mardi 7 novembre 2023

Des morceaux de Lune dans le manteau de la Terre


Dans le manteau terrestre, il existe deux zones un peu étranges, de la taille de continents, qui ont une densité plus élevée et dont la composition est distincte de celle du manteau environnant. Après des modélisations et des simulations avancées, une équipe de chercheurs arrive à la conclusion que ces énormes blocs sont les restes de la petite planète de la taille de Mars qui aurait impacté la jeune Terre il y a plus de 4 milliards d’années et donné naissance à la Lune. Ils publient leur étude dans Nature

Une collision géante entre la jeune Terre et une protoplanète plus petite a longtemps été la théorie dominante pour la formation de la Lune. Une telle origine expliquerait des caractéristiques telles que l'absence de nombreux composés volatils sur la Lune, qui auraient été vaporisés lors de la collision avec la Terre. Bien qu'il soit difficile de réconcilier les isotopes lunaires et les substances volatiles observées avec l'hypothèse d'un impact géant, cette hypothèse de formation de la Lune rend compte de plusieurs caractéristiques clés du système Terre-Lune, notamment le moment cinétique actuel, le petit noyau de la Lune. et la masse élevée de la Lune par rapport à la Terre. Mais les preuves directes de l’existence de Theia restent insaisissables, alors qu'un impact aussi énorme au début du développement de la Terre aurait dû laisser des traces, même plus de 4 milliards d’années plus tard. Qian Yuan (Arizona State University) et ses collègues se sont demandé si ces traces ne pouvaient pas inclure les régions anormales du manteau terrestre. Les géophysiciens appellent ces formations les "grandes provinces à faible vitesse" (LLVP), car les ondes sismiques s'y propagent plus lentement que dans le reste du manteau et c'est comme ça qu'elles ont été identifiées. 
Yuan et ses collaborateurs ont effectué des simulations d’impacts géants de la planète Théia sur la proto-Terre. Il s'agit de simulations hydrodynamiques de l’impact géant formant la Lune, de modélisation de l’évolution thermique et de simulations de convection du manteau. Les chercheurs ont étudié la dynamique et l'état thermique du manteau terrestre et du manteau de Théia lors de l'impact géant en utilisant deux méthodes de simulation hydrodynamiques différentes avec les dernières équations d'état et à une résolution sans précédent. Et ils constatent qu'une quantité importante du manteau de Théia, entre 0,017 et 0,026 masses terrestre aurait pu pénétrer dans la couche inférieure du manteau terrestre, ce qui est comparable aux estimations de masse d'environ 0,01 à 0,06  M.⊕ pour les LLVP .


Les LLVP peuvent donc effectivement représenter des reliques enfouies du matériau du manteau de Théia, qui aurait pu être préservées dans le manteau de la proto-Terre après l'impact géant qui a formé la Lune. Yuan et ses collaborateurs indiquent que la densité des LLVP est entre 2,0 et 3,5% plus dense que le manteau de la proto-Terre, sur la base des modèles du manteau de Théia et de la teneur plus élevée en FeO qui est observée sur la Lune. Leurs modèles de convection du manteau montrent que des blobs denses de matériau issu de Théia d'une taille de plusieurs dizaines de kilomètres après l'impact peuvent ensuite couler et s'accumuler au sommet du noyau de la Terre et survivre jusqu'à aujourd'hui.

Dans la plupart des scénarios d'impact de la formation de la Lune, la Lune est préférentiellement composée du manteau de Théia. Étant donné la teneur plus élevée en FeO du manteau de la Lune (plus de 10 % en masse) par rapport au manteau terrestre (moins de 8 % en masse), le manteau de Theia pourrait également avoir été riche en fer par rapport à celui de la Terre. Mais une partie de l'enrichissement en FeO de la Lune pourrait aussi résulter de mécanismes post-impact, et non de la teneur élevée en FeO de Theia. Néanmoins, selon différents scénarios d'impact, la teneur en FeO du manteau de Theia est estimée entre 11 et 40 % en masse, sur la base des contraintes isotopiques obtenues sur le Silicium. Récemment, ce modèle a été étendu pour expliquer également le très faible rapport deutérium/hydrogène) (3,91 × 10-5 ) des réservoirs intérieurs lunaires et ce modèle prédit que le manteau de Theia contenait environ 13 à 18 % en masse de FeO.

Des collisions géantes peuvent notamment créer une fonte généralisée sous la forme d'océans de magma silicaté partiel ou total. L'homogénéisation peut avoir lieu pendant ou après un impact. Lors de la solidification de l'océan magmatique, une instabilité gravitationnelle et un mélange rapide peuvent se produire dans la région solidifiée, en raison de la convection déclenchée par un profil thermique particulier. Alternativement, Yuan et ses collaborateurs expliquent que l'instabilité gravitationnelle peut être déclenchée par l'enrichissement en Fe des couches supérieures lors de la cristallisation. Des études de 2018, 2019 et 2020 ont également montré que la convection au sein du manteau solidifié pourrait devenir plus efficace à mesure que l'océan magmatique cristallise. Cependant, le matériau de Théia ici sont incorporés dans la couche inférieure solide, qui a une température potentielle inférieure à celle de la couche fondue au dessus. Ainsi, la couche inférieure, solide et relativement froide, interdirait la convection de tout le manteau peu après l'impact, ce qui limite les échanges de masse avec la couche supérieure. Étant plus denses que le manteau de fond solide, les blobs de matériaux du manteau de Théia considérés ici sont susceptibles de couler dans cette couche inférieure. De même, le matériau dense dans la couche supérieure en fusion de la Terre juste après l'impact, s'il n'a pas été complètement mélangé à la proto-Terre, peut également couler. Un océan de magma en convection vigoureuse dans cette couche supérieure peut conduire à un mélange dans une large mesure avec le manteau solidifié, mais selon les chercheurs, les effets de la rotation planétaire pourraient favoriser le développement d'hétérogénéités du manteau, même à grande échelle, au cours de la cristallisation de l'océan magmatique. 
Ainsi, la limite de masse de 0,026  M⊕ du manteau de Théia qui serait incorporé dans la couche inférieure du manteau terrestre est une estimation prudente, selon Yuan et son équipe.  

L'idée que les anomalies du manteau sont des vestiges de Théia n'est pas nouvelle, mais n’avaient pas encore de preuves solides. Même si le modèle de Yuan et al. ne prouve pas définitivement que les anomalies du manteau terrestre sont des vestiges de Théia ou des morceaux de Lune, les chercheurs ont démontré que ce scénario peut être pris au sérieux. Les chercheurs rappellent aussi que comme les impacts géants sont fréquents aux derniers stades de l'accrétion des planètes, des hétérogénéités similaires du manteau causées par des impacts peuvent également exister à l'intérieur d'autres corps planétaires... La prochaine étape consistera à valider le modèle en comparant des échantillons de roches du manteau (des échantillons de panaches liés au LLVP), avec des échantillons de roches de la Lune en regardant leurs compositions chimiques et isotopiques.

Source

Moon-forming impactor as a source of Earth’s basal mantle anomalies
Qian Yuan et al.
Nature volume 623 (1 november 2023)

Illustrations

1. Vue d'artiste de la collision Terre-Théia (Hernán Cañellas)
2. Schéma simplifié des processus qui aurait eu lieu (Yuan et al.)
3 Qian Yuan

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