Quatre articles cette semaine dans Nature Astronomy reviennent sur les observations du premier FRB de notre galaxie FRB 200428 qui se trouve être associé à un magnétar (SGR 1935+2154). Trois d'entre eux décrivent le sursaut de rayons X qui a pu être observé en coïncidence avec le sursaut radio rapide, par différents télescopes spatiaux : Agile, HXMT et Konus-Wind, et le dernier sur lequel nous allons attarder, s'intéresse aux sursauts de rayons X du magnétar qui ont eu lieu juste avant l'émission du FRB, offrant une comparaison très instructive.
Le magnétar SGR 1935+2154, comme tous les magnétars, produit fréquemment des éruptions (ou sursauts) de rayons X relativement énergétiques. Il a été découvert en 2014 lorsqu'il avait produit plusieurs courtes bouffées de rayons X énergétiques typiques d'un magnétar. Un suivi dans le temps avait ensuite permis de déterminer sa période de rotation (3,24 s) et la décélération de sa rotation via la variation de sa période (1,43 × 10−11 s.s−1). C'est grâce à cette valeur de décélération que l'on peut déterminer la valeur du champ magnétique (le dipôle magnétique est à l'origine du freinage de l'étoile à neutrons). Les astrophysiciens avaient trouvé une valeur de champ magnétique égale à 2,2 1014 G, ce qui signait définitivement la nature de magnétar pour cet astre compact résidu d'une supernova. On rappelle que les magnétars sont les objets qui possèdent les champs magnétiques les plus intenses, typiquement de l'ordre de 1014 à 1015 G, alors que les pulsars ont un champ qui avoisine plutôt les 1012 G.
Après un retour au calme de plusieurs mois, SGR 1935+2154 a connu des nouvelles périodes actives en mai 2015, en mai 2016, en juin 2016, puis en décembre 2019. A chaque période active, le nombre de sursauts semblait augmenter légèrement et ils étaient à chaque fois un peu plus brillants. Et le 27 avril 2020 peu avant minuit, une nouvelle période active est apparue, la plus prolifique de toutes les précédentes. C'est en tout plusieurs centaines de bouffées de rayons X qui ont été émises en l'espace de quelques heures. Et la source continua par la suite à produire un signal persistant entre 1 et 25 keV sur une période de plusieurs semaines.
Et c'est le 28 avril 2020 que SGR 1935+2154 a produit son sursaut rapide d'ondes radio très vite dénommé FRB 200428, incluant un double sursaut, en association avec une bouffée X elle aussi à double pic. On sait que SGR 1935+2154 avait produit des centaines de sursaut X avant le FRB car il était dans le champ de vue de plusieurs instruments, notamment les deux télescopes à rayons X que sont NICER (installé sur l'ISS) et Fermi-GBM.
L'équipe de George Younes (Université Georges Washington, DC) a pu analyser 24 bouffées de rayons X émises 13 heures avant le FRB et sa bouffée de rayons X spécifique. Car les chercheurs montrent que la bouffée de rayons X coïncidente avec le FRB était bien différente des bouffées de rayons X qui la précédaient. Malheureusement, Fermi-GBM et NICER n'étaient plus dans la bonne direction au moment de l'apparition du FRB et de sa détection par les radiotélescopes CHIME et STARE2. Mais heureusement, d'autres télescopes X comme INTEGRAL, Agile, HXMT et Konus-Wind étaient disponibles et on fait le boulot.
Avec les données de NICER et de Fermi-GBM, Younes et ses collaborateurs ont produit une analyse temporelle et spectrale des rayons X sur une plage en énergie (combinée entre les deux instruments) qui s'étale entre 0,2 keV et 30 MeV, les deux télescopes étant bien complémentaires (de 0,2 à 12 keV pour NICER et de 8 keV à 30 MeV pour Fermi-GBM). Ces spectres à large bande permettent de les comparer directement avec le sursaut X qui avait coïncidé avec le FRB (qu'on appellera comme les chercheurs par le sobriquet "FRB-X"). Dans leur article, Younes et son équipe démontrent que les 24 sursauts X détectés par NICER et Fermi-GBM sont très similaires temporellement au sursaut FRB-X, mais par contre, ils montrent qu'ils sont très différents en terme de spectre énergétique. Les sursauts X qui ont précédé le FRB n'ont pas le même indice spectral ni la même énergie de coupure : en d'autres termes, la forme de leur spectre est nettement différente de celle du sursaut FRB-X.
Younes et ses collègues sont alors allés rechercher dans les archives d'autres spectres de bouffées de SGR 1935+2154 un peu plus anciennes (148 bouffées datant de 2020) pour les comparer de la même façon avec FRB-X pour savoir si leur échantillon de 24 bouffées n'était pas biaisé. Ils obtiennent les mêmes indications. FRB-X semble bien être une bouffée de rayons X unique parmi les autres bouffées produites par SGR 1935+2154.
Younes et ses collaborateurs se posent alors la question cruciale : comment la bouffée X très particulière qui était associée au FRB peut-elle être aussi différente des autres bouffées X ? Les chercheurs notent que la durée typique des 24 bouffées de rayons X étudiées est comprise entre 0,2 et 2 secondes. Cela implique qu'en considérant une région d'émission ayant un rayon compris entre 10 km et 100 km du centre de l'étoile à neutrons (10 km correspondant à sa surface), des lignes de champ magnétiques fermées sur elles-mêmes sont requises pour piéger le plasma qui en serait à l'origine. Dans ce cas, le plasma possèderait une plage de température effective relativement faible.
D'après les calculs de simple thermodynamique (loi de Stefan-Boltzmann), les astrophysiciens déterminent que la température s'étalerait entre 100 millions de K à la surface de l'étoile à neutrons (R=10 km) et 30 millions de K à R=100 km.. Ce type d'extension pour la source de rayonnement X serait cohérent avec les caractéristiques spectrales qui sont observées par NICER et Fermi-GBM. Une telle géométrie d'émission peut être obtenue par des structures magnétiques qu'on appelle des tubes de flux quasi-équatorial dipolaires, ou des lignes de champ toroïdales torsadées... L'angle solide de ce type d'émission de rayons X serait égal à 2π stéradian pour un observateur distant, donc dans toutes les directions.
La grosse différence de la bouffée FRB-X, c'est l'énergie minimale du spectre qui est 6 fois plus élevée que celle des autres sursauts (84 keV). Elle suggère que la température du plasma s'étale plus que pour les autres bouffées, au moins par un facteur 10. Et la conséquence de ce plus grand étalement de la température est un plus grand étalement spatial de la zone d'émission, qui serait plutôt compris entre 10 km et 1000 km. L'énergie de coupure élevée de 84 keV implique une température au niveau de la surface de l'étoile à neutrons de 1 milliard de K, mais aussi un angle solide d'émission très petit, correspondant à un angle d'ouverture de 1 à 3°. Les chercheurs montrent que, convolué avec la rotation de SGR J1935+2154, une zone d'émission ainsi collimatée par les lignes de champ magnétiques dans un cône aux alentours de 3° peut produire naturellement des variations de flux d'ondes radio sur une échelle temporelle de 30 ms, celle du FRB.
Pour conclure, Younes et son équipe résument ce qu'ils ont compris de la comparaison des bouffées de rayons X de SGR J1935+2154. L'image qui se dégage est que la bouffée de rayons X dans laquelle l'émission thermique de surface domine et qui était coïncidente avec le FRB correspond à un point chaud (très chaud) très localisé à la surface de l'étoile à neutrons, et qui s'est retrouvé fugitivement dans la ligne de visée des observateurs que nous sommes le 28 avril 2020, donnant lieu à la fois à une émission de rayons X et une émission radio dans le plasma entourant l'étoile à neutrons.
Quant à savoir l'origine exacte de l'apparition de ce type de point ultra-chaud, elle est à rechercher du côté des interactions du champ magnétique avec la croûte de l'étoile à neutrons...
Source
Broadband X-ray burst spectroscopy of the fast-radio-burst-emitting Galactic magnetar
G. Younes et al.
Nature Astronomy (18 february 2021)
Illustrations
1) Vue d'artiste du magnétar SGR J1935+2154 (ESA)
2) Diagramme de détection temps-fréquence du FRB 200428 (CHIME/FRB à gauche, ARO à droite) (Collaboration CHIME/FRB)
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