samedi 2 janvier 2016

Découverte d'une queue de gaz derrière une galaxie

C'est une gigantesque traînée de gaz chaud, véritable queue de galaxie, que le télescope Chandra X-Ray Observatory vient de mettre en évidence au sein l'amas de galaxies Zwicky 8338. D'une longueur inégalée de 250 000 années-lumière, soit plus de deux fois le diamètre de notre galaxie...


Cet extraordinaire ruban de gaz n'est visible qu'en rayons X, du fait de sa très haute température, 10 millions de degrés. Les astrophysiciens pensent que cette structure étonnante serait produite par un phénomène de dépouillement du gaz de la galaxie lorsque cette dernière traverse le vaste nuage de gaz intergalactique très chaud. 
L'amas de galaxies Zwicky 8338 se trouve à une distance de 700 millions d'années-lumière. Alors que la gaz intergalactique le peuplant a une température de près de 50 millions de degrés, la longue traînée observée, la plus grande de ce genre jamais vue, a une température plus faible, de "seulement" 10 millions de degrés.

Image composite visible (jaune) et rayons X (bleu) de l'amas Zwicky 8338
(X : NASA/CXC/University of Bonn/G. Schellenberger et al; Visible: INT)
Les chercheurs estiment que la grosse galaxie CGCG254-021 a comme fendu le gaz intergalactique dans son mouvement au sein de l'amas, exerçant une forte pression sur son propre gaz interne qui a fini par s'éjecter en grande partie.
Gerrit Schellenberger, de l'Université de Bonn, auteur principal de l'étude parue dans Astronomy and Astrophysics, précise : "Comme les amas de galaxie sont si énormes, ils jouent un rôle crucial pour la compréhension de l'évolution de l'Univers. Pour comprendre au mieux les amas de galaxies, nous devons comprendre comme leur galaxies évoluent, et la découverte de telles grandes traînées de gaz chaud en rayons X nous fournit une donnée très utile." 
Un point remarquable sur les images composites produites en associant les longueurs d'ondes visibles et les rayons X (voir figure ci-contre) est la présence d'un espace important entre la galaxie et le début de la queue de gaz, le plus grand du genre observé jusqu'à aujourd'hui.
Cette séparation entre la galaxie et son gaz arraché pourrait indiquer que c'est en fait la totalité du gaz de la galaxie qui a été ainsi dispersé.
Les astrophysiciens sont en outre parvenus à caractériser la traînée de gaz ainsi que ses interactions avec la galaxie CGCG254-021. La queue montre ainsi une zone plus brillante que les chercheurs ont dénommée la "tête". Le gaz dans cette tête apparaît légèrement plus froid et plus riche en éléments plus lourds que l'hélium. Devant cette tête semble être présente une onde de choc, similaire à une onde de choc supersonique, qui est suivie ensuite par la galaxie elle-même.
Une étude indépendante fondée sur des observations en infra-rouge de l'amas Zwicky 8338 indique par ailleurs que CGCG254-021 possède la plus grande masse de toutes les galaxies de l'amas, mais elle indique aussi, ce grâce à des modèles d'évolution galactique, que CGCG254-021 a dû connaître jusque dans un passé récent le taux de formation d'étoiles le plus important de l'amas Zwicky 8338. Cependant, la galaxie telle qu'observée aujourd'hui ne montre plus du tout de formation de nouvelles étoiles. Cette absence pourrait être simplement due à l'absence du gaz qui viendrait d'être arraché de la galaxie.
La présence de cette traînée de gaz galactique donne un bel exemple des processus dynamiques qui peuvent avoir lieu au sein des amas de galaxie, où l'on peut désormais observer directement comment une galaxie se transforme au cours de ces interactions dans l'amas.   

Comme le remarque avec gourmandise Gerrit Schellenberger, la matière constituant la queue de CGCG254-021 contient de l'hydrogène mais aussi d'autres éléments et pourra tout à fait produire une nouvelle génération d'étoiles, à la dérive derrière la galaxie qui aurait dû les voir naître, et qui pourraient en former à terme une belle extension.


Source :
The long X-ray tail in Zwicky 8338
G. Schellenberger et T. H. Reiprich
Astronomy&Astrophysics Volume 583, (November 2015)


2 commentaires :

Youx a dit…

Bonjour Eric,
J'ai une petite question toute bête, mais à laquelle je n'ai jamais trouvé de réponse:
Les particules émises dans l'espace à haute température, comme le gaz dont vous parlez ici à 50 millions de degrés, ou simplement comme les particules de vent solaires, comment gardent-elles leur température dans un environnement à quelques kelvins?
Moi, mon café, si je le laisse dix minutes dehors, il sera tiède...
Bien sûr, dans l'espace, il n'y aura pas de perte par conduction ou convection, mais il y a toujours le rayonnement.
Merci pour vos réponses toujours précises!

Dr Eric Simon a dit…

Bonjour,
Il faut bien voir ce qu'est un nuage de gaz chaud. C'est en fait du gaz ionisé, autrement dit un plasma. Et on peut même dire plus précisément que c'est un mélange de protons et d'électrons car c'est avant tout de l'hydrogène. La température d'un plasma reflète l'agitation de ses particules constituantes. L'agitation thermique du plasma produit certes une perte d'énergie sous forme de rayonnement (rayons X), mais ce refroidissement par émission (le seul) est relativement lent, et les nuages de gaz chaud ont par ailleurs des sources d'échauffement par du rayonnement extérieur, celui des étoiles environnantes (et pas seulement des photons, les vents de particules chargées sont très efficaces pour échauffer un plasma). C'est la balance entre échauffement et refroidissement radiatifs qui dirige l'évolution thermique du plasma (il peut refroidir, ou bien s'échauffer d'avantage).