dimanche 10 janvier 2021

Observation détaillée avec Chandra du magnétar atypique J1818


Le 10 octobre dernier, je vous annonçais la découverte d'un magnétar atypique, de par ses ressemblances avec les pulsars, émettant à la fois comme un magnétar avec des bouffées de rayons X et aussi avec des ondes radio pulsées. Aujourd'hui, de nouvelles observations en rayons X plus détaillées sur ce magnétar singulier Swift J1818-1607 sont publiées dans The Astrophysical Journal Letters.

J1818 est seulement le 31ème magnétar que nous connaissons. En plus d'être un peu différent des autres, il apparaît tourner très vite sur lui-même (il est le plus rapide des magnétars, avec une période rotation de 1,36 s) et il est très jeune (470 ans). J1818 est situé environ à 21000 années-lumière de la Terre (6,5 kpc) non loin du plan du disque galactique. Pour comparer, le nombre d'étoiles à neutrons que nous avons répertoriées (des pulsars) se monte à environ 3000. Les magnétars ne représentent ainsi qu'une fraction infime de ces objets. La différence entre les deux classes d'étoiles à neutrons réside dans l'intensité de leur champ magnétique, de l'ordre de 1015 Gauss (1 million de milliards) pour les magnétars, environ 1000 fois plus élevé que celui des pulsars. Le champ magnétique de J1818 est estimé à 2,5 1014 Gauss.
Chandra a permis aux chercheurs d'obtenir des images en rayons X très bien résolues ainsi que des spectres de rayons X entre 1 keV et 10 keV.  Ils ont bénéficié d'une durée d'exposition avec le télescope à rayons X de la NASA de 30 ks centrée sur la position du magnétar le 3 avril 2020 (à peine un mois après la découverte de J1818 par Swift le 12 mars 2020), et ils ont pu en exploiter 27 ks, ce qui fait 7,5 heures d'exposition.
Avec ces données, Harsha Blumer (West Virginia University) et ses collaborateurs ont étudié avec quelle efficacité J1818 convertit son énergie de rotation en rayonnement X via le ralentissement de sa rotation. Ils trouvent que ce magnétar est moins efficace que les autres magnétars connus, avec une efficacité (le rapport luminosité X sur perte d'énergie) égal à 0,13 avec l'hypothèse d'une distance de 6,5 kpc. Ce taux de conversion d'énergie rotationnelle est donc selon eux plus proche de ce qu'on voit sur des pulsars typiques. Ces résultats viennent confirmer les résultats antérieurs d'octobre dernier, donnant à J1818 le caractère unique d'objet hybride entre pulsar à fort champ magnétique et magnétar à forte émission radio pulsée.

L'analyse spectrale du rayonnement X du magnétar est effectuée en retreignant la zone observée à un cercle de 1,5 secondes d'arc de rayon centré sur la source ponctuelle en prenant le bruit de fond entre des rayons compris entre 3 et 5 secondes d'arc. Blumer et ses collaborateurs trouvent un spectre type de corps noir duquel ils peuvent tirer une température. Exprimée en énergie elle vaut kT=1,2 keV, ce qui fait, si on divise par la constante de Boltzmann après avoir converti en Joules, une température de 13,9 millions de Kelvins ! Et à partir du spectre, les astrophysiciens déterminent le rayon de la zone d'émission de corps noir à la surface de l'étoile à neutrons : 0,6 ± 0,1 km, ce qui apparaît légèrement différent de ce qu'avaient trouvé Hu et al. dans leur étude de l'année dernière (2,5 km). Les chercheurs expliquent que cette différence est directement liée à la meilleure résolution de l'image obtenue par Chandra par rapport à celle de NICER. Rappelons que le rayon d'une étoile à neutrons est de l'ordre de 13 km.
Il faut savoir que dans le modèle de la "magnétosphère torsadée" (twisted magnetosphere) développé en 2002 par Thompson et al., l'émission thermique des magnétars a pour origine l'échauffement interne de l'étoile à neutrons induit par la décroissance du fort champ magnétique interne (non isotrope). Et les torsions dans la magnétosphère suggèrent également un échauffement externe de la surface. En effet, les champs magnétiques torsadés doivent induire l'apparition de champs électriques gigantesques, qui vont arracher et accélérer des particules de la surface de l'étoile à neutrons, puis ces particules vont retomber sur la surface en suivant les lignes de champ magnétique, échauffant d'avantage la croûte sur une zone réduite. 


Les images obtenues avec Chandra révèlent une source ponctuelle à l'emplacement du magnétar certes, mais cette source ponctuelle est également entourée par une zone d'émission X diffuse. Cette dernière est observée en focalisant sur une zone concentrique située entre 3 et 10 secondes d'arc autour du magnétar et en prenant le bruit de fond entre 30 et 40 secondes d'arc. Cette émission est vraiment faible car elle est détectée avec seulement 532 photons (d'énergie entre 1 et 10 keV) sur les 7,5 heures d'exposition... ce qui fait seulement environ 1 photon détecté par minute! Les chercheurs tentent bien sûr de trouver une explication pour cette zone d'émission X diffuse.
Une telle émission diffuse de rayons X peut être causée soit par des rayons X du magnétar qui se reflètent sur de la poussière environnante ou soit par un vent de particules émanant de l'étoile à neutrons directement. Comme l'âge de J1818 a été estimé à 470 ans, on sait que l'explosion stellaire qui lui a donné naissance a dû laisser des débris qui doivent se trouver encore très près de l'étoile à neutrons magnétisée, si celle-ci n'a pas bougé sensiblement depuis l'explosion. Il est donc tentant d'associer l'émission diffuse qui entoure J1818 au résidu poussiéreux de la supernova progénitrice. Pour tester cette hypothèse, Blumer et son équipe ont évalué la probabilité qu'il puisse s'agir de l'autre hypothèse, celle du vent de particules (qu'on appelle aussi le phénomène de "nébuleuse de vent de pulsar"). Cette solution doit en effet avoir une particularité observable : l'émission X devrait être dans ce cas anisotrope, c'est à dire différente selon les directions autour de l'étoile à neutrons, contrairement au cas de la présence d'une coquille de poussière qui elle devrait montrer un signal isotrope. Les astrophysiciens ont donc découpé la zone entourant J1818 à la fois en cercles concentriques et en quatre quadrants : nord-est, nord-ouest, sud-est et sud-ouest. Ils regardent ensuite comment se distribuent les 532 photons détectés dans ces quatre sous-régions pour déceler une éventuelle différence dans la luminosité (nombre de photons) en fonction du rayon depuis le magnétar. Le résultat est qu'il n'y a aucune différence notable, les quatre courbes se superposent presque parfaitement : l'émission diffuse de J1818 apparaît bien isotrope. Elle serait donc produite plutôt par une diffusion sur une coquille de poussière entourant le magnétar d'après Harsha Blumer et ses collaborateurs. 
S'agit-il vraiment des résidus de la supernova, ce qui signifierait que l'étoile à neutrons n'aurait que très peu bougé depuis près de 500 ans ? A n'en pas douter, de futures observations viendront éclairer cette nouvelle question... 


Source

Chandra Observations of the Newly Discovered Magnetar Swift J1818.0–1607
Harsha Blumer et al.
The Astrophysical Journal Letters, 904 (1 December 2020)


Illustrations

1) Image composite (rayons X + infra-rouges) de la région de J1818.0-1607 (rayons X : NASA/CXC/Univ. of West Virginia/H. Blumer; infrarouge : NASA/JPL-CalTech/Spitzer)

2) Vue d'artiste du télescope spatial Chandra (NASA)

3) Image en rayons X de J1818 et de sa région diffuse dans la bande d'énergie 0,5 - 0,7 keV (Harsha Blumer et al.)

4 commentaires :

Cilaos a dit…

Vous faites un travail absolument remarquable pour la culture scientifique. Comme beaucoup, je vous écoute depuis des années, passionnément. Votre contenu est de loin le plus qualitatif sur le sujet, vous méritez clairement plus de reconnaissance !

Merci encore, en espérant, pour nous, que votre passion vous anime longtemps...

Dr Eric Simon a dit…

Merci pour cet encouragement et pour votre fidélité !

Nicolas a dit…

Bonjour, est-ce que des recherches ont pu être faite pour savoir si cette SN a pu être observée sur Terre il y a 470 ans ?

Merci pour votre travail toujours aussi passionnant !

Dr Eric Simon a dit…

Bonjour Nicolas,

Je n'ai pas d'info sur des recherches dans les archives sur cette supernova. Il faut dire que le magnétar a été découvert il y a seulement 10 mois. Il faut un peu de temps pour fouiller les archives et pour le processus de publication si ça s'avère positif. En tous cas, vu sa position dans le ciel, dans la constellation du Sagittaire, ça aurait pu être visible depuis l'Europe. Elle nous amènerait à environ 1550, soit 22 ans avant l'observation de la Supernova de 1572 par Tycho Brahé. Le problème, c'est que Tycho n'avait que 4 ans en 1550 ...