dimanche 17 janvier 2021

Un excès de rayons X sur des étoiles à neutrons mène sur la piste des axions


En novembre dernier, une équipe d'astrophysiciens découvrait un excès de rayons X de quelques keV provenant de plusieurs étoiles à neutrons proches, impossible à expliquer. Une piste envisagée était la production de ces photons X par des axions créés dans l'étoile à neutrons et transformés en photons dans le champ magnétique de l'étoile à neutrons. Aujourd'hui, la même équipe a creusé l'idée et montre qu'effectivement, un modèle d'axions permet d'expliquer complètement les rayons X de 2 à 8 keV qui sont observés. Une étude publiée dans Physical Review Letters.

Les astrophysiciens théoriciens Malte Buschmann, Raymond Co, Christopher Dessert et Benjamin Safdi (Université du Michigan, Université du Minnesota et Université de Californie) se sont intéressés à 7 étoiles à neutrons proches qui ont la particularité de ne pas être des pulsars : soit elles n'émettent pas d'ondes radio ou bien l'axe d'émission de leur faisceau radio n'intercepte pas la Terre. Ce groupe d'étoiles à neutrons est surnommé les "7 mercenaires" ("The magnificent 7"), en référence au western de John Sturges de 1960. Elles sont les sept étoiles à neutrons les plus proches de la Terre, situées entre 123 pc et 430 pc (entre 400 et 1400 AL) et ont la particularité d'être des étoiles à neutrons isolées, des XDINS (X-ray Dim Isolated Neutron Stars), elles ne sont pas accompagnées de résidu nébuleux de supernova, ni de compagne.
Le fait qu'elles ne montrent pas de pulsations radio et qu'elles se trouvent dans un environnement calme et vide permet de les utiliser comme de véritables laboratoires, car cela implique qu'elles ne doivent produire qu'une émission thermique, le rayonnement associé à la température de leur surface, qu'on appelle un "rayonnement thermique" (ou rayonnement de corps noir). Il s'agit d'un spectre d'émission qui est caractéristique de la température du corps en question. Ces étoiles à neutrons ne doivent donc pas montrer de rayonnement "non-thermique", qui serait associé à des phénomènes de réactions entre particules ou autre. 
A la température de surface qui est la leur (entre 500 000 et 1 million K, ces étoiles à neutrons rayonnent principalement dans le domaine des UV lointains et des rayons X : de quelques dizaines d'eV jusqu'à environ 100 eV.
Mais en regardant de près les données archivées des télescopes X Chandra et XMM-Newton qui avaient observé les 7 mercenaires il y a quelques années (avec des durées d'exposition différentes), les chercheurs américains ont vu qu'il existait dans les spectres d'au moins deux d'entre elles (et pour quatre autres avec moins de robustesse) des photons d'énergie bien plus élevée, entre 2 et 8 keV, qui ne correspondent pas au spectre du rayonnement thermique. L'étoile à neutrons du groupe qui montre le plus de rayons X durs (énergie de l'ordre du keV) est aussi celle qui a bénéficié de la plus grande durée d'observation par Chandra, il s'agit de la dénommée J1856. C'est aussi la plus proche des sept (123 pc) et l'une des plus froide (kT = 50 eV). J1856 a un champ magnétique qui a été évalué à 2,9 1013 Gauss.
Les chercheurs, dans leur étude de novembre dernier, ont analysé toutes les solutions possibles et imaginables pour expliquer la présence de ces rayons X de quelques keV en excès. Et rien ne collait. Ils concluaient que peut-être que ces photons énergétiques pouvaient provenir de nouvelles particules comme par exemple les axions (particule candidate pour la matière noire et pour résoudre le problème de la violation de CP dans l'interaction forte), des axions qui pourraient selon la théorie être produits dans le coeur des étoiles à neutrons et s'en échapper facilement. Et comme les axions interagissent avec les champs magnétiques pour produire des photons... 
C'est donc pour poursuivre cette précédente étude et creuser l'idée que Buschmann et ses collaborateurs ont calculé le plus précisément possible ce que donnerait un flux d'axions ou de particules de type axions (il existe de nombreuses variantes) crées thermiquement dans le coeur d'une étoile à neutrons, un phénomène prévu théoriquement, et ce qu'il produirait dans la magnétosphère d'une étoile à neutrons comme J1856. Il y a bien sûr des paramètres inconnus dans le modèle comme la masse du boson de Peccei-Quinn (l'autre nom de l'axion) ou bien l'intensité de sa constante de couplage avec les photons et avec les nucléons (on a besoin de connaître ces deux couplages (intensité d'interaction) dans le cas d'axions sortants d'une étoile à neutrons.
Vous l'aurez compris, les chercheurs parviennent à retrouver la forme de la distribution énergétique des rayons X durs qui sont observés entre 2 keV et 8 keV, découpés en trois bins d'énergie (2-4 keV; 4-6 keV et 6-8 keV). Mais ce qui est le plus excitant c'est que le modèle d'axions utilisé ici ne permet pas seulement de reproduire l'excès de rayons X durs de J1856, mais aussi ceux des 6 autres "mercenaires" ! tout d'abord celui de J0420, la deuxième plus exploitable (entre 2 keV et 8 keV), mais aussi ceux de J0806, J1605, J0720, J1308, et J2143 (entre 4 et 8 keV) qui sont pourtant environ 10 fois plus faibles que pour J1856 et J0420. 
Le résultat permet alors de fixer des contraintes sur les paramètres libres de la masse de l'axion et de ses constantes de couplage. Le meilleur ajustement global obtenu donne une masse de l'axion qui est inférieure à 10 µeV et le produit des constantes de couplages gaγγ × gann est de 4. 10−20 GeV−1.  dans un intervalle de confiance de 95%, tenant compte des incertitudes statistiques et théoriques.

Il est absolument remarquable d'obtenir des paramètres d'axion qui permettent de produire des résultats cohérents pour 7 étoiles à neutrons différentes! Par ailleurs, Buschmann et ses collaborateurs ne peuvent qu'obtenir une valeur du produit des deux constantes de couplage de l'axion (avec les photons et les nucléons) gaγγ × gann. Mais il existe des contraintes observationnelles (des limites d'exclusions) pour chacune de ces deux constantes indépendamment : gaγγ est contrainte par l'expérience CAST de recherche directe des axions au CERN qui a pu fixer une limite supérieure à la constante de couplage suite à sa non-détection d'axions : gaγγ < 6,6 × 10−11 GeV−1 pour les masses de l'ordre de 10 µeV. Et gann a été contrainte, elle, par des analyses fines de la supernova 1987A : gann < 1,4 × 10−9 . Lorsque l'on fait le produit de ces deux inégalités, on obtient une limite supérieure pour gaγγ × gann :   gaγγ × gann < 9,2 10-20 GeV-1. La valeur obtenue par Buschmann, Co, Dessert et Safdi dans leur meilleur ajustement global ( 4. 10−20 GeV−1) est donc cohérente avec les contraintes d'autres observations...

Les chercheurs restent prudents dans la conclusion de leur article : ils ne clament pas la découverte des axions, mais disent simplement que l'excès de rayons X durs des étoiles à neutrons du groupe des 7 mercenaires est très bien reproduit par un modèle d'axions qui seraient créés dans le coeur des étoiles à neutrons et interagissant ensuite dans leur champ magnétique, et ils précisent qu'il n'existe aujourd'hui pas d'autres explication viable pour cet excès.
Ils ajoutent enfin qu'une série d'observations à moyen terme pourraient établir définitivement la découverte.  Des observations plus longues et à plus haute énergie notamment sur les deux étoiles les plus prometteuses du groupe des 7, avec un télescope X comme NuSTAR pourraient selon eux renforcer la solution axions, les rayons X durs produits par les axions devant être plus nombreux entre 10 et 60 keV, et avec moins de sources parasites possibles. D'autre part, Buschmann et ses collaborateurs prédisent que le flux de rayons X produit par des axions devrait montrer une pulsation avec une période correspondant à la période de l'étoile à neutrons, or une telle pulsation du rayonnement X devrait être mesurable par le futur télescope spatial ATHENA (Advanced Telescope for High ENergy Astrophysics) dont le lancement est prévu fin 2031.
Pour finir, les chercheurs proposent à la communauté d'élargir le champs des recherches au delà des étoiles à neutrons, car tous les systèmes à fort champ magnétique pourraient produire des signes d'axions du type qui est envisagé ici, notamment des naines blanches dont certaines arborent un champ magnétique très intense, et qui ont le bon goût de ne produire aucun rayon X dur, théoriquement...

Source

Axion Emission Can Explain a New Hard X-Ray Excess from Nearby Isolated Neutron Stars
Malte Buschmann, Raymond Co, Christopher Dessert, Benjamin Safdi
Physical Review Letters 126 (12 january 2021)


Illustrations

1) Vue d'artiste d'une étoile à neutrons isolée (Casey Reed - Penn State University - Casey Reed - Penn State University)

2) Comparaison des flux de rayons X dur mesurés sur les 7 étoiles à neutrons avec ceux calculés avec le modèle d'axions (entre 2 et 8 keV pour les deux premières et entre 4 et 8 keV pour les 5 autres)  (Buschmann et al.)

8 commentaires :

Anonyme a dit…

Bonjour, j'entends toujours que la matière noire n'interagit pas avec la matière baryonique mais dans l'article vous dites que l'axion candidat à la matière noire interagit avec le champ magnétique de l'étoile à neutrons pour créer des photons. Donc ma question est de savoir si l'axion interagit avec la matière "normale" est-ce un candidat matière noire alors que par définition ça devrait interagir peu ou pas ? Merci

Dr Eric Simon a dit…

En fait, quand on dit que la matière noire n'interagit pas avec la matière ordinaire ce n'est pas exact, elle doit interagir très faiblement avec la matière ordinaire. Et pour cette matière noire là, on pense surtout à celle qu'on appelle les WIMPs, qui seraient des particules massives. Les axions sont un autre type de particules, très différentes des WIMPs, et qui pourraient être qualifiées de pas tout à fait "noires", c'est vrai... de par leur production de photons. Cela dit, les WIMPs sont également potentiellement sources de photons (indirectement) lorsqu'elles doivent s'annihiler entre elles, c'est un de leurs modes de détection aussi. Bref, la matière noire ne porte pas très bien son nom. D'ailleurs en anglais elle est appelée Dark Matter, ce n'est pas un hasard, elle est plus sombre que noire...

L6 Atmo a dit…

Bonjour,

"soit elles n'émettent pas d'ondes radio ou bien l'axe d'émission de leur faisceau radio n'intercepte pas la Terre."

"cela implique qu'elles ne doivent produire qu'une émission thermique"

Ces 2 phrases me posent souci car si le faisceau radio n'intercepte pas la terre, comment être sûr qu'elles ne produisent qu'une émissions thermique?

Dr Eric Simon a dit…

Oui, j'aurais dû préciser "rayonnement détectable"

L6 Atmo a dit…

Imaginons qu'il y a un faisceau radio et qu'il n'intercepte pas la Terre, cela ne pose pas de souci pour le reste de leur raisonnement? est-ce qu'il tient toujours debout?

Dr Eric Simon a dit…

C'est eux les spécialistes et je rappelle que leur article a été revu et validé par d'autres spécialistes avant d'être publié dans l'un des journaux les plus renommés (et exigeants) en physique. Donc, on peut faire confiance dans ce qui est dit. Il est probable que ces étoiles à neutrons aient une émission radio non visible en plus de leur émission thermique. D'après ce que j'ai compris, une éventuelle émission X non thermique qui serait associée au faisceau radio (par effet synchrotron) serait directionnelle et orientée globalement dans la même direction que celle des faisceaux radio.

L6 Atmo a dit…

je ne remets pas en cause l'article ou les chercheurs qui en sont à l'origine (j'ai un profond respect pour eux et leurs incroyables capacités scientifiques), je me pose des questions c'est tout. Et d'autant plus de questions sur les articles abordant la matière noire et l'énergie noire car ces concepts me laissent dubitatif car on (=l'Humanité^^) les a créé pour solutionner des écarts entre observations et théorie alors qu'on sait que la théorie (modèle dominant LambdaCDM) est au moins en partie fausse et que pas mal de pistes de recherche, d'ailleurs abordées sur votre blog, permettraient de se passer de ces "dark concepts".
Le Doute n'est-il pas à la base de la démarche scientifique? (question rhétorique, je sais que nous serons d'accord^^)

Gargoyle a dit…

Il me semble qu'il s'agit avant tout de mesurer la température de surface et avoir un profil de température de corps noir. Le faisceau ne permettant pas de faire de telles mesures lorsque sa trajectoire passe par la Terre, ils ont sélectionné ceux pour lesquelles nous ne sommes pas perturbés par eux. Le profil de corps noir est validé qu'il y ai ou non un faisceau... Seule la mesure est possible ou non suivant les cas