mardi 5 janvier 2021

Mars : un nuage de glace récurrent formé par un volcan


C'est un phénomène non répertorié jusque là que des astronomes européens ont découvert sur Mars : un nuage de glace d'eau qui apparaît tous les matins depuis un volcan nommé Arsia Mons. Ils publient leurs observations dans le Journal of Geophysical Research : Planets.

Ce nuage est surprenant car il apparaît extrêmement allongé, s'étalant jusqu'à 1800 km vers l'ouest de Arsia Mons, à une longitude solaire comprise entre 220° et 320° (c'est à dire autour du solstice d'été austral et du périhélie de Mars), et surtout il se répète tous les jours durant le printemps et l'été martiens de l'hémisphère sud... Il a été découvert en septembre 2018 par la sonde Mars Express et son imageur Visual Monitoring Camera (VMC). 
Les chercheurs l'ont nommé sans poésie le AMEC (Arsia Mons Elongated Cloud). Jorge Hernández‐Bernal et ses collaborateurs l'ont étudié avec de nombreux instruments en orbite martienne (actuels ou via des archives) : Mars Express, MAVEN, MRO, Mars Orbiter, et Viking. Les chercheurs l'ont particulièrement scruté durant toute l'année martienne 34. 
Petit aparté : l'année 1 martienne débute par convention le 11 avril 1955 (l'équinoxe de printemps de cette année là sur Mars) et une année martienne dure 687 jours terrestres (668 sols, qui sont eux-mêmes découpés en 24 "heures" un peu plus longues que nos heures). Les missions martiennes utilisent les années martiennes au lieu des années terrestres, ce qui est bien plus pertinent pour l'étude dans le temps de la planète.
Les chercheurs, en observant le long nuage, ont découvert un cycle journalier très rapide. Chaque jour, le long nuage blanc apparaît avant le lever du soleil au niveau du versant ouest du volcan Arsia Mons puis s'étend durant 2,5 heures à la vitesse de 170 m/s dans la mésosphère à 45 km d'altitude. Il stoppe alors son développement, se détache de son point de formation, puis continue ensuite son mouvement vers l'ouest jusqu'à sa disparition par évaporation juste avant le début de l'après-midi martien, heure à laquelle la plupart des orbiteurs héliosynchrones commencent à observer la planète rouge...  C'est notamment le cas de Mars Global Surveyor (MGS), Mars Odyssey (son orbite a été modifiée depuis), et Mars Reconnaissance Orbiter (MRO). Jusqu'en 2014, lorsque MAVEN (Mars Atmosphere and Volatile EvolutioN) et Mars Orbiter (MOM) sont arrivée autour de Mars, Mars Express (MEX) était la seule mission dans une orbite non hélio-synchrone qui pouvait donc faire des images le matin. Ensuite est arrivé ExoMarsTrace Gas Orbiter (TGO) en 2016 (avec un début d'opérations en 2018), lui aussi non hélio-synchrone. Cela explique pourquoi le long nuage n'a été découvert que tardivement malgré le nombre élevé d'orbiteurs qui ont survolé la planète mars depuis toutes ces années (terrestres ou martiennes). 
Jorge Hernández‐Bernal et ses collaborateurs ont également comparé les apparitions du AMEC durant d'autres années martiennes (entre l'année 29 et l'année 34) pour tenter de déceler des variations interannuelles. Et il semble exister effectivement quelques différences : l'année 33 montre une activité plus faible du long nuage blanc, et l'année 34 était différente des autres par l'heure à laquelle le nuage commençait à se développer. Les planétologues attribuent cet écart temporel à la grande tempête de poussière globale qui a ravagé Mars à ce moment là.
Il faut savoir que trouver de gros nuages est monnaie courante sur Mars, surtout dans la région de Tharsis et dans les régions de haute altitude, et le célèbre Carl Sagan avait proposé en 1971 une origine pour les expliquer : une origine topographique. 
Il faut s'arrêter un instant sur la topologie de cette région de Tharsis et ses volcans. Les trois régions volcaniques les plus importantes sur Mars sont Elysium, la région de Alba Mons, et Tharsis. Tharsis contient à elle seule les quatre volcans les plus hauts et imposants : Olympus Mons, Ascraeus Mons, Pavonis Mons, et Arsia Mons. Et la totalité de la région Tharsis se trouve déjà beaucoup plus élevée que l'altitude moyenne de la planète rouge.
Les auteurs montrent une carte topographique des quatre volcans de Tharsis ainsi que les profils tracés le long de leur axe central. On voit que Arsia Mons culmine à un peu plus de 15 km d'altitude avec une base sur un plateau déjà à 5 km d'altitude. C'est donc le troisième volcan le plus élevé derrière Olympus Mons (20 km d'altitude) et Ascraeus Mons (17 km). Ces quatre volcans sont non seulement très haut, mais aussi très gros, avec un diamètre compris entre 300 et 500 km... Arsia Mons diffère cependant des trois autres monstres par sa caldera (cratère) plus large mais moins profonde : environ 150 km de diamètre pour 1 km de profondeur.

Il avait été montré dans des études antérieures que la circulation atmosphérique induite par les volcans géants peut injecter de grandes quantités d'aérosols dans la haute atmosphère, des aérosols qui pourraient avoir un rôle dans la condensation de cristaux de glace. Les mouvements atmosphériques engendrés par la topologie peuvent également transporter de la vapeur d'eau en haute altitude, selon les chercheurs européens. Mais le long nuage AMEC fait un peu exception car il apparaît lors de la saison martienne où il y a globalement très peu d'autres nuages.
Ce qui est sûr, c'est que le nuage allongé est bien présent dans les images d'archives enregistrées à la même saison et aux mêmes heures, ce qu'on peut voir dans les clichés de Mars Express et Mars Orbiter pour les années 29 à 33, et même sur une vieille image de la sonde Viking de l'année martienne 12 (en 1977 sur Terre), où le AMEC apparaît très nettement au même endroit, même si c'est en noir et blanc...


Hernández‐Bernal et ses collaborateurs estiment que l'apparition du AMEC autour du solstice de l'hémisphère sud est probablement associée à une coïncidence spécifique dans les conditions atmosphériques comme les vents, la température, la pression et la teneur en vapeur d'eau. Les chercheurs notent que le phénomène se développe durant la saison d'insolation maximale au niveau de Arsia Mons, ce qui n'est peut-être pas un hasard, et c'est aussi la saison où l'injection de poussière dans l'atmosphère et les tempêtes de poussière régionales ou globales apparaissent sur Mars. Comme les deux phénomènes apparaissent en même temps, il peut être intéressant selon les planétologues d'étudier les effets de la poussière sur la dynamique et la distribution de la vapeur d'eau et sur la physique qui est à l'oeuvre dans la formation des nuages orographiques. 
Mais avant de renvoyer vers un futur article qui se focalisera sur les explications physiques de l'origine du long nuage de glace, Hernández‐Bernal et son équipe notent pour finir la description détaillée du long nuage que d'autres nuages un peu similaires ont été aperçus dans le passé au niveau de Ascraeus Mons en 1980 par Viking et plus récemment en 2009 et 2014 au dessus de Valles Marineris et de Noctis Labyrinthus. Ces derniers nuages étaient également récurrents chaque année aux alentours du solstice austral, mais apparaissent en début d'après-midi, avec une extension qui pouvait atteindre 1000 km à une altitude similaire. 

Les sondes qui possèdent une orbite permettant d'observer Mars le matin vont maintenant pouvoir observer avec plus de détails ce phénomène atmosphérique amusant pour en savoir encore plus et peut-être en trouver d'autres...


Source

An Extremely Elongated Cloud over Arsia Mons Volcano on Mars: I. Life Cycle
J. Hernández-Bernal et al.
Journal of Geophysical Research : Planets (20 december 2020)


Illustrations

1) Image du nuage allongé de Arsia Mons (ESA)

2) Carte topographique de la région Tharsis (J. Hernández-Bernal et al.)

3) Image du nuage AMEC et de son ombre obtenue par MRO (J. Hernández-Bernal et al.)


Aucun commentaire :