16/06/20

Antarès scrutée de très près par ALMA et le VLA


Antarès, l'étoile supergéante rouge la plus proche du Soleil, qui illumine nos soirées d'été dans la constellation du Scorpion, vient d'être observée à haute résolution dans le domaine submillimétrique et centimétrique (ondes radio) avec ALMA et VLA. Ces observations offrent une cartographie inédite de la supergéante, qui mérite bien son qualificatif, elle qui s'étend sur une distance bien supérieure à l'orbite de Saturne... Une étude parue dans Astronomy&Astrophysics.



L'équipe de Eamon O’Gorman (Dublin Institute for Advanced Studies) est parvenue à mesurer non seulement la taille exacte des différentes couches de Antarès, mais aussi leur température respective, depuis sa "surface", la photosphère, jusqu'à sa zone d'émission de vent stellaire située à plus de 10 fois le rayon de la photosphère. C'est ainsi la totalité de la chromosphère de Antarès qui a pu être observée en détail.
Les étoiles supergéantes rouge comme Antarès ou Bételgeuse, à laquelle se sont aussi intéressés les astrophysiciens, sont des monstres en fin de vie qui projettent de grosses quantités de matière sous forme de vent stellaire. C'est dans le but de mieux comprendre comment sont produits ces flux de matière que O’Gorman et ses collaborateurs ont décidé d'observer Antarès avec ALMA (Atacama Large Millimeter/Submillimeter Array) et le VLA (Very Large Array). 
La cartographie qu'ils obtiennent est tout simplement la carte radio la plus détaillée obtenue sur une étoile (autre que le Soleil). ALMA et le VLA n'observent pas aux mêmes longueurs d'ondes. Tandis que ALMA est sensible aux petites longueurs d'ondes, ici à partir de 0,7 mm, et peut scruter Antarès à proximité immédiate de sa photosphère (sa "surface"), le Very Large Array, lui, observe à une longueur d'onde centimétrique jusqu'à 10 cm et donc s''"approche" moins près de l'étoile et permet de voir les couches plus éloignées de la chromosphère et au-delà. 
Tout dépend de la longueur d'onde à laquelle on regarde. Ce sont les données du VLA qui offrent la vision la plus étendue de Antarès, jusqu'à 11,6 fois le rayon de la photosphère... A 0,7 mm, le diamètre angulaire de Antarès qui est observé vaut 50,7 millisecondes d'arc et il vaut 431 millisecondes d'arc à une longueur d'onde de 10 cm (8,5 fois plus). Dans le domaine visible, Antarès, qui est distante de 550 années-lumière environ, apparaît avoir une taille déjà 680 fois plus grande que le Soleil, mais ça c'est la taille de sa photosphère... En ondes radio, ALMA et le VLA voient donc une étoile plus de 7500 fois plus grande que le Soleil ! 
La chromosphère (l'"atmosphère" de l'étoile) s'étend jusqu'à 2,5 fois le rayon de la photosphère puis et suivie de la vaste zone des vents stellaires. La chromosphère du Soleil, pour comparaison, ne s'étend que sur une distance égale à 1/200ème du rayon de sa photosphère...
Et les observations fournissent également des valeurs de températures dans ces différentes zones grâce à l'acquisition du rayonnement radio à 11 longueurs d'ondes différentes avec les deux réseaux de radiotélescopes. La température de la chromosphère de Antarès est un peu plus froide que ce qui était attendu à partir d'observations dans le visible et en UV. Elle passe de 2750 K au plus près de la photosphère (1,35 fois le rayon) pour atteindre un maximum de 3500 K à un rayon de 2,5 fois le rayon de la photosphère et ensuite décroit graduellement jusqu'à 1650 K à 11,6 fois le rayon photosphérique.
C'est la première fois qu'une chromosphère stellaire est observée en ondes radio avec autant de détails, une zone très perturbée par les champs magnétiques et les phénomènes de convection de la photosphère qui peuvent produire des ondes de choc dans le plasma. Et c'est aussi la première fois que l'évolution de la température dans la chromosphère d'une supergéante rouge est observée avec autant de précision.
O’Gorman et ses collaborateurs montrent ainsi que la chromosphère de Antarès peut être qualifiée de "tiède" plutôt que chaude. Les précédentes observations, qu'elles soient dans le visible ou en UV n'étaient sensibles il est vrai qu'à des températures plus élevées du gaz et du plasma.


Et pour la première fois également, les astrophysiciens arrivent à distinguer une frontière assez nette entre la chromosphère et la région où les vents stellaires commencent à se développer, en détectant un changement dans l'indice spectral des rayonnements détectés entre les observations acquises entre 0,7 mm et 1,4 cm d'un côté et celles acquises entre 4,3 et 10 cm de l'autre. L'image radio du VLA montre quant à elle un intense vent éjecté par Antarès et qui se retrouve éclairé par l'étoile compagne de la supergéante, Antarès B. 
Les mesures proches de ALMA montrent par ailleurs que la forme de l'atmosphère de Antarès est allongée avec un aplatissement de 15%. 
O’Gorman et ses collaborateurs concluent leur étude en s'intéressant à la cousine de Antarès qu'est Bételgeuse. A partir des informations recueillies sur Antarès, ils modélisent le rayonnement en UV lointain de la chromosphère de Bételgeuse correspondant à un équilibre thermique. Ils en déduisent de nouvelles informations qui peuvent avoir leur importance dans la compréhension de cette étoile en fin de vie comme l'est Antarès, notamment que la supergéante devrait montrer une composante additionnelle de photoionisation chromosphérique à haute température (supérieure à 7000 K) mais qui doit rester minoritaire...
Cette étude en multi-longueurs d'ondes dans le domaine radio nous offre une nouvelle vision de l'une des étoiles les plus emblématiques de notre ciel estival, brillant de mille feux, mais, du haut de ses 15 masses solaires et ses 11 millions d'années, condamnée à exploser à court terme. 


Source

ALMA and VLA reveal the lukewarm chromospheres of the nearby red supergiants Antares and Betelgeuse
E. O’Gorman et al.
A&A Volume 638, A65 (16 June 2020)


Illustrations

1) Vue d'artiste de Antarès avec la taille du système solaire pour comparaison (NRAO/AUI/NSF, S. Dagnello)

2) Images en onde radio obtenues avec le VLA et ALMA (la zone diffuse à droite est le vent stellaire de Antarès illuminé par la compagne Antarès B) (ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), E. O’Gorman; NRAO/AUI/NSF, S. Dagnello)

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