrophysiciens montrent que lorsque le modèle le plus simple de boson à l'état fondamental est utilisé, les données ne collent pas avec les prédictions, mais quand ils introduisent les états excités, les observations sont tout à fait cohérentes avec les prédictions théoriques pour les 13 amas étudiés, et le modèle de matière sombre "floue" semble même meilleur que le modèle de la matière sombre froide! 
Ce résultat montre que le modèle de matière sombre "floue", formée d'un champ scalaire, un boson ultra-léger, est viable pour être une alternative au modèle actuel, sans ses défauts. Il s'avère intéressant que ce nouveau modèle, incluant des états excités, prédit d'autres phénomènes qui devraient être observables : il induit l'existence d'oscillations de la densité de la matière ordinaire dans les galaxies. L'amplitude de ces oscillations n'est pas encore accessible aujourd'hui par nos moyens d'observations, mais pourrait le devenir dans le futur.
L'article a été accepté pour publication dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Référence

Scalar Field Dark Matter in Clusters of Galaxies
Tula Bernal et al.
sous presse, Monthly Notices of The Royal Astronomy Society
https://arxiv.org/pdf/1609.08644.pdf

Illustration 

Images composites (visible + rayons X) de quatre des 13 amas de galaxies observés dans cette étude (X: NASA/CXC/Cinestav/T.Bernal et al.; Visible: Adam Block/Mt. Lemmon SkyCenter/U. Arizona)

2 commentaires :

Pascal a dit…

Article intéressant, qui me suggère plusieurs questions :

Quel est le statut théorique de ce "psyon" ultraléger, est-ce un champ scalaire créé ad hoc pour expliquer la DM ou a-t-il une autre assise ?

La part relative des différents états excités (qui diffère d'un cluster à l'autre) est-elle contrainte théoriquement ou ajustée pour coller au profil observé ?

Pour une masse de 10^-22 ev/c², le calcul donne lambda = 1.2 10^16 m, soit environ 1 AL, et non 3000 ; 1 kpc semble être plutôt la taille du noyau central de bosons, à densité constante (contrairement au pic de la CDM), si j'ai bien compris ?

Dr Eric Simon a dit…

Vous avez raison, je n'avais pas vérifié le calcul de la longueur d'onde, faisant confiance au communiqué de la collaboration Chandra, qui relate cette étude et duquel j'ai récupéré l'illustration, et qui indique une longueur d'onde de 1 kpc... La longueur d'onde de Compton correspondant à 1^-22 eV fait effectivement 1,3 AL. Le kpc est bien la taille de zone du coeur qui est la résultante des interactions des bosons (interférences et superpositions). Je vais corriger ça.
Ce champ scalaire est une création dédiée uniquement à fournir une explication pour la matière noire.
Sur la contribution relative des états excités, je comprends du papier qu'ils ne font pas d'ajustement ad hoc pour coller aux profils mesurés.