Le 3 décembre dernier, je vous parlais d'un article paru deux semaines plus tôt dans Astronomy & Astrophysics qui annonçait la découverte d'une anisotropie dans l'expansion cosmique, ce qui pouvait sonner le glas de l'énergie noire comme étant la source de l'accélération de l'expansion. Mais assez vite, plusieurs astrophysiciens ont produit des articles pour montrer qu'il y avait une mauvaise interprétation des données et qu'il n'y avait en fait aucune anistropie significative de l'accélération de l'expansion. L'un des premiers qui avait réagi sur le site de préprints Arxiv, David Rubin, voit aujourd'hui publiée son étude dans The Astrophysical Journal.
Il aura donc fallu plusieurs mois entre l'acceptation de cet article de David Rubin par The Astrophysical Journal le 24 février et sa publication le 6 mai, sachant que le journal l'avait reçu le 4 décembre 2019, deux semaines à peine après la parution de l'article sulfureux de Colin et ses collaborateurs dans Astronomy & Astrophysics, dont nous avions parlé. C'est un peu long pour un article relativement court.
David Rubin n'en est pas à son coup d'essai pour ce qui est de répondre à des articles pensant avoir trouvé une anisotropie dans l'accélération de l'expansion. Une étude semblable avait déjà parue en 2016 et Rubin avec un autre collaborateur avait démontré où se trouvait l'erreur. Il faut préciser que Rubin a fait sa thèse entre 2009 et 2013 à Berkeley sous la direction de Saul Perlmutter, qui a obtenu le prix Nobel en 2011 pour la co-découverte de l'accélération de l'expansion grâce à la mesure de la luminosité de supernovas. On peut donc comprendre pourquoi David Rubin est si prompt à défendre le concept d'accélération de l'expansion, lui qui a vécu de très près le couronnement de son directeur de thèse et qui est aujourd'hui spécialiste du domaine.
Cette fois-ci encore, avec sa collaboratrice Jessica Heitlauf (également de l'Université de Hawaï), ils reprennent complètement l'analyse de Colin sortie fin novembre, et en la réévaluant, ils trouvent pas moins de quatre problèmes significatifs, selon eux, chacun affectant les résultats ou les interprétations :
Premier problème :
Colin et ses collaborateurs ont fait l'hypothèse incorrecte que la distribution de la forme des courbes de luminosité et de la couleur des supernovas Ia est constante en fonction du redshift, après sélection, une hypothèse dont Rubin et Heitlauf identifie l'origine : l'étude de 2016 que Rubin avait déjà démontée.Rubin et Heitlauf insistent sur le besoin d'utiliser une population de supernovas observées à de nombreux redshifts différents.Cette hypothèse incorrecte sur les distributions indépendantes du redshift a certes peu d'effet sur les paramètres dipolaires qui sont déduits, mais elle implique de grands biais sur les paramètres du monopole. Le résultat en est un affaiblissement d'une portion de la standardisation des supernovas distantes, les rendant plus lumineuses qu'elles ne le sont et donc menant à une valeur d'accélération plus faible.
Deuxième problème :
Colin et ses collaborateurs ont utilisé des redshifts calculés dans un référentiel héliocentrique pour calculer leurs distances comobiles. Ils laissent ainsi le mouvement du système solaire (par rapport au fond diffus cosmologique) s'imprimer dans le redshift des supernovas. Ils ont ensuite exploité des supernovas Ia très proches (jusqu'à un redshift de 0,01), là où la décision d'utiliser des redshifts de type héliocentriques ou bien calculés sur le Fond diffus affecte fortement la mesure du module de distance (la différence entre la magnitude apparente et la magnitude absolue, donnant une valeur de distance).
D'autre part, Rubin et Heitlauf expliquent que Colin et ses collaborateurs ont enlevé du calcul (de la matrice de covariance de l'incertitude sur le module de distance) les termes de covariance associés à la vitesse particulière de la galaxie (mouvement hors expansion cosmique), ce qui peut paraître logique de leur point de vue puisqu'ils ont utilisé un modèle héliocentrique. Mais Rubin et Heitlauf pointent que c'est ça qui produit ce qui a été conclu par un effet d'anisotropie dipolaire par Colin et ses collaborateurs.
En réintroduisant dans l'analyse la totalité de la matrice de covariance Rubin et Heitlauf ne retrouvent aucune anisotropie statistiquement significative à plus de 2σ, même en conservant le calcul du redshift dans le référentiel héliocentrique.
Colin et son équipe, en choisissant le repère héliocentrique, avaient voulu s'affranchir des corrections nécessaires à apporter lorsqu'on travaille dans le référentiel du Fond Diffus Cosmologique, mais ils n'ont montré aucune preuve que le référentiel héliocentrique était plus proche du référentiel moyen des galaxies hôtes des supernovas proches que ne l'est le référentiel du Fond Diffus Cosmologique. Son seul atout était de s'affranchir de corrections de vitesses particulières de galaxies. Rubin et Heitlauf notent non sans ironie que si c'était la volonté première de Colin, alors il n'aurait pas dû enlever du calcul les covariances de l'incertitude associée à la vitesse galactique.
Troisième problème :
Colin et ses collaborateurs dans leur étude utilisent un catalogue de supernovas, le Joint Light Curve Analysis (JLA) qui est principalement constitué de supernovas qui se situent dans l'hémisphère nord et ignorent des résultats de relevés plus récents obtenus dans l'hémisphère sud, comme le Carnegie Supernova Project ou le Dark Energy Survey. Pour Rubin, Colin est ses collaborateurs ignorent également leur propre échec à établir une corrélation entre leur terme dipolaire et leur terme monopolaire, ce qui suggère pour que le choix de l'hémisphère n'affecterait pas l'analyse.
Quatrième problème :
La solution préférée de Colin et al. est une anisotropie dipolaire qui disparaît exponentiellement en fonction du redshift. Un tel comportement devient donc vite pathologique lorsque l'échelle de l'exponentielle est mal mesurée, selon Rubin et Heitlauf.
Comme les mesures de supernovas sont à un redshift fini, l'extrapolation du dipôle jusqu'au redshift 0 mène à une forte dégénérescence entre l'échelle de l'exponentielle et la valeur du dipôle (on confond vite les deux). Rubin et Heitlauf montrent que statistiquement parlant, l'échelle de l'exponentielle doit être restreinte à la valeur du dipôle trouvée par Colin pour arriver à un intervalle de confiance "satisfaisant", c'est à dire que 68% du temps, la bonne réponse se trouve dans l'intervalle de crédibilité de 68%...
En résumé, en reproduisant l'analyse de Colin et al. mais en prenant en compte les corrections que Rubin avait déjà proposées pour démonter une étude un peu similaire de 2016, Rubin et Heitlauf trouvent des paramètres dipolaires résiduels insignifiants, et qui n'ont pas d'effet sur les paramètres cosmologiques décrivant l'expansion et son accélération.
Les deux causes principales qui ont conduit Colin et ses collaborateurs à conclure à une anisotropie de l'accélération de l'expansion seraient l'utilisation du repère héliocentrique et donc le fait de ne pas avoir soustrait notre mouvement dans la mesure du redshift des supernovas et d'avoir omis d'inclure les covariances de la vitesse particulière galactique dans leur analyse.
Pour finir, Rubin et Heitlauf calculent le paramètre de décélération (l'accélération de l'expansion) en ajoutant quand même un terme dipolaire en plus du terme monopolaire, mais avec leur analyse des données de Colin et al. Ils trouvent une valeur de la composante monopolaire égale à q0m = −0,425 +0,116-0,122, alors qu'ils trouvaient en 2016 une valeur pour la composante globale égale à q0 = −0,425+0,115−0,117)
Leur conclusion est ferme et définitive, et c'est la même qu'en 2016 : l'accélération de l'expansion est bien isotrope.
Source
Is the Expansion of the Universe Accelerating? All Signs Still Point to Yes: A Local Dipole Anisotropy Cannot Explain Dark Energy
D. Rubin and J. Heitlauf
The Astrophysical Journal, Volume 894, Number 1 (6 may 2020)
Illustration
Cartographie du paramètre dipolaire -qd en coordonnées galactiques (J. Colin et al.)
3 commentaires :
ben dites-donc, aucun message ne passe! J'ai du vous énerver, vous agacer... oui, j'avoue, j'aime bien secouer les certitudes! Pourtant , c'est un peu devenu à la mode, vous ne trouvez pas.
Promis, je ne vous embêterai plus, en fait je vais juste fermer votre onglet, je vais même vous insérer dans la liste dont s'occupe mes bloqueurs de pubs, pour être sûr de ne plus vous croiser
Très sage décision !
Voilà un billet qui va mériter plusieurs relectures de ma part car même vulgarisé, je vais devoir approfondir mes connaissances pour tout comprendre (pourtant je n'avais pas eu autant de mal à comprendre l'article de décembre... un effet du confinement? ;-D )
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