08/06/20

Titan se fait la malle !


Le plus gros satellite de Saturne, l'énorme Titan, muni d'une atmosphère et de rivières de méthane, plus gros que la planète Mercure, est parmi les objets les plus surprenants du système solaire Il vient encore de le démontrer par des mesures effectuées par la sonde Cassini avant la fin de sa mission : il s'éloigne de Saturne 100 fois plus vite que ce qu'on pensait auparavant... Une étude parue dans Nature Astronomy.



Titan, on le sait est un corps céleste très riche. En plus de son cycle hydrogéologique basé sur le méthane et son atmosphère relativement dense, il possède une croûte de glace sous laquelle pourrait se cacher un océan d'eau liquide, comme d'autres satellites plus petits de Saturne et Jupiter. L'étude menée par Valery Lainey (Jet Propulsion Laboratory et Observatoire de Nice) et ses collaborateurs permet de retracer la dynamique complexe pas uniquement de Titan mais aussi de multiples satellites de Saturne. Ils montrent que des frictions de marée à l'intérieur de Saturne ont pour conséquence de faire migrer les satellites vers des orbites plus éloignées beaucoup plus efficacement que ce que l'on pensait. Cela a pour conséquence de les conduire sur des orbites résonantes qui influencent fortement la forme de leur orbite (excentricité et inclinaison) jusqu'à produire un échauffement interne dans leur croûte.  
Les théories standards prédisaient cependant que ces processus dissipatifs induisaient une expansion orbitale inversement proportionnelle à la puissance 5,5 de la distance, ce qui veut dire une migration tout à fait négligeable pour un satellite éloigné comme le gros Titan. 
Lainey et ses collègues ont mesuré par deux voies indépendantes comment l'orbite de Titan ainsi que celles de 5 autres satellites évoluaient, grâce à des mesures in situ par la sonde Cassini. Les astrophysiciens trouvent que Titan est en train de s'éloigner de Saturne beaucoup plus vite que prévu. Il est aujourd'hui situé à 1,2 millions de km de la géante aux anneaux mais aurait été très proche d'elle il y a 4 milliards d'années, alors que les modèles acceptés disaient jusque là qu'il s'était formé là où il est aujourd'hui. Cela implique que le système des satellites de Saturne, et potentiellement ses anneaux aussi se seraient formés et auraient évolués beaucoup plus vite que ce que l'on pensait, selon les chercheurs. 
C'est le même processus de marée qui fait que la Lune s'éloigne de la Terre de 3,8 cm chaque année : la Lune exerce une force gravitationnelle différentielle sur la Terre, qui cause les marées océaniques, et à l'intérieur de la croûte terrestre, des frictions apparaissent, qui transforment cette énergie en chaleur, distordant au passage le champ gravitationnel de la Terre, ce qui a finalement pour effet de modifier légèrement la trajectoire de la Lune et de l'éloigner de la Terre.
Titan en fait de même sur Saturne mais les frictions internes de Saturne devaient être plus faibles que celles apparaissant dans la croûte terrestre, du fait de sa composition gazeuse. On pensait ainsi que Titan devait d'éloigner de 0,1 centimètre par an seulement. Mais à partir de données d'astrométrie (la mesure précise de la position de Titan par rapport à des étoiles de fond) et de radiométrie (des mesures de variation de vitesse de la sonde induites par le champ gravitationnel de Titan) enregistrées par Cassini pendant 10 ans, Lainey et ses collaborateurs  trouvent une vitesse d'éloignement du gros satellite de l'ordre de 11 cm par an ! Les deux méthodes très différentes donnent exactement le même résultat.

Cette valeur élevée de vitesse de migration est cohérente avec une théorie isolée qui avait été proposée en 2016 par Fuller et al. Ils avaient trouvé que Titan devait faire osciller Saturne avec une fréquence particulière induisant un phénomène de résonance. Un tel processus de forçage de marée est appelé "verrouillage résonant". Selon Fuller, c'est cette grande amplitude des oscillations de Saturne qui dissiperait suffisamment d'énergie gravitationnelle pour éloigner Titan à grande vitesse. 
Il se trouve que cette expansion de l'orbite de Titan est du coup faiblement sensible à sa distance de Saturne, et cela signifie quelque chose d'intéressant : c'est toute l'évolution du système des satellites de Saturne qui doit être révisé. 


Source

Resonance locking in giant planets indicated by the rapid orbital expansion of Titan
Valéry Lainey, Luis Gomez Casajus, Jim Fuller, Marco Zannoni, Paolo Tortora, Nicholas Cooper, Carl Murray, Dario Modenini, Ryan S. Park, Vincent Robert & Qingfeng Zhang 
Nature Astronomy (8 june 2020)


Illustration

Titan devant Saturne, imagés par la sonde Cassini (NASA/JPL-Caltech/Space Science Institute)

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