Le modèle cosmologique standard fait des prédictions concernant la structure et l'évolution des galaxies. Parmi ces prédictions, il y a celle qui indique que les petits halos de matière noire qui forment des galaxies naines satellites autour des grands halos qui abritent les galaxies de grande taille doivent se distribuer de manière isotrope autour des grands halos. Les galaxies satellites, selon le modèle, ne doivent donc pas se retrouver dans un disque en rotation toutes dans le même sens avec des vitesses cohérentes entre elles. Or c'est ce qui a été observé, pour certaines galaxies satellites, pour la première fois dès la fin des années 1970 pour six galaxies satellites de la Voie Lactée, puis pour onze d'entre elles au début du siècle. C'est aussi au début des années 2000 que le même phénomène fut observée autour de la galaxie d'Andromède, tout d'abord par l'observation de galaxies satellites se répartissant dans le même plan, puis ensuite avec la preuve qu'elles étaient en co-rotation, c'est à dire avec une cinématique cohérente entre elles. Et en 2015, c'est autour de la galaxie elliptique Centaurus A qu'une structure planaire pour la répartition des satellites a été décelée, suivie trois ans plus tard par la mise en évidence d'une cohérence dans la cinématique de ces galaxies satellites. En 2017 et 2018, des indices de plans de satellites ont également été publiés concernant les galaxies M101 et M83... Cette anomalie observationnelle qui commence à être bien documentée a été nommée par les astrophysiciens le "problème des plans de satellites".
Dans leur étude de 2018 sur Cen A, Oliver Müller (Observatoire de Strasbourg) et ses collaborateurs internationaux avaient montré que sur les 16 galaxies satellites connues à l'époque, 14 d'entre elles avaient un mouvement de rotation planaire et en cohérence.
Dans l'article d'aujourd'hui, Oliver Müller et son équipe poursuivent l'étude entamée sur Cen A et mesurent aujourd'hui les vitesses et les distances de 12 nouvelles galaxies satellites, les portant à un nombre total de 28. Les chercheurs ont réussi à mesurer la vitesse des galaxies dans la ligne de visée grâce au décalage spectral de l'effet Doppler qu'ils ont enregistré avec l'instrument spectroscopique MUSE installé sur le Very Large Telescope de l'ESO au Chili. A noter qu'il existe également 13 autres satellites qui ont été identifiées dans le système de Centaurus A mais elles manquent de données de vitesse et ne peuvent donc pas être incluses dans l'analyse des chercheurs pour le moment, même si elles sont mentionnées pour information.
Et avec ces 28 galaxies satellites dont on connaît désormais précisément la distance et la vitesse, les astrophysiciens produisent une nouvelle représentation : ils calculent pour chacune d'entre elles sa position dans le plan de rotation autour de Cen A. Pour cela, on peut définir que le plan de rotation forme une ellipse et possède donc un axe majeur et un axe mineur. Les astrophysiciens calculent la distance qui sépare une galaxie donnée de l'axe mineur (donc calculée parallèlement à l'axe majeur). Cette distance peut varier entre -800 et +800 kpc. Ils tracent ensuite la vitesse de ligne de visée pour chacune des galaxies (qui s'étale entre 300 et 800 km/s), en fonction de la distance à l'axe mineur. Centaurus A se trouve naturellement au centre du graphe, avec une vitesse de l'ordre de 550 km/s et une une distance à l'axe mineur qui est nulle.
Ce graphe est éclairant. On y découvre qu'il apparaît nettement deux groupes de galaxies satellites distincts, pour 21 sur les 28 : il y a celles du quadrant en bas à droite, 12 spécimens avec des distances positives et qui s'approchent de nous relativement à Cen A (décalage vers le bleu) et celles du quadrant en haut à gauche, avec des distances relatives négatives et qui s'éloignent de nous par rapport à Cen A (décalage vers le rouge).
Le premier groupe se trouve donc positionné d'un côté de Cen A et l'autre de l'autre côté et ils ont des mouvements dans des sens opposés... En d'autres termes, Müller et ses collègues mettent en évidence que 21 des 28 galaxies naines satellites de Cen A non seulement se meuvent dans un plan de rotation autour de la grosse galaxie elliptique, mais en plus elles le font avec un mouvement orbital cohérent, toutes dans le même sens.
Il est intéressant de calculer avec quelle probabilité une telle structure de galaxies satellites est retrouvée dans un cas similaire à Cen A dans les grosses simulations cosmologiques qui sont fondées sur le modèle ΛCDM. Müller et ses collaborateurs montrent que la simulation Illustris-TNG100, l'une des plus performantes, ne reproduit des satellites semblant en rotation planaire cohérente que pour seulement 0,2% des galaxies analogues à Cen A. De plus, les chercheurs observent que dans les simulations, les galaxies ne sont pas fait en co-rotation mais elles apparaissent comme telles par chance et ces structures ne sont pas pérennes. Le modèle standard est donc bel et bien mis en défaut par cette nouvelle confirmation observationnelle de plans de galaxies satellites. Et contrairement aux trois autres problèmes rencontrés par ΛCDM au niveau des galaxies: le problème du core-cusp (forme du profil de densité de la matière noire), le problème des missing satellites (nombre trop faible de galaxies satellites) et celui du too-big-to-fail (densité trop faible des galaxies satellites), le problème des plans de satellites ne peut pas être résolu en prenant en compte tous les effets subtils de la matière baryonique (rétroactions et autre joyeusetés).
L'existence de plans de galaxies satellites en rotation cohérente n'a aujourd'hui aucune explication viable, et comme le disent les auteurs de l'article, c'est un vrai challenge qui persiste pour le modèle ΛCDM à l'échelle des galaxies.
Source
The coherent motion of Cen A dwarf satellite galaxies remains a challenge for ΛCDM cosmology?
Oliver Müller et al.
Accepté pour publication par Astronomy&Astrophysics (16 december 2020)
Illustrations
1) Centaurus A (ESO)
2) Distribution des galaxies satellites de Cen A en fonction de leur position dans le plan de rotation et de leur vitesse (Müller et al.)
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