mardi 21 novembre 2023

Détection de nickel dans des galaxies adolescentes avec Webb.


Une équipe d'astrophysiciens vient d'analyser les premiers résultats du programme CECILIA (Chemical Evolution Constrained using Ionized Lines in Interstellar Aurorae) , qui utilise le télescope spatial Webb pour étudier la chimie des galaxies lointaines. Dans leur article publié dans The Astrophysical Journal Letters, on découvre que les galaxies dites « adolescentes », qui se sont formées deux à trois milliards d’années après le Big Bang, sont inhabituellement chaudes et contiennent des éléments inattendus, comme le nickel...

Cette étude de Alison Strom (Northwestern University)  et ses collaborateurs est la première d’une série d’études à venir fondées sur le programme CECILIA, qui doit son nom à la première femme à avoir obtenu un doctorat d'astrophysique aux Etats-Unis, Cecilia Payne-Gaposchkin. Dans sa thèse de 1925, elle proposait que les étoiles étaient principalement composées d’hydrogène et d’hélium, ce qui contredisait la théorie dominante selon laquelle le Soleil et la Terre avaient des compositions similaires. Les astronomes de l'époque rejetaient ses résultats et, comme elle était une femme, Cecilia Payne-Gaposchkin avait beaucoup moins d'opportunités de carrière que ses pairs masculins. Malgré cela, elle a continué à être active dans la recherche et, finalement, ses travaux ont transformé la façon dont les astrophysiciens envisage la chimie des étoiles. Elle est finalement devenue professeur titulaire à Harvard, la première femme à recevoir cet honneur, mais en 1956...

Alison Strom et ses collaborateurs ont pour objectif de caractériser quels sont les éléments chimiques présents non pas dans le Soleil mais à plus grande échelle, dans les galaxies. Il y a encor encore pas mal de lacunes dans ce domaine. Par exemple, les astrophysiciens ne comprennent toujours pas pourquoi certaines galaxies apparaissent « rouges et mortes » alors que d'autres, comme la Voie Lactée, continuent de former des étoiles. Le spectre d'une galaxie peut révéler ses éléments clés, tels que l'oxygène et le soufre, qui offrent une fenêtre sur ce qu'une galaxie faisait auparavant et sur ce qu'elle pourrait faire à l'avenir. Les années d'adolescence des galaxies sont très importantes parce que c'est à ce moment-là que se produit le plus de croissance. 

Strom et ses collaborateurs ont utilisé le JWST pour observer 33 galaxies adolescentes lointaines pendant 30 heures continues l'été dernier. Ils ont combiné les spectres de 23 de ces galaxies pour construire une image composite de leur composition chimique. En faisant cela, les chercheurs effacent évidemment les détails des galaxies individuelles mais ils obtiennent une meilleure idée de ce qu'est une galaxie moyenne. Et ça permet aussi de voir des caractéristiques plus difficilement détectables sur des galaxies uniques. Le spectre ultra-profond de Webb a révélé huit éléments distincts : l'hydrogène, l'hélium, l'azote, l'oxygène, le silicium, le soufre, l'argon... et le nickel. Rappelons que tous les éléments plus lourds que l’hydrogène et l’hélium se forment à l’intérieur des étoiles. Ainsi, la présence de certains éléments renseigne sur la formation des étoiles tout au long de l’évolution d’une galaxie. 


Strom et ses collaborateurs s'attendaient à voir des éléments légers, mais pas à du tout à voir du nickel. Le nickel est rare et particulièrement  difficile à observer. Même dans les galaxies proches, les astrophysiciens ne l'observent pas, c'est dire... Il a ici été détecté par NIRSpec grâce aux raies d'émission du Ni II à 7380 et 7414 Angströms. 

L'autre surprise qui a excité les chercheurs est que ces galaxies adolescentes sont extrêmement chaudes. Alors que les zones des galaxies les plus chaudes peuvent atteindre plus de 10000 K, les galaxies adolescentes atteignent des températures électroniques supérieures à 13 630 K. C'est une preuve supplémentaire de la différence qui existe entre les galaxies lorsqu'elles étaient plus jeunes et les galaxies proches. La température et la chimie du gaz dans les galaxies sont intimement  liées.

Le télescope Webb tient donc sa promesse de fournir un accès aux très faibles raies d'émission dans le spectre des galaxies lointaines, comme le montre cette étude, mais également les nombreux résultats basés sur la spectroscopie de NIRSpec et sur NIRCam qui ont été publiés au cours de la dernière année. Des observations approfondies, telles que celles obtenues dans le cadre de CECILIA seront essentielles pour le développement et le test de nouveaux outils d'interprétation de cette richesse de données. En conclusion, Alison Strom et son équipe annoncent d'ores et déjà que leurs travaux à venir avec CECILIA se concentreront d'une part sur les mesures de température et de métallicités par  une méthode directe sur l'échantillon de galaxies qu'ils ont utilisé ici, et d'autre part sur le développement de nouveaux diagnostics de rapport de raies d'émission pour estimer l'abondance de l'oxygène en phase gazeuse dans les galaxies.


Source

CECILIA: The Faint Emission Line Spectrum of z ∼ 2–3 Star-forming Galaxies
Allison L. Strom et al.
The Astrophysical Journal Letters , Volume 958 (20 november 2023)

Illustrations 

1. Le champ de galaxies observé par Strom et ses collaborateurs (Strom et al.)
2. Spectre moyen sommé sur 23 galaxies enregistré avec NIRSpec de Webb (Strom et al.)
3.Alison Strom


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