samedi 13 février 2021

Observation d'objets astrophysiques circulaires non identifiés


Ce n'est pas donné à tout le monde de trouver des objets totalement nouveaux dont on n'arrive pas à comprendre la nature. C'est ce qui est arrivé à une équipe internationale à majorité australienne en étudiant le ciel en ondes radio. Ils observent quatre objets de forme circulaire assez étendus, qui ne ressemblent à rien de connu, ils les ont appelé des ORC (Odd Radio Circles, cercles radio bizarres). Une étude publiée dans Publications of the Astronomical Society of Australia.  

C'est en effectuant un grand relevé du ciel radio, le Evolutionary Map of the Universe Pilot Survey, avec le réseau de radiotélescopes australien ASKAP (Australian Square Kilometre Array Pathfinder) que Ray Norris (Université de Sydney/CSIRO) et ses collaborateurs sont tombés sur des objets très étranges. Il s'agit de trois spécimens de même type, dont deux se trouvent très proches l'un de l'autre. Ils se présentent sous la forme de disques quasi parfaitement circulaires dont les bords sont plus brillants que le centre, et qui font environ une minute d'arc de diamètre. 
La grande équipe d'astrophysiciens australiens, américains, canadiens, européens, japonais et sud-africains, pour confirmer la réalité de ces objets et qu'ils ne sont pas le fruit d'un défaut de traitement ou un artefact lié au réseau de 36 antennes de ASKAP, ont exploité d'autres observations ainsi que des archives de trois autres radiotélescopes : le ATCA et le Murchison Widefield Array (MWA) australiens ainsi que le GMRT indien. Ils ont alors retrouvé leurs trois premiers ORC (ORC1, ORC2 et ORC3)  et en ont déniché un quatrième dans les archives de 2013 du GMRT ! 
Il y a donc quatre objets très similaires mais avec tout de même quelques différences. Ils ont tous une forme très circulaire d'environ la même dimension angulaire, ils sont tous les quatre situés loin du plan galactique et ont un spectre radio similaire. Pour deux d'entre eux, il semble exister une galaxie au centre mais pas pour les deux autres. Et on l'a dit, ORC2 et ORC3 se situent tout juste côte à côte l'un de l'autre. Mais ORC 3 est beaucoup moins lumineux que ORC 2 et paraît plus uniforme. Cette très grande proximité des deux cercles est très improbable selon les chercheurs qui calculent une probabilité que ce soit un hasard inférieure à 0,0001. Pour eux, ORC 2 et ORC 3 doivent être liés l'un à l'autre d'une manière ou d'une autre.



ORC 4 diffère également légèrement des trois autres par le fait qu'il possède une source radio continue dans son centre qui correspond à une galaxie très rouge qui a été identifiée en infra-rouge par WISE ainsi que par le relevé SDSS à un redshift de 0,39. Si on considère que l'anneau de ORC4 se trouve directement associé à la galaxie qui est visible dans son centre, et donc à la même distance qu'elle (au même redshift), on peut en déduire sa dimension linéaire. Dans ce cas, il devrait s'étendre sur 410 kpc × 350 kpc (de l'ordre de 1 million d'années-lumière...). 
L'autre ORC qui semble avoir une galaxie au milieu est ORC1, avec une petite galaxie très faible, sans émission radio, et qui arbore un redshift de 0,55. Le même type de calcul que précédemment donnerait une extension spatiale de l'anneau d'environ 400 kpc également. Mais il est aussi possible que les galaxies visibles au centre de ORC1 et ORC4 soient là par hasard... 

Mais que peuvent bien être ces objets circulaires émetteurs d'ondes radio ? Ray Norris et ses collaborateurs se posent évidemment la question et essayent d'y répondre. Pour ce faire, ils passent en revue tous les objets astrophysiques existant qui pourraient montrer une forme de ce type en ondes radio. La liste est nombreuse, et pour chaque cas, les astrophysiciens analysent dans le détail la possibilité de cette origine à partir des processus physiques mis en jeu. Ils considèrent également la possibilité que le couple ORC2&3 puisse être d'une nature différente de celle de ORC1 et 4.  

Les 10 hypothèse testées par les astrophysiciens dans leur étude sont les suivantes :

a) une nébuleuse planétaire galactique; réponse : IMPROBABLE

b) une bulle de matière autour d'une étoile de Wolf-Rayet; réponse : IMPROBABLE

c) une galaxie anneau (ou galaxie à haut taux de formation stellaire vue de face); réponse : IMPROBABLE

d) une radiogalaxie à "queue tordue"; réponse : IMPROBABLE

e) un halo d'amas de galaxies à émission diffuse; réponse : IMPROBABLE 

f) une lentille gravitationnelle quasi parfaite (anneau d'Einstein) ; réponse : IMPROBABLE

g) un lobe de radiogalaxie produisant un double-lobe, vue de côté; réponse : IMPROBABLE

h) un lobe de radiogalaxie produisant un double-lobe, vue de face; réponse : POSSIBLE MAIS mécanisme physique non prouvé 

i) un choc de vent galactique (jet de blazar); réponse : POSSIBLE MAIS aucune observation à ce jour, et absence de galaxie dans ORC2 et 3

j) un résidu de supernova;  réponse : IMPROBABLE MAIS découverte d'une nouvelle population de résidus de supernovas à haute latitude galactique non exclue.


Le fait de voir des bords plus lumineux sur trois des quatre disques fait penser que ces images circulaires sont des projections de bulles sphériques, ou au moins des ondes de symétrie sphérique, produites par un événement transitoire cataclysmique. Il existe des objets capables de produire ce genre d'émission parfaitement sphérique selon les chercheurs qui finissent par spéculer, un peu à cours d'arguments physiques. Ils citent notamment les FRB, les sursauts gamma et les fusions d'étoiles à neutrons. Mais ce pose alors le problème de la très vaste étendue angulaire des ORC qui colle difficilement avec ces hypothèses. Et comme le notent Norris et ses collaborateurs, il est de même extrêmement improbable que de tels phénomènes cataclysmiques puissent produire les deux ORC voisins ORC2&3. 

On le voit, les caractéristiques de ces Odd Radio Circles en font des objets encore très mystérieux. Ces objets encore non répertoriés dans la littérature spécialisée forment donc aujourd'hui une nouvelle classe d'objets astronomiques. Une telle découverte n'est pas forcément inattendue comme le précisent les auteurs dans leur conclusion, car le radiotélescope ASKAP observe le ciel dans une zone relativement inexplorée de l'espace observationnel : aucun radiotélescope n'avait jusque là observé de si grandes surfaces du ciel avec une aussi bonne sensibilité dans ces longueurs d'onde pour voir d'aussi faibles luminosités, et avec une aussi bonne résolution angulaire.

On reparlera très certainement des ORC ici (ou ailleurs) dans les mois et les années qui viennent... 

Source

Unexpected Circular Radio Objects at High Galactic Latitude
Ray Norris et al.
Publications of the Astronomical Society of Australia , Volume 38  (18 january 2021)


Illustrations

1) ORC 1 (R. Norris et al.)
2) ORC 2&3 (R. Norris et al.)
3) ORC 4 (R. Norris et al.)

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