08/01/16

Nuages de gaz froid : fin d'une énigme vieille de 40 ans

Une équipe d’astronomes australiens vient de résoudre une énigme vieille de plusieurs décennies : la dimension des nuages de gaz froid et neutre peuplant le milieu intergalactique, connus dans le jargon par le terme "nuages à raie Lyman alpha affaiblie" ou "nuages DLA" (Damped Lyman Alpha).


Cette observation a été rendue possible en observant des galaxies éloignées qui se trouvent être en arrière-plan de ces fameux nuages de gaz intergalactique.  L’australien Jeff Cooke de la Swinburne University et son collègue John O’Meara ont réalisé qu’il était tout à fait possible de mesurer la dimension des nuages de gaz d’avant-plan en observant la zone qu’ils couvrent sur la surface d’une galaxie située en arrière-plan.
La méthode, qui a été exposée cette semaine lors de la réunion d’hiver de l’American Astronomical Society et publiée par the Astrophysical Journal Letters, repose tout d’abord sur l’identification de galaxies les mieux à même d’avoir devant elles des nuages de gaz DLA, puis sur l’obtention de très longues poses sur les objets identifiés, à l’aide de grands télescopes comme le Keck de 10 m à Hawaï ou un des quatre VLT de 8 m au Chili.  Les nuages de gaz DLA sont importants car on estime qu’ils contiennent la grande majorité du gaz froid et neutre de l’Univers et en quantités suffisantes pour former au moins autant d’étoiles que toutes celles qui existent déjà.
Vue d'artiste du concept de la méthode développée par J. Cooke et J. O'Meara
(Adrian Malec / Marie Martig. Swinburne University of Technology)
Mais les nuages de gaz DLA sont aujourd’hui très calmes, ils ne forment que très rarement d’étoiles et sont donc très peu lumineux et donc difficilement détectables. Sauf lorsqu’ils se trouvent dans la ligne de visée d’un objet brillant en arrière-plan, sur la lumière duquel ils peuvent laisser des raies d’absorption caractéristiques. Auparavant, les astrophysiciens utilisaient des quasars (galaxies actives énergisées par leur trou noir) ou bien des bouffées de rayons gamma (GRB) pour mettre en lumière la présence des nuages de gaz DLA. Mais les quasars et les GRB sont tout de même assez rares et surtout, étant très lointains, ils apparaissent quasi-ponctuels. A l’inverse, des galaxies entières (et pas seulement leur noyau actif) plus proches, montrent une surface apparente bien plus importante, ce qui permet de multiplier potentiellement par plus de 10 millions la surface d’éclairement des nuages de gaz situés en avant-plan.
Le cas découvert par Cooke et O’Meara parmi les 54 galaxies dont ils ont épluché les spectres et qu’ils décrivent dans leur article, correspond à un nuage de gaz qui couvre entre 90% et 100% de la surface de la galaxie située derrière. La surface explorée se trouve ici multipliée par un facteur 1 milliard par rapport à ce qu’ils auraient pu obtenir en utilisant un quasar d’arrière-plan ! La masse de ce nuage est estimée (encore grossièrement) entre 1 million et 1 milliard de masses solaires.
Depuis 40 ans, on connaissait l’existence de cette absorption gazeuse mais on ignorait quelle pouvait être l’étendue spatiale de ces nuages. L’utilisation d’une source de lumière étendue comme celle d’une galaxie entière permet désormais de résoudre cette question et de déterminer enfin leur véritable dimension.

Les auteurs préviennent que la technique employée se trouve être à la limite des capacités instrumentales offertes par les télescopes de la classe 8 m. En revanche, elle pourrait très vite devenir une méthode classique pour les futurs instruments de 30 m. Il devrait notamment être possible dans le futur d’appliquer la méthode à des galaxies de faible luminosité, plus lointaines, et ainsi sonder un volume d’univers beaucoup plus grand (dans la profondeur), et pourquoi pas parvenir à cartographier entièrement la répartition du gaz froid dans l’Univers jeune.


Source :
A new constraint on the physical nature of damped lyman alpha systems
J. Cooke et J. M. O’Meara
The Astrophysical Journal Letters, 812:L27 (20 October 2015)

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