jeudi 23 novembre 2023

Détection de méthane dans l'atmosphère d'une exoplanète (grâce au télescope Webb)


Le télescope spatial Webb a permis de déterminer la composition atmosphérique de l'exoplanète WASP-80b grâce à la fois au spectre de son étoile hôte vu en transmission lors du début du transit et au spectre de la planète vu en émission juste avant qu'elle ne soit éclipsée. Dans leur article paru dans Nature, les astrophysiciens révèlent pour la première fois la présence tant recherchée de méthane. 

La science des exoplanètes est désormais entrée dans une ère de caractérisation atmosphérique. Ces études se concentrent généralement sur des molécules riches en oxygène et en carbone, comme l'eau, le dioxyde de carbone, le monoxyde de carbone et le méthane. Cependant, les télescopes spatiaux n’ont jamais trouvé de méthane dans l’atmosphère d’une exoplanète en orbite proche de son étoile hôte. C'est désormais chose faite grâce au télescope Webb qui n'est plus à une prouesse près. Taylor Bell (NASA Ames Research Center)  et ses collaborateurs se sont focalisés sur WASP-80b pour rechercher la présence de méthane.
WASP-80b est une planète géante gazeuse qui orbite autour d’une petite étoile rouge tous les trois jours environ. Bien qu’elle ait à peu près la taille de Jupiter, WASP-80b n’a qu’environ la moitié de sa masse. Et WASP-80b est en orbite vérouillée : elle présente toujours le même hémisphère à son étoile. Et WASP-80b est chaude : 851 K. La découverte de WASP-80b en 2012 a été rendue possible grâce à la taille relativement grande de la planète par rapport à son étoile, et c'est ce qui fait également de WASP-80b une bonne candidate pour les études atmosphériques que les scientifiques ont entreprises avec des télescopes au sol et dans l'espace.
Jusqu'à présent, les observations de télescopes spatiaux avaient révélé un faible signal d'eau et une détection potentielle de dioxyde de carbone, mais aucun méthane. Mais des observations au sol en 2022 avaient détecté des indices de méthane dans l'atmosphère au niveau du terminateur de WASP-80b (la ligne entre les côtés sombres et illuminés de la planète). 

La perspective de trouver du méthane dans l’atmosphère d’une exoplanète est importante pour plusieurs raisons. Premièrement, le méthane joue un rôle central dans la détermination de la teneur en carbone des planètes géantes du système solaire, de sorte que des mesures précises de cette molécule dans les atmosphères exoplanétaires offrent une base pour comparer nos planètes géantes avec des planètes en orbite autour d’autres étoiles, et, en particulier, leurs voies de formation et de migration. Deuxièmement, le méthane présent dans une atmosphère peut être interprété comme un signe potentiel de vie. Mais la seule présence de méthane ne suffit pas à déclarer une planète habitée, car des processus non biologiques peuvent également générer cette molécule de CH4. En revanche, la présence de méthane mélangé à d’autres gaz comme le dioxyde de carbone, pourrait être plus difficile à expliquer uniquement par des processus non biologiques. 
Le méthane est part ailleurs particulièrement suggestif dans les atmosphères qui contiennent peu de monoxyde de carbone, que la vie microbienne consomme en grande quantité.

Pendant le transit de WASP-80b devant son étoile, Bell et ses collègues ont enregistré le spectre à l'aide de la caméra proche infrarouge NIRCam et son filtre F322W2, les 28 et 29 octobre 2022, puis ils l'ont comparé avec le spectre de l'étoile hors transit. Ainsi, en comparant les deux spectres acquis et en analysant les fréquences manquantes lors du transit de WASP-80b, les chercheurs ont pu déduire la composition atmosphérique de la planète au niveau de son terminateur. Et une comparaison similaire a également été faite pour la composition du « côté jour » de la planète alors qu'elle se déplaçait derrière l'étoile hôte. En utilisant cette technique de double observation, les auteurs ont trouvé une signature compatible avec le méthane dans l’atmosphère à la fois au niveau du terminateur et du côté jour. Les mesures montrent non seulement des traces de méthane, mais aussi de l'eau. Bell et ses collaborateurs trouvent une abondance en méthane qui est cohérente entre les données obtenues en transmission sur le terminateur et celles obtenues sur l'hémisphère diurne au moment de l'éclipse : log(CH4)= -3.9 et -4,2 respectivement. La concentration de méthane semble être la même dans les deux régions de la planète. Ceci est en accord avec les prédictions théoriques  concernant les exoplanètes chaudes qui doivent montrer des gradients de température longitudinaux minimaux et donc un bon mélange atmosphérique.

Dans les exoplanètes chaudes, les modèles chimiques prédisent que le méthane doit être la principale espèce carbonée. Le manque de détections robustes de CH4 à ce jour avait conduit à des études théoriques sur des mécanismes permettant d'épuiser le CH4 dans les atmosphères des exoplanètes, tels qu'influencés par une métallicité élevée, un faible rapport C/O et un flux de chaleur interne élevé. Mais cette détection définitive de CH4 dans l'atmosphère de WASP-80b avec la spectroscopie de Webb à basse résolution soulève maintenant la question de savoir dans quelle mesure les non-détections passées ont été affectées par la précision et la couverture de longueur d'onde clairsemée obtenues avec Hubble et Spitzer. Les futures études du programme MANATEE qui débute exploreront les spectres de transmission et d'émission de WASP-80b sur une large bande de 4 à 12 μm, ce qui devrait fournir des contraintes de composition plus précises pour la planète. Et d'autres exoplanètes chaudes sont également ciblées dans le programme MANATEE, y compris celles dans lesquelles Hubble et Spitzer n'avaient pas pu détecter le CH4 (GJ 436b et GJ 3470b) et d'autres dont on peut s'attendre à ce qu'elles en contiennent, comme WASP-69b et WASP-107b. 

Le CH4 est l'espèce gazeuse qui a été utilisée pour limiter l'abondance de carbone des planètes géantes du système solaire. Grâce à cette détection robuste avec Webb, les astrophysiciens vont pouvoir commencer à relier directement les exoplanètes chaudes et les planètes géantes du système solaire. Une mesure précise des rapports de mélange de gaz et de volume dans WASP-80b et d'autres planètes permettra aussi des analyses plus quantitatives de leurs compositions atmosphériques et de leurs voies de formation. Cela permettra également des enquêtes plus approfondies sur les processus de déséquilibre et de migration planétaires. 

Source

Methane throughout the atmosphere of the warm exoplanet WASP-80b
Taylor J. Bell et al.
Nature volume 623 (22 november 2023)
Illustrations

1. Schéma des configurations des observations avec Webb (Nature)
2. Spectres en transmission et en émission enregistrés par les auteurs  (Bell et al.)
3. Taylor Bell

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