Le 9 octobre 2022, un sursaut gamma hors norme a été détecté par la sonde Voyager 1 qui se trouve aux confins du système solaire. 19 heures plus tard, ce sont des télescopes en orbite terrestre qui ont déclenché une alerte. Ce sursaut gamma, nommé désormais GRB 221009A, s'est révélé être d'une luminosité extrême et l'analyse de son signal prompt et rémanent est aujourd'hui analysée et démontre que ce GRB mérite bien son surnom de BOAT qui lui avait été très vite donné : the Brightest Of All Time. Plus exactement, d'après les calculs à partir des sursauts gamma connus depuis 50 ans, un tel sursaut doit arriver une fois tous les 10 000 ans... Une série de 8 articles lui sont consacrés dans The Astrophysical Journal Letters.
Après avoir été détecté par la sonde Voyager 1 et avant d'arriver au niveau des télescopes Fermi et Swift, le flux de photons gamma avait également été détecté par le télescope Gaia qui se trouve au point de Lagrange L2 situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, puis par le satellite INTEGRAL, un ancien observatoire de rayons gamma en orbite à 60 000 km de la Terre.
Le sursaut gamma a également été détecté par des sondes en orbite autour de Mars : Maven et Mars Odyssey. En comparant l'émission prompte de GRB 221009A avec celle de cinq précédents sursauts gamma les plus énergétiques, on ne distingue qu'à peine le signal des précédents... Le BOAT était si brillant qu'il a aveuglé la plupart des instruments à rayons gamma spatiaux, y compris le satellite Fermi. Les données promptes ont même du être reconstruites a posteriori à partir du signal de rémanence. Avant cet événement, aucun sursaut gamma n'avait jamais été mesuré à plus 500 000 photons gamma par seconde. Mais GRB 221009A a culminé à plus de 6 millions de photons par seconde et a duré en tout pendant environ 7 minutes. Même si GRB 221009A fait partie des sursauts gamma les plus proches, puisqu'il se trouve à seulement 1,9 à un milliard d'années-lumière de distance, c'est de loin le sursaut intrinsèquement le plus brillant et énergétique que nous ayons jamais vu.
Les différents articles publiés aujourd'hui tentent d'apporter des explications sur l'origine possible de ce sursaut gamma exceptionnel et sa particularité, à partir de très nombreuses observations qui ont eu lieu très peu de temps après l'alerte du 9 octobre dernier. Des campagnes d'observations dans de multiples longueurs d'onde, y compris une recherche de neutrinos, ont été menées.
Étant donné que les sursauts gamma n'émettent généralement des rayons gamma que pendant une courte période, puis cèdent la place à une rémanence en rayons X, ultraviolets, optiques, infrarouges et radio du spectre, il existe une formidable opportunité d'observer ces détails. L'émission prompte contient souvent suffisamment d'informations pour localiser la source dans le ciel, ce qui permet ensuite le suivi du signal de rémanence. On pense que les GRB à longue période comme celui-ci proviennent principalement d'une supernova à effondrement de cœur, qui produit un trou noir avec des jets hautement collimatés, et on pense aussi que les sursauts gamma les plus brillants sont observés lorsque ces jets pointent directement vers nous. Malheureusement, la galaxie dans laquelle s'est produit le BOAT il y a près de 2 milliards d'années se trouve être située presque parfaitement dans le plan de notre Voie Lactée, derrière ses régions centrales poussiéreuses. Cela a pour fâcheuse conséquence que la lumière visible et infrarouge est trop fortement absorbée pour que l'on puisse observer clairement la lumière caractéristique d'une supernova à effondrement de coeur, le progéniteur attendu de ce type de sursaut gamma.
En revanche, les ondes radio et les rayons X de la rémanence qui a pu être observés pendant plusieurs semaines avant que la source ne se retrouve trop près du Soleil sur le ciel ont fourni des très intéressantes données. Les rayons X ont par exemple subi des diffusions multiples sur la poussière de notre propre galaxie, ce qui a généré des structures annulaires caractéristiques (et très esthétiques), et l'analyse de ces anneaux de rayons X issus de diffusions observés avec XMM-Newton a permis à une équipe italienne menée par Andrea Tiengo (université de Pavie) de déterminer la distribution de la poussière de la Voie Lactée et de montrer que son disque n'était pas parfaitement plan mais légèrement tordu. Ils ont identifié 21 anneaux dont le diamètre évolue au cours du temps, reflétant la diffusion des rayons X à différentes distances, et qui correspondaient à des zones de poussières situées entre 700 années-lumière à 61 000 années-lumière. Les chercheurs italiens ont même pu déterminer la nature de ces grains de poussière, en grande partie composés de graphite.
Et la rémanence elle-même est très intéressante en raison de la singularité de son comportement sur différents longueurs d'onde. En règle générale, les sursauts gamma suivent un schéma qui lie leur comportement aux différentes longueurs d'onde : des ondes radio à grande longueur d'onde à la lumière visible en passant par les rayons X.
Mais GRB 221009A se trouve être singulier car il ne suit pas le modèle standard : c'est le sursaut gamma le plus brillant jamais vu dans les rayons gamma, on l'a dit, et aussi l'objet le plus brillant dans les rayons X. Mais quand il s'agit des ondes radio, il apparaît plus que banal parmi les GRB, et même en limite basse comparé aux autres GRB. Tanmoy Laskar (université de l'Utah) et ses collaborateurs font l'analyse du spectre dans toutes les longueurs d'ondes disponibles. Ils en déduisent que les données peuvent être partiellement expliquées par l'existence d'un choc avant d'un jet relativiste hautement collimaté interagissant avec un milieu de type vent à faible densité. Selon ce modèle, l'énergie cinétique est typique de la population des GRB. Mais les données radio et millimétriques apportent de fortes contraintes limitantes sur le modèle du choc avant, elles nécessitent la présence d'une composante d'émission supplémentaire. À partir d'arguments d'équipartition,, Laskar et ses collaborateurs estiment que l'émission radio est probablement produite par une petite quantité de matière (≲6 × 10−7 M⊙ ) se déplaçant de manière relativiste (Γ ≳ 9) avec une grande énergie cinétique (≳1049 erg). Cependant, l'évolution temporelle de cette composante ne suit pas ce qui serait attendu pour le rayonnement synchrotron à partir d'une seule distribution d'électrons, ou une population d'électrons thermiques, suggérant peut-être que l'une des hypothèses standard de la théorie de la rémanence serait violées. Les chercheurs précisent que comme le signal rémanent de GRB 221009A restera probablement détectable avec les radiotélescopes pendant plusieurs années, il offrira une précieuse opportunité de suivre le cycle de vie complet d'un puissant jet relativiste.
Michela Negro (université du Maryland) et ses collaborateurs ont quant à eux observé GRB 221009A avec le tout nouveau télescope polarimètre à rayons X IXPE. IXPE a été pointé sur GRB 221009A le 11 octobre pour observer, pour la première fois, la polarisation des rayons X de 2 à 8 keV d'une rémanence GRB. Les chercheurs ont pu déterminer pour la première fois des limites supérieures sur le degré de polarisation linéaire de l'émission rémanente d'un GRB dans la bande d'énergie des rayons X mous (entre 2 et 8 keV). Ils trouvent que le degré de polarisation de l'émission rémanente est inférieure à 13,8 %. Ce résultat fournit des informations sur l'angle d'ouverture du jet et l'angle de vision du GRB, et d'autres propriétés de la région d'émission.
L'angle d'ouverture du cône formant le jet est le plus petit jamais trouvé, à peine 1,5°. Et cela explique en partie la très forte luminosité gamma observée : le jet est très fortement collimaté, ce qui implique que toute l'énergie était focalisée dans une petite région de l'espace. Et l'autre raison, c'est aussi que la Terre se trouvait quasi au centre du cône d'émission. Les astrophysiciens ont pu déterminer que la ligne de visée devait se trouver au maximum à 2/3 de l'angle d'ouverture du cône.
Michael Fulton (université Queens à Belfast) et ses collaborateurs et Manisha Shrestha (université de l'Arizona) et ses collaborateurs, ont chacun de leur côté cherché des traces de la supernova qui aurait donné naissance à ce GRB, en faisant des mesures de photométrie pour les premiers et de spectroscopie pour les seconds. Certains GRB passés ont montré des bosses dans la courbe de lumière visible qui coïncident avec l'émergence de caractéristiques spectrales de supernova. Les chercheurs sont donc partis à la recherche de ce signal mais ils ne trouvent aucune caractéristique spectrale significative de supernova. En supposant que la rémanence optique du GRB décroit au même rythme que les données de rayons X, la combinaison de la rémanence et d'une composante de supernova devrait être plus faible que la luminosité GRB observée. Shrestha et al. montrent que dans le cas où on suppose que la loi de puissance la mieux adaptée aux données optiques est la composante de rémanence GRB, une contribution de supernova aurait dû créer une nette bosse dans la courbe de lumière, en supposant uniquement l'extinction par la poussière de la Voie Lactée. Si on suppose une extinction plus élevée, la contribution de la supernova aurait pu être difficile à détecter. Il faut préciser aussi que les spectres ont été acquis à peu près au moment du maximum de lumière attendue pour la supernova. Selon Shrestha et ses collaborateurs, l'absence de supernova brillante associée à GRB 221009A peut indiquer que l'énergie de l'explosion est principalement concentrée dans le jet, laissant un budget énergétique inférieur disponible pour la supernova.
Mais Michael Fulton et ses collaborateurs, eux, pensent avoir trouvé une petite trace de la supernova dans le signal de rémanence. Ils ont obtenus des données entre 0,9 à 59,9 jours après les détections de Swift et Fermi. En plus de l'extinction élevée de la poussière de la Voie Lactée au premier plan, les données favorisent une extinction supplémentaire pour modéliser de manière cohérente le flux optique. Fulton et ses collaborateurs trouvent un excès de lumière après 6 jours, qui culmine à environ 20 jours. Cet excès semble partager les profils de courbe de lumière de deux supernovas de type Ic qui sont nommées SN 2016jca et SN 2017iuk, une fois corrigées pour le décalage vers le rouge du GRB (z = 0,151) et mises à l'échelle arbitrairement. Selon Fulton et ses collaborateurs, cet excès de lumière peut être représentatif d'une supernova émergeant de la rémanence décroissante. En considérant qu'il s'agit d'une composante produite par une supernova, la modélisation bayésienne du flux excédentaire leur permet de calculer quelques paramètres de l'explosion : la masse de l'éjecta serait égale à 7,1 M⊙, la masse de Nickel produite aurait été de 1 M⊙, et la vitesse de l'éjecta serait dans ce cas de 33 900 km/s (10% de la vitesse de la lumière...). De ces paramètres, ils en déduisent l'énergie totale de l'explosion qui serait comprise entre 2,6 et 9,0 1052 erg. Ils l'ont ainsi dénommée officiellement SN 2022xiw. Ses paramètres sont similaires à ceux des supernovas de type Ic les plus énergétiques associées à des sursauts gamma, qu'on appelle des hypernovas. Pour confirmer cette conclusion, qui est fondée sur des données associées à une grande incertitude du fait de l'absorption de notre galaxie, il sera toutefois nécessaire d'effectuer de nouvelles analyses à toutes longueurs d'onde, afin de mieux modéliser le comportement attendu de la rémanence optique.
Et il n'y a pas que dans le spectre électromagnétique que ce sursaut gamma hors norme a été investigué. Les physiciens des astroparticules de la collaboration IceCube ont eux aussi proposé leurs services pour tenter de trouver une contrepartie en neutrinos à cet événement. Les sursauts gamma ont en effet longtemps été considérés comme une source possible de neutrinos de haute énergie. Et bien qu'aucune corrélation n'ait encore été détectée entre les neutrinos de haute énergie et les GRB, GRB 221009A est le premier à être observé au-dessus d'une énergie de 10 TeV, ce qui a on le comprend alléché les spécialistes des neutrinos astrophysiques en leur offrant une opportunité unique pour tester l'émission hadronique dans les supernovas, source de neutrinos très énergétiques.
Rasha Abbasi et ses collaborateurs ont recherché dans les données du grand détecteur antarctique s'il y avait eu des traces de neutrinos à la date du GRB et dans sa direction, pour des énergies très larges comprises entre le MeV et le PeV. Malheureusement (ou pas), il ne trouvent aucun écart significatif par rapport au bruit de fond attendu, ce qui leur permet donc de placer des limites supérieures strictes sur l'émission de neutrinos de cette source. Une non détection est une information très précieuse aussi. Les recherches précédentes d'IceCube sur l'émission conjointe de neutrinos des GRB ont montré que l'émission de neutrinos de haute énergie pendant la phase rapide des GRB est limitée à moins de 1 % du flux de neutrinos diffus de haute énergie observé par IceCube. On ne peut pas gagner sur tous les tableaux hélas.
Pour finir, Eric Burns (Louisiana State University) et ses collaborateurs ont comparé GRB 221009A avec tous les GRB qui ont été détectés depuis le premier à la fin des années 1960.
Ils concluent que GRB 221009A est bien le sursaut gamma le plus brillant jamais identifié à la fois en fluence et en flux de pointe, de loin. Il s'agit aussi du sursaut avec l'énergie isotrope la plus élevée jamais identifié. Ces extrêmes intrinsèques ne s'expliquent pas par un biais d'observation. Ils identifient trois GRB analogues potentiels dont l'étude pourrait s'avérer fructueuse : GRB 990123 pour son angle de cône du jet inhabituellement petit de 2°, GRB 160625B pour la forme de sa courbe de lumière et sa luminosité isotrope, et GRB 840304 pour sa fluence très élevée et sa longue durée.
Burns et son équipe, à partir de ces milliers de GRB archivés, ont calculé quel est le temps de récurrence d'un sursaut aussi extrême que GRB 221009A. Il est de l'ordre de 10 000 ans. Il faudra attendre 10000 ans pour revoir un GRB de ce type... Il y a donc de fortes chances que ce soit le sursaut le plus brillant arrivé sur Terre depuis le début de la civilisation. En conclusion, et ça sera aussi la nôtre, Eric Burns et ses collaborateurs remercient l'Univers d'avoir assuré un timing parfait pour ce sursaut, juste après l'invention des détecteurs de GRB et pendant leurs carrières de chercheurs. Ils portent en revanche une réclamation en demandant à l'Univers que le prochain sursaut gamma record ne soit pas aligné avec le plan galactique... En attendant, les observations du signal rémanent de GRB 221009A vont se poursuivre.
Sources
The Power of the Rings: The GRB 221009A Soft X-Ray Emission from Its Dust-scattering Halo
Andrea Tiengo et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 946, Number 1 (28 march 2023)
The Radio to GeV Afterglow of GRB 221009A
Tanmoy Laskar et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 946, Number 1 (28 march 2023)
The IXPE View of GRB 221009A
Michela Negro et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 946, Number 1 (28 march 2023)
The Optical Light Curve of GRB 221009A: The Afterglow and the Emerging Supernova
M. D. Fulton et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 946, Number 1 (28 march 2023)
Limit on Supernova Emission in the Brightest Gamma-Ray Burst, GRB 221009A
Manisha Shrestha et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 946, Number 1 (28 march 2023)
Limits on Neutrino Emission from GRB 221009A from MeV to PeV Using the IceCube Neutrino Observatory
R. Abbasi et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 946, Number 1 (28 march 2023)
GRB 221009A: The BOAT
Eric Burns et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 946, Number 1 (28 march 2023)
Illustrations
1. Schéma de l'émission d'un GRB (NASA Goddard Space flight center)
2. Les anneaux de rayons diffusés sur des structures de poussière galactiques (ESA/XMM-Newton/M. Rigoselli (INAF))
3. Courbe de luminosité en ondes radio à gauche et en rayons X à droite comparée avec la population des GRB (Laskar et al.)
4. GRB 221009A (Gemini Observatory/NOIRLab/NSF/AURA/B. O’Connor (UMD/GWU) & J. Rastinejad & W Fong (Northwestern Univ); Image processing: T.A. Rector (University of Alaska Anchorage/NSF’s NOIRLab), J. Miller, M. Zamani & D. de Martin (NSF’s NOIRLab)
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Superbe !
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