jeudi 25 août 2016

La taille du proton pose un vrai problème


Bien que très petit, un proton tient un certain volume, de quoi y mettre ses constituants : trois quarks et de nombreux gluons. La taille d’un proton est ainsi déterminée par ses constituants élémentaires et leurs interactions, et dépend donc intimement du modèle standard des particules et de la théorie de la chromodynamique quantique. Or la taille du proton reste aujourd’hui un sujet de controverse, étant différente selon la manière de la mesurer.




Le rayon du proton peut être mesuré grâce au fait que sa charge s’étale dans son volume, ce qui influence l’orbite d’un électron qui lui serait lié. Les mesures effectuées avec des électrons sont bien en accord avec les théories existantes, mais il y a trois ans, des physiciens ont eu l’idée de mesurer la taille du proton en utilisant non pas un électron en orbite, mais un muon négatif (le cousin plus lourd de l’électron), pour donner une version exotique d’un atome d’hydrogène. Le résultat qu’ils ont alors trouvé pour la taille du proton était totalement différent de la valeur théorique. Cet écart problématique tend à montrer l’existence d’un gros défaut dans nos modèles théoriques. Afin de creuser d’avantage le problème soulevé, la même équipe de physiciens menés par le physicien allemand Randolf Pohl (université de Mainz), ont refait une nouvelle expérience, toujours avec un muon à la place de l’électron, mais cette fois-ci en remplaçant le proton par un couple proton-neutron, ce qui forme un noyau de deutérium. Le muon est un lepton comme l’électron, de même charge électrique mais de masse 207 fois plus importante. Il est instable et se désintègre en un couple électron-antineutrino mu en quelques microsecondes, une durée courte mais suffisante pour effectuer des mesures de précision.

Le principe de la mesure consiste à regarder quelle quantité d’énergie est nécessaire pour faire passer le muon d’une orbitale à l’autre au sein de cet atome exotique de deutérium. A partir de cette valeur, les physiciens en déduisent la taille du proton, en prenant en compte la présence du neutron qui doit altérer la façon dont les électrons et les muons perçoivent la charge électrique du proton.
L’expérience n’est pas une petite manip faite dans une cuisine : des muons énergétiques sont tout d’abord produits dans un accélérateur de particules au Paul Sherrer Institute en Suisse, leur grande vitesse (relativiste) permet d’allonger leur durée de vie avant désintégration par dilatation relativiste de leur temps propre. Ils doivent ensuite être très fortement ralentis pour pouvoir être mis en orbite autour des noyaux de deutérium : le faisceau est envoyé dans une chambre remplie de deutérium où ils sont ralentis puis capturés, pendant qu’un laser est envoyé simultanément dans le gaz sous forme d’impulsions dont l’énergie est modifiée jusqu’à faire passer les muons d’une orbitale de type 2s vers une orbitale 2p par absorption des photons. Les muons qui sont ainsi excités reviennent rapidement sur leur orbitale d’origine en émettant un photon X d’énergie caractéristique correspondant à l’énergie séparant les deux orbitales. Les chercheurs ont détecté en moyenne 10 photons X par heure, dont 3 étaient du bruit de fond. Un signal très faible, mais très significatif.

Le résultat obtenu par la collaboration internationale est à nouveau en forte tension avec les modèles théoriques : le proton apparaît plus petit que la « normale », plus petit que quand c’est un électron qui est en orbite… alors qu’il ne devrait y avoir aucune différence. Le rayon mesuré vaut 0,8356 fm, il est encore plus petit que la valeur obtenue en 2013 avec un proton seul (0,8409 fm), la valeur théorique issue du modèle standard est de 0,8745 fm soit 4,4% de différence.
Aujourd’hui, cette différence, qui est donc observée à la fois avec un proton seul et avec un noyau de deuterium, n’est absolument pas expliquée par nos  modèles théoriques. Quelque chose semble agir entre le proton et le muon… Parmi les explications envisageables, d’après les physiciens, celles qui conservent le modèle standard en l’état sont beaucoup plus improbables que celles qui proposent une modification du modèle standard en y ajoutant par exemple une nouvelle force. Une telle idée d’une physique au-delà du modèle standard pour le muon est aussi poussée par le fait qu’un autre type de mesure sur le muon, la mesure du moment magnétique dipolaire, ne donne pas la valeur prédite par le modèle satndard…

Les physiciens sont dans l’impasse sur le problème de la taille du proton. La seule solution, outre le tableau noir, est de faire de nouvelles expériences, différentes ou plus précises. Une des idées avancées pour explorer l’existence éventuelle d’une nouvelle force serait de faire diffuser un faisceau de muons directement sur des protons pour voir ce qui se passe et si les interactions sont conformes avec ce que prédit le modèle standard, ou si il faut réellement aller voir au-delà.

Source :

Laser spectroscopy of muonic deuterium
Randolf Pohl et al.
Science  Vol. 353, Issue 6300, pp. 669-673 (12 Aug 2016)

illustrations :

1) Karsten Schuhmann (à gauche) et Aldo Antognini du Paul Scherrer Institute inspectent le laser utilisé dans leurs mesures de spectroscopie sur le deutérium muonique. (Paul Scherrer Institute/Markus Fischer)

2) Schéma de l'hydrogène normal et de l'hydrogène muonique où un muon remplace l'électron (Université de Taiwan)

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