Il fallait bien trois articles pour décrire de manière exhaustive cette découverte d'une éruption magnétique géante de magnétar, pour la première fois localisée précisément dans une galaxie voisine et qui a failli être confondue avec un banal sursaut gamma. Deux études sont publiées dans Nature aujourd'hui et la troisième dans Nature Astronomy.
C'est le 15 avril 2020 que ce qui ressemblait à un bref sursaut gamma a été détecté par plusieurs télescopes spatiaux. Il a été détecté en premier au niveau de Mars par l'instrument Russian High Energy Neutron Detector de la sonde Mars Odyssey. Puis un peu moins de 7 minutes plus tard ce fut au tour d'un instrument de la sonde Wind de la NASA de déclencher (une sonde positionnée entre la Terre et le Soleil à 1,5 million de km). Et 4,5 secondes plus tard, le flash atteint la Terre et 3 instruments en orbite : le télescope gamma Fermi, le télescope gamma INTEGRAL et l'instrument ASIM (Atmosphere-Space Interactions Monitor) qui est positionné à bord de l'ISS.
La bouffée de rayonnement énergétique a duré seulement 140 millisecondes. Grâce à la triangulation et les mesures des délais temporel, les détections multiples ont permis pour la première fois de déterminer précisément la position d'origine dans la région centrale de la galaxie du Sculpteur (NGC 253), située à 11,4 millions d'années-lumière.
Très vite, plusieurs équipes d'astrophysiciens se sont intéressés à ce GRB200415A si bien localisé. Les spécialistes ont toujours pensé qu'un certain pourcentage de ce qu'on considérait être des GRB (sursauts gamma) devait en fait être l'émission énergétique d'éruptions magnétiques géantes de magnétars. Ces événements éruptifs ultra-violents peuvent apparaître lorsqu'un magnétar subit un brutal réarrangement de sa croûte, induit par ses champs magnétiques extrêmes. Les magnétars sont connus pour produire des bouffées de rayons X qui peuvent durer plusieurs semaines, mais les éruptions magnétiques géantes sont beaucoup plus courtes et encore plus énergétiques. Elles sont si puissantes que les trois cas qui ont été identifiés formellement depuis 40 ans dans notre galaxie (en 1998 et 2004) ou dans le Grand Nuage de Magellan (en 1979) avaient saturé les détecteurs des satellites qui les ont détectés. L'événement de ce type le plus récent observé (avant GRB 200415A), le 27 décembre 2004, a même produit des changements détectables dans la haute atmosphère terrestre, alors que le magnétar en cause était situé à 28000 années-lumière...
Oliver Roberts (Universities Space and Research Association) et son équipe montrent dans leur étude publiée dans Nature comment à évolué dans le temps le signal gamma et X en provenance de GRB 200415A, mesuré par les télescopes spatiaux Fermi GBM (Gamma Ray Burst Monitor) et Swift.
La courbe de luminosité en rayons X et gamma d'une éruption magnétique géante de magnétar (l'évolution du flux photonique dans le temps) a une forme caractéristique et reconnaissable : elle commence par un flash très court et très intense, d'une durée de l'ordre de 200 ms, qui est suivi par une trainée qui décroît exponentiellement sur plusieurs minutes voire plusieurs heures et qui montre une modulation périodique caractéristique. Cette modulation qui doit être visible n'est rien d'autre que la trace de la rotation de l'étoile à neutrons sur elle-même. La zone d'origine de l'éruption géante est en effet localisée sur une petite zone de la surface de l'étoile à neutrons et l'émission résiduelle décroissante (signant un refroidissement) nous apparaît alors comme une émission pulsée, la zone passant dans notre ligne de visée périodiquement (à la manière d'un phare). Les magnétars ont une période de rotation plus longue que celle des pulsars (ils tournent moins vite sur eux-mêmes), elle est le plus souvent comprise entre 2 et 12 secondes.
De tels événements, si ils sont lointains (jusqu'à 80 millions d'années lumière) pourraient être détectés par le flash initial mais sans que l'on puisse voir la trainée modulée caractéristique, ce qui ressemblerait alors terriblement à des GRB courts classiques, qui sont eux attribués typiquement à une collision d'étoiles à neutrons.
Ce que voient Roberts et ses collaborateurs dans leur analyse spectrale et temporelle des rayons X et gamma du GRB 200415A, ce n'est hélas pas la modulation périodique de la trainée, mais un autre indice très pertinent qui met sur la piste de l'éruption magnétique géante : une très rapide évolution du spectre en énergie, de l'ordre de la fraction de milliseconde. Il s'agit d'un comportement attendu pour une éruption géante d'un magnétar extragalactique, mais qui n'avait encore jamais pu être observé dans les cas précédents (du fait de la saturation des détecteurs). De plus le flash gamma a un temps de montée de seulement 77 microsecondes, 100 fois plus rapide que le plus rapide des GRB produit par une fusion d'étoiles à neutrons. Par ailleurs, les chercheurs ont aussi détecté dans le flux, des photons de 3 MeV, une énergie qui est un signe selon Roberts d'un mouvement relativiste de plasma comme source d'émission et qui serait par ailleurs cohérent avec la très grande variabilité spectrale qui est observée. Les chercheurs évoquent un nuage d'électrons et de positrons se déplaçant à 99% de la vitesse de la lumière.
Pour Roberts et ses collaborateurs il s'agirait donc bien d'un magnétar extragalactique et ce serait donc la localisation la plus précise que nous ayons pour un tel magnétar situé au delà du Grand Nuage de Magellan. Les chercheurs penchent plus pour une éruption magnétique géante provoquée par un réarrangement sismique de la croûte de l'étoile à neutrons, même si une solution impliquant une reconnexion des lignes de champ magnétique dans la magnétosphère, au dessus de la surface, peut aussi être envisagée.
De leur côté, l'astrophysicien russe Dmitry Svinkin (Ioffe Institute, St Petersburg) et son équipe, qui publient leur étude dans le même numéro de Nature, parviennent à la même conclusion après avoir analysé le signal enregistré par les cinq sondes et télescopes du réseau IPN (InterPlanetary Network of γ-ray detectors) dont nous avons parlé, et qui ont permis de localiser précisément le magnétar dans la galaxie NGC 253. Les chercheurs décrivent comment ils sont parvenus à définir cette position dans une région de seulement 20 arcminutes carré.
Cette zone couvre notamment partiellement le noyau galactique de NGC253, sa barre centrale, une structure annulaire entourant la barre ainsi qu'un bras spiral qui contient de nombreux groupes de jeunes étoiles. Les astrophysiciens précisent que c'est tout à fait cohérent avec l'explication magnétar, ces derniers étant toujours associés à des populations d'étoiles jeunes (des étoiles massives qui explosent vite après leur naissance par effondrement gravitationnel, sources de pulsars et de magnétars).
Ils comparent également certaines caractéristiques de la bouffée de rayonnement, comme l'énergie totale émise, avec d'autres GRB qui ont été fortement suspectés d'être eux aussi des éruptions magnétiques géantes de magnétars, comme SGR 1806−20 (dans la Voie Lactée) , GRB 051103 (dans le groupe M81/M82) ou GRB 070201 (dans Andromède).
Svinkin et ses collègues remarquent par ailleurs que les galaxies dans lesquelles des magnétars extragalactiques ont été trouvés ou suspectés via des éruptions magnétiques ont une ressemblance avec les galaxies qui ont abrité des FRB (Fast Radio Bursts) non-répétitifs, évoquant une possible connexion entre les deux phénomènes.
Le troisième article est paru également aujourd'hui, mais dans Nature Astronomy, il est signé par la collaboration Fermi-LAT, qui est une vaste collaboration internationale qui exploite les données recueillies par le satellite Fermi et son télescope gamma LAT (Large Array Telescope).
Nicola Omodei (Stanford University) a dirigé cette étude pour la collaboration. A bord de Fermi, il y a deux instruments pour étudier les sursauts et autres sources gamma : le GBM dont nous avons déjà parlé, qui permet de suivre très rapidement l'évolution des flux de gamma et leur spectre, et puis il y a le LAT qui est spécialisé dans les photons gamma de haute voire très haute énergie. Omodei et son équipe publient la détection de photons très énergétiques qu'ils attribuent à la même éruption magnétique géante, car venant de la même localisation et quasi en coïncidence temporelle. Il s'agit de seulement 3 photons, mais qui sont vraiment très énergétiques : 480 MeV, 1,3 GeV et 1,7 GeV, ce qui en ferait les photons les plus énergétiques jamais détectés dans une éruption magnétique géante de magnétar. Mais le plus étonnant dans cette observation, c'est que ces photons sont arrivés un peu longtemps après le flash initial de l'éruption : entre 19 secondes et 4,7 minutes plus tard. Les chercheurs sont néanmoins quasi certains que ces photons gamma viennent de l'éruption magnétique, ils calculent que la probabilité pour qu'il s'agisse d'un vrai GRB situé à la même position et apparaissant quasi simultanément (à l'échelle des temps cosmologiques), reviendrait à attendre 6 millions d'années pour le voir.
Pour expliquer ce retard observé entre les premiers rayons gamma et ces trois plus énergétiques, les chercheurs de Fermi-LAT élabore le scénario suivant : Une brutale reconfiguration du champ magnétique du magnétar ou de sa croûte produit une rapide bouffée de rayons X et gamma, qui est accompagnée par un blob de matière qui est expulsé du magnétar à la vitesse vertigineuse de 99% de la vitesse de la lumière. Cette matière (électrons et positrons) se retrouve donc derrière le pulse de photons. Après quelques jours de trajet, les deux entités atteignent une coquille de gaz interstellaire comprimé, accumulé par les ondes de choc des éruptions récurrentes du magnétar (on appelle cela un bow shock).
Les photons de l'éruption géante passent sans problème à travers la coquille de gaz, mais pas les particules quelques secondes plus tard. Elles interagissent avec les atomes du gaz, créant au passage de nouvelles ondes de chocs qui vont provoquer une nouvelle accélération des particules, de nouvelles interactions, qui se termineront par la production de photons gamma énergétiques. Une seconde population de photons gamma plus étalée dans le temps et spatialement vient alors suivre la première bouffée avec quelques secondes à quelques minutes de décalage.
Ce scénario tout à fait plausible explique parfaitement l'arrivée des trois photons dans le détecteur de Fermi-LAT, ce qui renforce on l'aura compris la conclusion sur la nature de ce GRB court qui n'en est en fait pas un selon la définition communément admise des GRB courts (produits par des collisions d'étoiles à neutrons). Les GRB courts sont des phénomènes transitoires uniques car cataclysmiques, tandis que les éruptions magnétiques géantes peuvent se répéter à l'envie, même si aucune répétition de ce type n'a encore été observée.
Aujourd'hui, les astrophysiciens peuvent estimer la fraction des sursauts gamma qui ne sont pas des "vrais" GRB mais plutôt des éruptions géantes mal identifiées : il y en aurait environ 2%. Et il faut se rappeler qu'on détecte à peu près un GRB par jour...
On dispose donc aujourd'hui d'un nouveau très sérieux candidat magnétar extragalactique qui est capable de produire des éruptions magnétiques géantes. Le nombre de spécimens connus (officiels ou candidats) est encore très petit mais on commence à avoir une meilleure idée de leurs caractéristiques, de l'énergie qu'il peuvent rayonner et donc de la distance jusqu'à laquelle on peut espérer en détecter. Et le télescope Fermi-GBM/LAT n'est en orbite que depuis 12 ans...
Sources
Rapid spectral variability of a giant flare from a magnetar in NGC 253
O. J. Roberts et al.
A bright γ-ray flare interpreted as a giant magnetar flare in NGC 253
D. Svinkin et al.
Nature volume 589 (14 january 2021)
High-energy emission from a magnetar giant flare in the Sculptor galaxy
The Fermi-LAT Collaboration
Nature Astronomy (13 january 2021)
Illustrations
1) Localisation de l'éruption magnétique géante dans la galaxie NGC253 (NASA's Goddard Space Flight Center and Adam Block/Mount Lemmon SkyCenter/University of Arizona)
2) Vue d'artiste de l'éruption magnétique géante (NASA’s Goddard Space Flight Center/Chris Smith (USRA/GESTAR))
3) Courbe de luminosité typique d'une éruption magnétique géante et son évolution en fonction de la distance du magnétar (NASA's Goddard Space Flight Center)
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