jeudi 11 février 2021

Un seul gros trou noir ou une multitude de petits dans le coeur de l'amas globulaire NGC 6397 ?


Qu'y a-t-il au coeur  de l'amas globulaire NGC 6397 ? Un gros trou noir de plusieurs de milliers de masses solaires ou plusieurs milliers de trous noirs de quelques de masses solaires ? C'est à cette question que se sont attaqués deux astrophysiciens de l'Institut d'Astrophysique de Paris. Ils publient leur résultat dans Astronomy&Astrophysics

Eduardo Vitral et Gary Mamon ont cherché à mettre en évidence la présence d'un trou noir de masse intermédiaire (entre 100 et 100 000 masses solaires) au centre de NGC 6397, via une analyse poussée de la dynamique des étoiles qui composent son coeur. Les chercheurs ont utilisé des méthodes statistiques élaborées (des méthodes bayesiennes) pour estimer les caractéristiques de la densité de matière qui forme la région centrale de l'amas globulaire. Leur algorithme qu'ils ont appelé MAMPOSST-PM est un code de calcul qui ajuste des formes paramétrées de profils radiaux de masse et d'anisotropie de vitesse avec la distribution des étoiles d'un amas globulaire, dans un espace de phases à 2, 3 ou 4 dimensions.
Ils ont fondé leurs données d'entrée sur des observations effectuées avec le télescope spatial Hubble et le télescope Gaia. NGC 6397 est un amas globulaire peuplé d'environ 400 000 très vieilles étoiles, qui se situe à 7800 années-lumière, ce qui en fait l'un des amas globulaires les plus proches de nous au sein de la Voie Lactée.  Et NGC 6397 a la particularité d'avoir traversé de nombreuses fois le disque galactique, la dernière fois remontant à seulement 4 millions d'années. Cet amas est classé dans le catégorie des amas à "coeur effondré" car il montre une région centrale très dense en étoiles. C'est aussi pour cette raison que l'on pensait qu'il devait contenir un gros trou noir au centre, suite au collapse de nombreuses étoiles et objets compacts depuis plusieurs milliards d'années.
Partis à la recherche d'une preuve de l'existence de ce trou noir très massif donc, Vitral et Mamon ont analysé les positions et les vitesses des étoiles de l'amas. Avec la connaissance précise de la distance de l'amas, les astronomes peuvent aisément convertir les mouvements propres observés en vitesses. Les chercheurs ont alors observé que les orbites des étoiles dans NGC 6397 sont plus proches d'une distribution isotrope que d'une distribution qui suivrait une symétrie circulaire ou autre. Il y avait là clairement une indication d'une forte masse invisible, correspondant à environ 0,8 à 2% de la masse totale de l'amas. Mais contrairement à ce à quoi on pouvait s'attendre, la masse invisible centrale paraît s'étaler de manière diffuse et n'est pas concentrée en un point...
La composante invisible, qui fait entre 1000 et 2000 M⊙, est concentrée dans une région qui s'étale sur 6 secondes d'arc, ce qui fait 2% du rayon stellaire de l'amas. Pour les chercheurs, il ne peut donc pas s'agir d'un seul gros trou noir, mais d'une multitude de petits objets compacts, des résidus de type naines blanches, étoiles à neutrons ou trous noirs. Ces objets compacts seraient nés un peu partout dans l'amas globulaire puis auraient progressivement migré vers le centre de l'amas à la faveur d'interactions gravitationnelles avec des étoiles moins massives, ce qu'on appelle une friction dynamique. Mais quelle serait la nature exacte de ces objets compacts ?
Pour tenter de faire le tri entre les différents types d'objets pouvant former cette masse invisible, Vitral et Mamon ont alors utilisé la théorie de l'évolution stellaire et ils arrivent à la conclusion que la concentration d'objets compacts qui est mise en évidence doit être majoritairement composée de trous noirs stellaires, et pas de naines blanches ou d'étoiles à neutrons trop faiblement lumineuses pour être détectées.... Mais cette conclusion est valide sauf si plus de 25% de ces trous noirs s'échappent de l'amas.
Cette étude est la première qui fournit ainsi à la fois la valeur de la masse invisible d'un amas globulaire à coeur effondré et son extension spatiale, menant vers la nature de cette grande masse invisible. La conclusion de Vitral et Mamon est confortée selon eux par des résultats d'études antérieures qui avaient montré que si un gros trou noir de l'ordre de 1000 masses solaires devait connaître de multiples fusions avec des petits trous noir au coeur d'un amas globulaire très dense, les ondes gravitationnelles produites à chaque fois de manière asymétrique, devraient finir par induire sur le gros trou noir une vitesse de recul qui pourrait atteindre environ 50 km/s, alors que la vitesse de libération dans ce type d'amas est typiquement d'environ 20 km/s. Il ne devrait donc pas rester beaucoup de trous noirs de masse intermédiaire encore logés au coeur d'amas globulaires denses, selon ces modèles. 

Les deux astrophysiciens concluent leur article en précisant que des populations denses de trous noirs stellaires dans des coeurs d'amas globulaires peuvent être des sources importantes de trains d'ondes gravitationnelles comme ceux qui sont détectées par LIGO/Virgo depuis 2015. Et les futurs observatoires d'ondes gravitationnelles comme LISA (en orbite) pourront toujours chercher la présence de gros trous noirs de masse intermédiaire dans les amas globulaires. Car tous les amas ne sont peut-être pas comme NGC 6397...


Source

Does NGC 6397 contain an intermediate-mass black hole or a more diffuse inner subcluster?
Eduardo Vitral and Gary A. Mamon
Astronmy&Astrophysics  Volume 646, A63 (11 February 2021)


Illustration

NGC 6397 imagé avec le télescope de 2,2 m de l'observatoire de La Silla (ESO)

2 commentaires :

Anonyme a dit…

le scxénario d'une l'expulsion probable de trous noirs intermédiaires (?)
n'est pas claire, en parlant d'un recul d'un gros trou noir central suite à une fusion. un recul par rapport à l'ensemble de l'amas, ce qui laisse entendre une expulsion de ce gros trou noir central hypothétique ?

Dr Eric Simon a dit…

Oui, lors des fusions entre trous noirs, les ondes gravitationnelles émises ne sont pas parfaitement isotropes (identiques dans toutes les directions), il s'en suit un effet sur le trou noir résultant : celui-ci est mis en mouvement. Il "recule". Et cet effet est d'autant plus prononcé que la fusion a eut lieu entre deux trous noirs de masse très différente.Et pour qu'un objet reste lié gravitationnellement dans un amas globulaire, il ne doit pas dépasser la vitesse de libération. Or, le recul des trou noirs de masse intermédiaire peut effectivement dépasser cette vitesse...