Une observation d'une galaxie très particulière, en forme de petit pois, vient de révéler un mécanisme essentiel pour l'histoire cosmologique : la réionisation.
Le milieu dans lequel baignent les galaxies n’est pas vide. Il contient du gaz (de l’hydrogène très majoritairement), et ce gaz est actuellement ionisé. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Il a commencé ionisé dans les premiers instants de l’Univers, mais les protons et les électrons se sont ensuite recombinés, 380 000 ans après le Big Bang, ce qui a libéré les photons (qui forment maintenant le fond de rayonnement diffus cosmologique). Et cette recombinaison a en même temps créé de l’hydrogène neutre.
La galxie petit pois J0925+1403 (NASA) |
La réionisation de ce milieu intergalactique a commencé lorsque sont apparues les premières étoiles dans les galaxies naissantes, environ 200 millions d’années après le Big Bang et elle a ensuite progressé lentement jusqu’à atteindre l’ensemble de l’Univers à une date estimée de 800 millions d’années après le Big Bang. Aussi loin que peuvent voir nos télescopes actuels, nous ne voyons qu’un Univers ionisé.
Or le nombre de galaxies très lointaines situées dans cet Univers jeune de 800 millions d’années ne semble pas suffisant pour expliquer la réionisation complète du milieu intergalactique qui est observée. Pour ioniser un atome d’hydrogène, il faut un photon ayant une énergie suffisante pour arracher l’électron lié au proton. Cette énergie est connue depuis longtemps et vaut 13,7 eV. Tous les photons de plus de 13,7 eV peuvent ioniser l’hydrogène neutre. Cette énergie correspond à une longueur d’onde de 91 nm, donc dans l’UV lointain (rappelons que l’énergie et la fréquence d’un photon sont liées par un facteur multiplicatif qui n’est autre que la constante de Planck).
Mais voilà, si les étoiles venant de naître émettent bien de la lumière dans de nombreuses longueurs d’ondes dont des UV d’énergie supérieure à 13,7 eV, elles sont aussi plongées elles-mêmes dans de gros nuages d’hydrogène neutre qui leur ont donné naissance. Donc, le rayonnement UV ionisant qu’elles émettent est tout de suite absorbé dans leur entourage proche en ionisant le milieu. A l’échelle d’une galaxie, il en est de même. Pour que le rayonnement UV de plus de 13,7 eV puisse atteindre la totalité de l’espace situé entre les galaxies, il faut qu’une fraction non négligeable puisse sortir des galaxies.
Pour détecter directement ce rayonnement UV, les choses ne sont pas simples, car par définition, il est très vite absorbé par le moindre atome d’hydrogène neutre rencontré. Il ne faut donc pas espérer pouvoir détecter un tel rayonnement sur des galaxies très lointaines. Les astrophysiciens sont tout de même parvenu à en détecter sur des galaxies jusqu’à 2 milliards d’années-lumière, mais avec des fractions extrêmement faible. L’espoir se porte plutôt sur des galaxies relativement proches de nous, même si elles peuvent être assez différentes des premières galaxies de l’Univers. La détection des UV, qui sont absorbés aussi par notre atmosphère, impose aussi l’utilisation de télescopes spatiaux, dont le meilleur représentant dans ces longueurs d’ondes reste Hubble.
Vue schématique de phénomène de réionisation prenant place progressivment autour des galaxies naissantes entre 200 millions et 800 millions d'années après le Big Bang (Nature) |
Les galaxies parmi les plus prometteuses en termes d’émission de rayonnement UV ionisant et de représentativité des galaxies primordiales sont des galaxies naines compactes, et parmi elles les galaxies surnommées les galaxies « petits pois ». Ces galaxies compactes ont en effet un aspect très particulier en forme de petites boules avec une couleur très marquée par la raie de l’oxygène ionisé O III d’un beau vert. Les raies d’émission observées dans ces galaxies indiquent des niveaux d’ionisation très élevés dans le gaz entourant les zones de formation d’étoiles, laissant penser que ces étoiles pourraient produire plus de rayonnement ionisant que ce que le gaz pourrait absorber.
Une équipe internationale menée par l’ukrainien Youri Izotov et impliquant des astronomes suisses, tchèques, français, allemands et américains s’est penché sur le cas de la galaxie petit pois nommée J0925 + 1403 avec le télescope spatial Hubble. Ils y ont découvert qu’elle laisse s’échapper une fraction inédite de rayonnement ionisant : 8%. C’est la plus forte émission mesurée de rayonnement UV ionisant s’échappant d’une galaxie proche, les (seulement) trois autres mesures antérieures ne dépassaient pas les 3%.
Ainsi, ces 8% de rayonnement ionisant sortant de la galaxie J0925 + 1403, permettent à eux seuls d’ioniser une masse de gaz neutre du milieu intergalactique 40 fois plus grande que la masse (en étoiles) de la galaxie. Cette mesure vient donc apporter une bonne piste pour montrer aux astrophysiciens que le processus est bien possible, si tant est que les galaxies primordiales ressemblent suffisamment à ces galaxies naines compactes petits pois.
C’est donc, selon les auteurs de l’étude, un premier pas très encourageant qu’il faut poursuivre en direction d’une meilleure compréhension de l’échappement de rayonnement UV ionisant dans l’Univers local, et de sa relation vis-à-vis des propriétés des galaxies.
Sources :
Eight per cent leakage of Lyman continuum photons from a compact, star-forming dwarf galaxy
Y. I. Izotov et al.
Nature 529, 178–180 (14 January 2016)
Photons from dwarf galaxy zap hydrogen
Dawn K. Erb
Nature 529, 159–160 (14 January 2016)
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