jeudi 16 novembre 2023

Découverte d'un LFBOT qui se répète , une première !


Il y a un un peu plus d'un mois (épisode 1557), je vous relatais la découverte d'un sursaut de lumière de type LFBOT (Luminous Fast Blue Optical Transient) qui est atypique car esseulé loin de sa galaxie. Aujourd'hui, un autre LFBOT encore plus atypique vient d'être découvert : celui-là produit des flashs à répétition... L'étude vient de paraître dans Nature

Les LFBOT sont affublés de noms d'animaux depuis la découverte du premier du genre en 2018 qui est appelé "the Cow" ("la vache"), à cause de son nom AT2018cow...  On a par exemple the Koala (ZTF18abvkwla), the Camel (ZTF20acigmel) ou encore celui dont nous avons parlé le mois dernier "the Finch" ("le pinson"). Le LFBOT d'aujourd'hui est appelé The Tasmanian Devil (à cause du "tsd" à la fin de son nom de catalogue : AT 2022tsd), le Diable de Tasmanie, donc, qui a été découvert en septembre 2022 Les LFBOT font partie des événements visibles les plus brillants de l’univers mais ils sont très rares. En moyenne, un seul par an a été découvert depuis 2018. Ces événements transitoires ressemblent aux supernovas, devenant rapidement extrêmement brillants mais ils disparaissent ensuite très vite, en quelques jours seulement, contrairement aux supernovas qui prennent des semaines ou des mois pour disparaître. La vache s'est fait remarquée car elle était 100 fois plus brillante qu'une supernova, avant de s'atténuer en quelques jours seulement, un processus qui prend des semaines pour une supernova classique.

La meilleure explication à ce jour qui a été trouvé pour expliquer ces LFBOT est un type spécial de supernova provenant d’étoiles extrêmement massives. Mais l'étude du mois dernier menait plutôt sur la piste d'une destruction d'étoile par un trou noir massif pour le Finch... Mais voilà donc le Diable de Tasmanie qui vient rebattre les cartes qui avaient été patiemment disposées depuis quelques mois... 

Anna Ho (Université de Cornell) et ses collaborateurs ont observé le ciel sur une longue durée autour de la position de AT 2022tsd (la première éruption), plusieurs mois après à l'aide de nombreux télescopes. Et ils ont observé en tout 14 flashes de lumière provenant de ce LFBOT démoniaque situé à 1,34 Gigaparsecs (4,37 milliards d'années-lumière). Chacune de ces éruptions ne durait que quelques minutes, et avait une luminosité comparable à la toute première. C'est la première fois que l'on observe une telle répétition sur un LFBOT. Les chercheurs utilisent ce comportement étonnant pour une telle éruption pour essayer de trouver une explication. Le fait que cela se répète est une indication qu'il ne s'agit pas d'un cataclysme qui détruirait l'objet source... Mais Ho et ses collaborateurs penchent tout de même vers un mécanisme impliquant un trou noir. 

Les éruptions qu'ils ont observées sont très énergétiques et probablement non thermiques, selon eux. Cela implique qu'elles proviennent d'un écoulement ou d'un jet quasi-relativiste. Le signal répétitif qui est vu pourrait être l'équivalent du jet d'un quasar lorsqu'il est vu dans le ligne de visée (c'est à dire un blazar), mais dont la source aurait un mouvement de rotation ou de précession, ce qui aurait pour effet de changer la direction du jet à l'échelle de quelques semaines, et donc de ressembler au phénomène des pulsars dont le faisceau d'ondes radio balaye l'espace en fonction de la rotation de l'étoile à neutrons. Le jet relativiste ici pourrait avoir été provoqué par la naissance d'un nouveau trou noir ou bien par la destruction d'une étoile suivie par l'accrétion de son gaz autour du trou noir massif. 

Il faut dire que plusieurs transitoires de type LFBOT ont déjà montré des indices d'une source d'énergie à longue durée de vie, ainsi qu'une variabilité des rayons X, une émission ultraviolette prolongée, une oscillation quasipériodique des rayons X et des indications de vitesses rapides (mais subrelativiste) des éjectas radio-émetteurs. Mais Ho et son équipe précisent qu'ils ne trouvent aucune périodicité claire entre ou au sein des éruptions dans l'émission optique ou de rayons X. Et ils n'ont identifié aucune contrepartie à haute énergie de type sursaut gamma (GRB) dans les multiples éruptions du diablotin. 

Anna Ho et ses collaborateurs concluent que les éruptions de AT2022tsd sont issues d’un écoulement quasi-relativiste alimenté par un objet compact sur une période de 100 jours. Pour eux un trou noir supermassif est hautement improbable étant donné la localisation d'AT2022tsd à 6 kpc du noyau d'une galaxie en formation d'étoiles. Les modèles les plus probables selon eux sont l'effondrement d'une étoile supergéante qui produit un trou noir dans un environnement très riche en matière à accréter, la destruction maréale d'une étoile de Wolf-Rayet par un objet compact (trou noir ou étoile à neutrons), ou la destruction maréale d'une naine blanche par un trou noir de masse intermédiaire. Dans ces trois cas, des jets polaires se forment et pourraient être animés d'une rotation de leur axe. 

L'observatoire Vera Rubin, qui doit commencer à enregistrer l'évolution du ciel l'année prochaine, devrait trouver 10 à 100 fois plus de LFBOT que le nombre que nous connaissons aujourd'hui, et très peu de temps après leur explosion initiale. Si les saloperies de starlinks lui en laisse l'opportunité... 


Source

Minutes-duration optical flares with supernova luminosities

Anna Y. Q. Ho, et al.

Nature (15 november 2023)

https://doi.org/10.1038/s41586-023-06673-6


Illustrations

1. Vue d'artiste d'un LFBOGT  (Bill Saxton, NRAO/AUI/NSF)

2. Exemple de deux éruptions observées par deux télescopes différents le 15 décembre et le 19 décembre 2022 (Ho et al.)

3. Anna Ho

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