Des astronomes français et italien viennent d'expliquer pourquoi Saturne se trouve autant inclinée par rapport à son plan orbital (~27°), ce qui nous permet d'admirer ces anneaux sous toutes les coutures... Titan serait en cause... Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.
Des récentes observations publiées en juin dernier déjà dans Nature Astronomy, avaient démontré que Titan, le plus gros satellite de Saturne (5150 km de diamètre, soit 1,5 fois plus gros que la Lune, et plus gros que Mercure), était en train de s'éloigner rapidement de Saturne. Lainey et ses collaborateurs trouvaient une vitesse d'éloignement du gros satellite de l'ordre de 11 cm par an ! Cette valeur élevée de vitesse de migration est cohérente avec une théorie qui avait été proposée en 2016 par Fuller et al. Ces chercheurs trouvaient que Titan devait faire osciller Saturne avec une fréquence particulière induisant un phénomène de résonance.
Melaine Saillenfest (Observatoire de Paris, Sorbonne Université) et ses collaborateurs sont repartis de ces données de migration de Titan et d'autres satellites saturniens pour étudier l'impact que celles-ci devaient avoir sur l'obliquité de Saturne. Ce qu'on appelle l'obliquité d'une planète, c'est son inclinaison, la différence angulaire entre son plan équatorial et son plan orbital. Ou si on préfère entre son axe de rotation et l'orthogonale du plan orbital. Pour Saturne, cet angle vaut 26,7°. Sur Terre, il vaut 23,4° et nous offre de connaître des saisons. Sur Saturne, l'obliquité nous permet surtout d'admirer ses anneaux qu'on ne distinguerait que très difficilement si elle n'était pas inclinée.
En théorie, des planètes géantes comme Jupiter et Saturne se forment avec une inclinaison nulle. Un mécanisme dynamique a donc dû agir sur Saturne pour l'incliner à un tel point, et les astronomes estimaient (jusqu'à aujourd'hui) que cet événement avait dû avoir lieu dans l'enfance du système solaire, il y a plus de 4 milliards d'années, lors d'une interaction gravitationnelle entre Saturne et Neptune (à l'occasion d'un changement orbital de Neptune).
En reprenant les données de la migration rapide de Titan qui a été caractérisée l'année dernière, Saillenfest et ses collègues montrent qu'une telle migration de Titan est incompatible avec un basculement de Saturne il y a si longtemps. Et au contraire, cette migration offre une autre explication. Les astronomes montrent qu'un phénomène de résonance gravitationnelle a dû avoir lieu mais bien plus tard, à partir d'il y a seulement 1 milliard d'années. En s'éloignant de Saturne, Titan induit en effet selon les chercheurs des oscillations de l'axe de rotation de Saturne, qui va finalement se retrouver en résonance avec la trajectoire de Neptune, ce qui a pour effet de faire basculer l'axe de rotation de la géante aux anneaux de plus en plus vite. En partant d'une obliquité quasi nulle il y a seulement 1 milliard d'années, les calculs montrent que l'effet de l'éloignement de Titan peut produire l'obliquité actuelle de 26,7°. Et Melaine Saillenfest et ses collaborateurs montrent que cette bascule n'est pas finie ! Saturne devrait continuer à s'incliner encore dans les milliards d'années qui viennent (mais bon, les anneaux n'existeront sans doute déjà plus...). Saturne pourrait ainsi s'incliner jusqu'à 45°.
Il est intéressant de noter que Saturne ne serait pas la seule géante du système solaire à être affectée de la sorte. La même équipe avait montré un effet semblable sur Jupiter, qui elle serait en résonance gravitationnelle avec Uranus, une résonance exacerbée par la migration de ces quatre plus gros satellites, et qui pourrait faire passer son obliquité de 3° aujourd'hui à 30° dans quelques milliards d'années.
Cependant, même si ils estiment très improbable que la migration rapide de Titan soit due à un autre mécanisme que celui du verrouillage résonnant envisagé ici, Saillenfest et ses collaborateurs rappellent qu'on ne peut pas exclure complètement la possibilité que Saturne se soit retrouvée inclinée de presque 27° à cause d'un impact très ancien. Pour éliminer définitivement cette hypothèse, une meilleure connaissance du moment d'inertie polaire de Saturne devra être recherchée, et si possible de manière indépendante de tout modèle théorique.
Pour finir, les astronomes se projettent en dehors du système solaire. Ils mentionnent le fait que les exoplanètes de type géantes gazeuses doivent elles aussi posséder des satellites massifs et devraient donc subir elles aussi des effets de basculement de leur axe de rotation par les mêmes mécanismes. L'existence de résonances séculaires entre axe de rotation et orbite ne requiert qu'une autre planète compagne. Et comme les possibilités de résonances sont démultipliées dans les systèmes planétaires qui arborent des inclinaisons orbitales et des excentricités importantes, ce qui semble être le lot commun de nombreux exosystèmes observés (a contrario de notre système qui paraît bien sage), Melaine Saillenfest et son équipe en concluent que de nombreuses exoplanètes devraient être affectées par une forte obliquité, pour ne pas dire qu'elles devraient être orientées n'importe comment ...
Source
The large obliquity of Saturn explained by the fast migration of Titan.
Melaine Saillenfest, Giacomo Lari et Gwenaël Boué.
Nature Astronomy, le 18 janvier 2021
Illustrations
1) Saturne et Titan, imagés le 6 mai 2012 par la sonde Cassini (NASA/JPL Caltech/SSI)
2) Animation schématique montrant la migration de Titan et l’entrée de Saturne en résonance. Le repère est tournant, de sorte que l’axe s’immobilise lors de l’entrée en résonance. (Melaine SAILLENFEST / IMCCE)
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