jeudi 4 février 2021

Une exolune glacée mise en évidence par la pollution d'une naine blanche


Une équipe d'astronomes américains vient d'observer une composition chimique très anormale à la surface d'une étoile naine blanche, avec un fort excès en béryllium. Il parviennent à attribuer l'origine de cette pollution à une exolune d'une planète géante orbitant autour de cette naine blanche. Une étude publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

Cette naine blanche est nommée GALEX J2339–0424 (J2339 pour faire court). Elle montre dans son spectre des traces de pollution par des éléments typiques des petits corps rocheux comme le fer, le magnésium ou l'oxygène, mais surtout avec une surabondance étonnante en béryllium, près de 100 fois plus que ce qu'on pourrait attendre d'une composition type de corp rocheux de type chondrite.
Du fait de leur très forte gravité, les éléments plus lourds que l'hélium doivent très vite migrer vers le centre des étoiles naines blanches. Observer une pollution chimique par des éléments lourds indique donc un phénomène  d'accrétion de débris entourant la naine blanche, une accrétion récente. 
Ce sont entre 25 à 50% des naines blanches qui exhibent une pollution par des éléments plus lourds que l'hélium provenant de corps similaires à des astéroïdes ou des comètes. Certains disques de débris ont d'ailleurs déjà été observés directement autour de naines blanches et l'étude de leur composition chimique est devenu un champ de recherche actif. 
Alexandra Doyle (Université de Californie) et ses collègues rappellent pourquoi la présence de béryllium en grande quantité relative est si étonnante. J2339 n'est il est vrai que la deuxième naine blanche qui a été observée avec une telle surabondance en béryllium. C'est que le béryllium, à l'image du lithium et du bore, est un élément qui est très rare à l'échelle cosmologique : il est formé exclusivement par spallation par les rayons cosmiques. La spallation, c'est la destruction partielle d'un noyau d'atome par une particule énergétique. En l'occurrence la voie principale de formation du béryllium est l'interaction d'un proton sur un noyau d'oxygène-16 (8 protons et 8 neutrons), éjectant à son passage 4 protons et trois neutrons pour former un noyau de béryllium-9 (4 protons et 5 neutrons). 
De telles réactions de spallation peuvent également avoir lieu sur le noyau de carbone-12. Le béryllium, le lithium et le bore sont ainsi appelés des nucléides spallogéniques. Ces éléments ne sont pas produits par nucléosynthèse stellaire comme les autres éléments (avec l'exception de l'isotope Li-7) mais au contraire ils sont détruits par les processus nucléaires des étoiles : au dessus de 2,5 millions de K pour le lithium, au dessus de 3,5 millions de K pour le béryllium et au dessus de 5,3 millions de K pour le bore.
Le béryllium est un élément rare dans la croûte terrestre, et comme l'isotope radioactif 10Be (qui a une demi-vie de 1,4 millions d'années) voit sa concentration dans les roches varier en fonction de l'intensité des rayons cosmiques, de leur profondeur et de leur âge, il est souvent utilisé comme un traceur pour faire des datations sur de très longues périodes. On peut citer par exemple la datation de sédiments dans les couches géologiques. Sur Terre, du béryllium est produit de manière continue dans la haute atmosphère par des réactions de spallation de protons sur les atomes de l'oxygène atmosphérique.

Mais revenons à J2339. Comment Alexandra Doyle et ses collègues en sont-ils venus à attribuer cette pollution en béryllium à une exolune glacée détruite puis accrétée par la naine blanche ? Comme on l'a vu, pour fabriquer du béryllium, on a besoin d'une part d'oxygène, et d'autre part de protons suffisamment énergétiques pour briser les noyaux atomiques. Or il existe un endroit où ces deux ingrédients sont rencontrés en abondance : dans les ceintures de radiation des planètes géantes. Dans les anneaux de roches et de glace d'une planète géante comme Saturne, qu'il prennent pour exemple, les chercheurs montrent que la zone dite de la ceinture de radiation, où des particules chargées sont piégées par le champ magnétique intense de la planète (l'équivalent de la ceinture de Van Allen pour la Terre), des protons énergétiques peuvent interagir fortement sur les grains de glace et donc les atomes d'oxygène qu'ils contiennent (H2O, faut-il le rappeler). Les autres sites potentiels de spallation ne permettent pas de produire les flux de protons nécessaires pour atteindre les abondances observées selon Doyle et ses collaborateurs.
Ces grains de glace enrichis en béryllium finiront alors par s'agglomérer pour former une exolune autour de l'exoplanète géante, selon les astronomes, et cette exolune finira sa vie en étant éjectée de sa planète puis capturée par l'étoile après que celle-ci ait évoluée en naine blanche.
Le degré d'enrichissement d'une exolune en éléments spallogéniques va dépendre du flux de protons et de l'efficacité de piégeage de la magnétosphère de la planète. Les calculs de l'équipe de Doyle fournissent une estimation des excès en nucléides spallogéniques qui doivent apparaître dans les lunes glacées formées dans des anneaux autour d'exoplanètes comme Saturne, et aussi dans le cas de notre système solaire lui-même. Les satellites de Saturne de taille moyenne apparaissent comme de bons analogues de ce qui a dû se passer autour de J2339, étant donnés leur masse et leur densité. Les chercheurs prédisent ainsi que les satellites comme Mimas doivent être enrichis en béryllium, en bore et en lithium.
Le fait que le lithium et le bore ne soient pas observés à la surface de J2339 viendrait du fait qu'il sont plus difficiles à détecter selon Doyle et ses collaborateurs, le lithium s'ionisant plus facilement et le bore devant avoir des raies dans l'UV difficiles à distinguer. Leur abondance est aussi dépendante de la température de la naine blanche.

Il existe plusieurs façon de détecter la présence d'exolunes ou d'anneaux autour d'exoplanètes, mais observer une pollution de l'étoile en béryllium est peut-être la méthode indirecte la plus subtile...


Source

Icy Exomoons Evidenced by Spallogenic Nuclides in Polluted White Dwarfs
Alexandra E. Doyle et al.
The Astrophysical Journal Letters, 907 L35 (1 february 2021)


Illustration

1) Schéma du processus de spallation apparaissant dans les anneaux glacés d'une exoplanète et formant du béryllium (Doyle et al.)

2) Schéma de la spallation de l'oxygène 16 par un proton, formant du béryllium 9 et des particules secondaires.

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