29/11/23

Détection d'une particule de 244 milliards de GeV, soit 40 Joules

Une astroparticule dont l'énergie se mesure en Joules plutôt qu'en électron-volts, c'est ce qu'ont observé les chercheurs de la collaboration américaine Telescope Array, avec une particule d'environ 244 Exa-électronvolts, soit 244 milliards de GeV, ce qui fait 40 joules : 10 million de fois plus énergétique que les protons les plus énergétiques produits par le LHC au CERN... Il s'agit de la deuxième particule du genre à être détectée, après la fameuse particule surnommée Oh My God détectée en 1991. On ne comprend évidemment pas d'où peuvent provenir ces particules ultra-hyper-énergétiques. L'étude est parue dans Science.  


C'est le rayon cosmique le plus énergétique observé depuis plus de trois décennies. Mais l’origine exacte de cette particule reste un mystère, certains suggérant qu’elle pourrait avoir été générée par une physique encore inconnue. La particule Oh My God avait une énergie estimée de 320 ExaeV (1018 eV), celle-ci est un peu moins énergétique, avec 244 ± 29 exa-électronvolts. 
Plus les rayons cosmiques ont une énergie élevée, plus ils sont rares. On estime que les rayons cosmiques d’une énergie supérieure à 100 EeV doivent avoir un flux sur Terre d'une particule par km² par siècle. 
Parmi les événements de rayons cosmiques de très haute énergie qui ont été détectés précédemment, outre la Oh My God de 320 EeV de 1991, on peut citer une particule de 213 EeV en 1993 et une particule de 280 EeV en 2001. L'événement de 1991 avait été mesuré à l'aide de détecteurs de fluorescence, tandis que les événements de 1993 et de 2001 ont tous deux été détectés à l'aide de réseaux de détecteurs de surface. Et tous ces événements ont été enregistrés par des détecteurs situés dans l'hémisphère nord. Dans l'hémisphère sud, la particule la plus énergétique détectée faisait 166 EeV.

Bien que des rayons cosmiques d'une énergie supérieure à 100 EeV aient déjà été observés (au nombre de 28 entre 2008 et 2021), leurs interactions avec le rayonnement du fond diffus cosmologique (CMB) doivent théoriquement  supprimer le flux de ces rayons cosmiques ultra-énergétiques au-dessus de 60 EeV. En effet, les interactions entre les protons ou les noyaux atomiques ultra-énergétiques et les photons du CMB peuvent produire des pions ou induire une photo-désintégration des noyaux. La rupture qui en résulte dans le spectre en énergie des rayons cosmiques est connue sous le nom de coupure de Greisen-Zatsepin-Kuzmin (GZK). Cette coupure limite l'origine des particules les plus énergétiques qui sont détectées sur Terre à des sources devant être situées dans un rayon de 50 à 100 Mpc, de manière à avoir un trajet suffisamment court pour survivre au passage dans le milieu intergalactique. À ces distances, l'Univers n'est pas homogène : la matière est concentrée dans une structure à grande échelle composée d'amas, de superamas, de filaments et de nappes de galaxies, séparés par des vides intergalactiques. Une suppression du flux de rayons cosmiques aux plus hautes énergies, compatible avec la coupure GZK, a été effectivement observée.


Le faible flux de particules ultra-énergétiques ne peut être mesuré que par un instrument ayant une surface collectrice de l'ordre de 1000 km². L'énergie, la masse et la direction d'arrivée de ces particules sont reconstituées à partir des cascades de particules secondaires qu'elles produisent par leur interaction avec l'atmosphère terrestre. Le Telescope Array est situé 1370 m au-dessus du niveau de la mer dans l'Utah. Il est composé d'un réseau de détecteurs de surface avec 507 stations disposées dans une grille carrée. Chaque détecteur comporte deux couches de scintillateur plastique de 3 m² qui détectent les particules chargées des gerbes atmosphériques. Les stations sont espacées de 1,2 km, ce qui donne une zone effective totale de 700 km². Le ciel au-dessus du réseau de détecteurs de surface est observé par des détecteurs de fluorescence qui mesurent directement l'évolution des gerbes de particules dans l'atmosphère et fournissent une mesure calorimétrique de l'énergie de la gerbe. 
La direction d'arrivée d'une particule ultra-énergétique est déterminée à partir des temps d'arrivée relatifs du front de la gerbe sur les différentes stations. La résolution que les chercheurs atteignent est de 1,5° pour la direction d'arrivée et de 15% pour l'énergie, avec une incertitude systématique de 21%.

C'est le 27 mai 2021 que les physiciens du Telescope Array sont tombés sur des signaux étranges, alors qu'ils effectuaient une vérification de routine des données. Les chercheurs de la collaboration ont surnommé cette particule « Amaterasu », du nom d'une déesse japonaise du Soleil.
Comme l'événement détecté a été mesuré à l'aide d'un réseau de détecteurs de surface, les chercheurs du TA ont normalisé son énergie de 244 Eev à l'énergie équivalente qui aurait été mesurée avec la fluorescence atmosphérique, comme c'était le cas pour Oh My God! en 1991. Ils trouvent 309 ± 37 EeV ce qui est donc très comparable à l'événement de 1991 (320 EeV).

Les chercheurs ont bien sûr tenté d’identifier la source de la particule, mais ils ont échoué. Les rayons cosmiques à ultra-haute énergie voyagent généralement dans l’espace de manière relativement linéaire, car ils sont assez peu impactés par les champs magnétiques, en tous cas pas aussi fortement que les rayons cosmiques de faible énergie. Selon les calculs des chercheurs pour déterminer la direction d'origine de la particule, la source devrait se trouver dans une région quasi vide où se trouvent très peu de galaxies. Ils ont également essayé de faire correspondre la particule extragalactique avec d'éventuelles galaxies situées juste à l'extérieur de sa direction préférentielle, mais rien n'y fait.
Les physiciens des astroparticules tentent une explication : selon eux, les modèles décrivant la manière dont les champs magnétiques influencent la trajectoire des rayons cosmiques pourraient être erronés et nécessiter quelques ajustements. Les champs magnétiques intergalactiques seraient beaucoup plus forts que ce que l'on pensait. Si tel est le cas, Amaterasu pourrait être venue d'une direction légèrement différente de celle suggérée par les calculs des chercheurs du Telescope Array. 
Une autre possibilité qui est aussi évoquée est que les rayons cosmiques de ultra-haute énergie soient produits par des nouveaux processus physiques encore inconnus qui pourraient leur permettre de parcourir des distances beaucoup plus grandes qu'on ne le pensait auparavant. 

En conclusion, les chercheurs du Telescope Array comparent la distribution de la grosse vingtaine de particules de plus de 100 EeV qui ont été détectées depuis 15 ans et montrent qu'elles apparaissent isotropes dans le ciel sans aucun regroupement... Et ils laissent aux théoriciens le soin de proposer de nouvelles idées pour expliquer l'existence de particules aussi énergétiques... 

Après ce succès, le Telescope Array est en train d'être mis à niveau pour être quatre fois plus sensible qu'auparavant. Cela permettra aux chercheurs de capturer davantage de ces rares astroparticules de très haute énergie et de retracer plus précisément leurs origines, en espérant que la prochaine particule de plus de 200 EeV sera détectée avant 30 ans.

Source

An extremely energetic cosmic ray observed by a surface detector array
Telescope Array Collaboration
Science Vol 382 Issue 6673 (23 Nov 2023)


Illustrations

1. Localisation de la provenance de la particule Amaterasu (cercle noir plein à gauche de M87) (TA Collaboration)
2. Vue (très partielle) du réseau de détecteurs du TA (The Yomiuri Shimbun)

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