lundi 22 juin 2020

L'origine des rayons X de Centaurus A comprise grâce à ses rayons gamma


La galaxie Centaurus A est ce qu'on appelle une radiogalaxie : une galaxie à noyau actif qui produit des jets de particules responsables de l'apparition de vastes lobes d'émission radio (d'où le nom de radiogalaxie). Aujourd'hui, la collaboration H.E.S.S qui exploite des détecteurs de rayons gamma de très haute énergie vient de publier des observations résolues du jet de Centaurus A via son émission de photons gamma d'énergie de l'ordre du TeV, qui permet de comprendre plein de choses...Une étude parue dans Nature.



La plupart des galaxies à noyau actif produisent des jets de particules relativistes collimatés qui peuvent s'étendre sur des centaines voire des milliers de parsecs pour les plus puissants. Centaurus A est la radiogalaxie la plus proche connue, située à 3,8 Mpc (12 millions d'années-lumière). Comme pour les autres, on estime que c'est l'accrétion de matière autour de son trou noir supermassif central qui est à l'origine de l'activité du centre galactique et de la production de ses jets de particules. L'émission radio caractéristique qui prend la forme de vastes lobes dans la direction des jets est issue d'un phénomène qu'on appelle l'émission synchrotron. Cette production de photons apparaît lorsque des électrons sont accélérées dans une trajectoire courbe, par un champ magnétique par exemple. La courbure de leur trajectoire leur fait perdre une part de leur énergie, ce qui se traduit par l'émission de photons.
Mais Centaurus A n'émet pas que des ondes radio en association avec ses jets de particules, elle émet également des photons très énergétiques, rayons X et rayons gamma. L'origine de ces photons X énergétiques est mal cernée, elle peut provenir de deux phénomènes différents, tous les deux impliquant là encore des électrons énergétiques. Le premier est encore l'effet synchrotron, qui peut aussi produire des photons dans la gamme des rayons X. Le second est ce qu'on appelle l'effet Compton inverse. L'effet Compton "classique" découvert en 1923 décrit la diffusion élastique d'un photon gamma sur un électron, dans laquelle le photon transfert une bonne partie de son énergie et se retrouve diffusé dans une autre direction tandis que l'électron lui aussi change de direction. L'effet Compton inverse est la même réaction mais dans un autre référentiel : un électron énergétique entre en collision avec un photon de basse énergie et lui transfert une grande quantité de son énergie cinétique initiale, les deux particules changeant de direction au passage. Comme l'Univers baigne en permanence dans un bain de photons du fond diffus cosmologique (dans le domaine des micro-ondes), ces photons sont des cibles idéales pour tous les électrons énergétiques pour produire un effet Compton inverse. Lorsque les électrons sont vraiment très énergétiques, ils peuvent transformer un photon micro-onde qui possède une énergie d'une fraction d'électron-volt en un photon de plusieurs MeV ou GeV... (rayons X durs).
Les deux phénomènes ne nécessitent pas des électrons de même énergie toutefois, le rayonnement synchrotron a besoin d'électrons vraiment très énergétiques, environ 50 TeV, et comme ils ralentissent vite, il faut aussi qu'un mécanisme de réaccélération continue existe pour maintenir ce type de rayonnement. L'effet Compton inverse, lui, nécessite des électrons énergétiques certes mais d'une énergie moins élevée, et il impose que le jet relativiste s'étende sur une très grande distance (jusqu'à 1 Mpc) pour que la probabilité que l'effet se produise soit non négligeable.  


Pour départager les deux phénomènes, les astrophysiciens des particules possèdent une botte secrète : les photons gamma. En effet, l'existence d'une source étendue de rayons gamma signe directement la présence d'électrons ultra-relativistes sur de grandes distances. La détection de telles sources de rayons gamma peut donc permettre de distinguer les effets synchrotron et Compton inverse via l'énergie des électrons en présence et leur répartition spatiale. C'est à cette tache que se sont attaqués les physiciens de la collaboration internationale H.E.S.S. en observant les rayons gamma entourant le jet de Centaurus A à grande échelle dans la gamme d'énergie du TeV. 
Les données qu'ils ont obtenues avec leurs télescopes Cherenkov qui traquent les gerbes de particules secondaires qui sont produites dans la haute atmosphère quand un photon gamma ultra-énergétique y interagit avec un atome d'azote ou d'oxygène, indiquent que des électrons continuent à être accélérés le long du jet de Centaurus A. Ils observent en effet une vaste zone d'émission gamma qui s'étend sur plusieurs milliers d'années-lumière (une forme elliptique de demi-grand axe de 2,2 kpc), prouvant que l'accélération des électrons n'a pas lieu uniquement dans le voisinage proche du trou noir supermassif, mais bien tout le long du jet.
C'est donc l'explication fondée sur l'effet synchrotron qui l'emporte pour l'émission X de Centaurus A puisque les électrons sont bien réaccélérés en continu le long du jet.
Or il se trouve que le jet de Centaurus A n'a rien d'exceptionnel pour une radiogalaxie : il n'est ni ultrapuissant, ni très grand, ni extrêmement rapide. Les astrophysiciens en concluent donc que des électrons ultrarelativistes doivent être communs à grande distance dans les jets des galaxies actives.  
Par ailleurs, les radiogalaxies sont assez nombreuses, ce qui fait dire aux chercheurs que ces galaxies actives doivent produire une contribution importante dans la redistribution d'énergie dans le milieu intergalactique. 
Cette étude a nécessité environ 200 heures d'observation par les télescopes Cherenkov H.E.S.S installés dans la savane de Namibie. H.E.S.S est aujourd'hui l'instrument le plus sensible pour l'astronomie gamma au TeV. Il sera supplanté dans quelques années par le Cherenkov Telescope Array (CTA), qui offrira encore d'avantage de données pour comprendre les galaxies actives et bien d'autres phénomènes très énergétiques.


Source

Resolving acceleration to very high energies along the jet of Centaurus A
The H.E.S.S. Collaboration
Nature volume 582 (17 june 2020)


Illustrations

1) Image composite de Centaurus A, montrant les jets émergeant du centre de la galaxie ainsi que l'émission gamma étendue (ESO/WFI (Optical); MPIfR/ESO/APEX/A.Weiss et al. (Submillimetre); NASA/CXC/CfA/R.Kraft et al. (X-ray), H.E.S.S. collaboration (Gamma))

2) Les télescopes Cherenkov de H.E.S.S (Collaboration H.E.S.S)

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