Le quasar le plus distant vient d'être découvert, ou du moins sa découverte vient d'être publiée. Il est situé seulement 670 millions d'années après le Big Bang, et arbore déjà un trou noir très très massif, apportant de nouvelles contraintes sur la formation de ces monstres. L'étude a été acceptée pour publication dans The Astrophysicial Journal Letters.
L'Univers n'avait donc que 5% de son âge à l'époque on l'on peut voir ce quasar nommé J0313-1806. Il a un redshift z=7.642. Nouveau record pour un quasar. La masse du trou noir qui est à l'origine de sa très forte luminosité via l'échauffement extrême de son disque d'accrétion, vaut, tenez-vous, 1,6 milliards de masses solaires ! Il n'aura donc fallu qu'environ 400 millions d'années pour que ce trou noir parvienne à une masse de 1,6 milliards de masses solaires. Les premières étoiles et galaxies naissent rappelons-le environ 250 millions d'années après le Big Bang. En somme, ce trou noir supermassif a gagné en moyenne environ 4 masses solaires par an depuis sa naissance présumée ! A ce rythme, notre trou noir galactique Sgr A* et ses 4 petits millions de masses solaires, se serait formé en seulement 1 million d'années, ce qui est très peu... En mesurant la luminosité du quasar, les chercheurs calculent la quantité de masse qui est accrétée par le trou noir aujourd'hui : environ 25 masses solaires par an. Il grossit donc déjà un peu plus vite par rapport à sa moyenne.
En plus d'être le nouveau recordman de distance et de précocité parmi les quasars, J0313-1806 est aussi le premier spécimen de son espèce à montrer un vent de gaz chaud ionisé expulsé de sa périphérie, probablement de son disque d'accrétion selon Feige Wang (University of Arizona) et ses collaborateurs qui ont présenté aujourd'hui leurs résultats lors de la 237ème réunion de l'American Astronomical Society. Et les chercheurs mesurent la vitesse de ces émanations de gaz chaud : elle est très élevée, atteignant presque 20% de la vitesse de la lumière.
Le quasar qui détenait le précédent record de distance avait été découvert il y a 3 ans, il est "seulement" 20 millions d'années-lumière plus proche de nous que J0313-1806, mais il possède un trou noir supermassif deux fois plus petit.
Bien évidemment, trouver un trou noir aussi gros aussi tôt pose beaucoup de contraintes sur l'Univers jeune et la cosmologie décrivant cette époque du début des galaxies, voire avant. J0313-1806 permet en effet de disqualifier deux modèles de formation des trous noirs supermassifs. Le premier est le plus simple, proposant une apparition à partir d'une très grosse étoile de première génération (population III), qui pourrait faire plusieurs centaines de masses solaires, et qui aurait explosé très peu de temps après sa formation. Le deuxième fait appel à un amas dense d'étoiles, elles aussi de première génération et déjà bien massives, un amas qui pourrait s'effondrer rapidement pour former un trou noir de quelques milliers de masses solaires. Le point commun de ces modèles est la production d'un trou noir de masse intermédiaire déjà assez massif, et qui va ensuite accréter du gaz en très grande quantité et très rapidement, jusqu'à atteindre la masse qu'on lui connait. Mais Wang et ses collaborateurs montrent que ces deux scénarios ne permettent pas d'expliquer ce trou noir de 1,6 milliards de masses solaire seulement 670 millions d'années après le Big Bang. La graine de trou noir qui aurait dû l'initier devait avoir une masse initiale de déjà plus de 10000 masses solaires si il avait commencé à grossir 100 millions d'années après le Big Bang. Or les premières étoiles apparaissent aux alentours de 250 millions d'années après la singularité...
La graine du trou noir a donc due se former nécessairement par un autre mécanisme selon les astrophysiciens. Ils estiment que la scénario du "collapse direct" (DCBH, Direct Collapse Black Hole) est bien mieux adapté pour produire une graine de trou noir aussi massive 100 millions après le Big Bang. Le collapse direct , c'est tout simplement un processus dans lequel un vaste nuage de gaz, au lieu de se fragmenter en morceaux qui s'effondreront pour former des étoiles massives, s'effondre directement et entièrement sur lui-même, donnant naissance à un trou noir de plusieurs dizaines de milliers ou centaines de milliers de masses solaires sans passer par la case nucléaire des étoiles.
Parallèlement à sa très forte activité d'accrétion et d'absorption de matière, qui a pour effet d'éjecter du gaz depuis son disque d'accrétion, J0313-1806 parvient aussi à former de grandes quantités d'étoiles. Les astronomes évaluent ce taux de formation à 200 masses solaires par an (rappelons que le taux de formation stellaire de la Voie Lactée est de 1 masse solaire par an). Ce fort taux de formation observé chez J0313-1806 est typique de ce qu'on voit dans les quasars du même type à la même époque : la galaxie est en pleine croissance, en même temps que son trou noir supermassif. Mais le rayonnement du quasar peut à terme avoir un effet de suppression en éjectant l'hydrogène moléculaire qui forme les étoiles, lorsqu'il ne s'agit pas de phénomène de collisions galactique comme on l'a vu encore récemment.
Wang et ses collaborateurs attendent maintenant avec beaucoup d'impatience le lancement du télescope spatial Webb à la fin de l'année qui devrait leur permettre non seulement de trouver encore plus de quasars toujours plus lointains dans l'espace-temps, mais aussi pour observer des détails sur J0313-1806 invisibles avec les télescopes terrestres, comme la structure et l'extension du vent de particules associé au disque du trou noir.
Source
A Luminous Quasar at Redshift 7.642
Feige Wang et al.
accepté pour publication dans The Astrophysical Journal Letters
Illustrations
1) Vue d'artiste schématique du quasar J0313-1806( NOIRLab/NSF/AURA/J. da Silva)
2) Chemin de grossissement estimé des 7 trous noirs supermassifs situés à un redshift supérieur à 7, et limites en masse des graines dans les trois scénarios. J0313-1806 est le plus contraignant de tous (Feige Wang et al.)
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