samedi 23 septembre 2023

Climat changeant sur Saturne à l'approche de l'automne


Une équipe de planétologues a découvert grâce au télescope Webb que la fin de l'été boréal de Saturne subit un refroidissement important. D'énormes flux de gaz à l'échelle planétaire ont visiblement inversé leur direction à l'approche de l'automne saturnien. Ce sont aussi les dernières images du pôle Nord de Saturne avant plusieurs années... L'étude est parue dans Journal of Geophysical Research.

Leigh Fletcher (Université de Leicester) et ses collaborateurs ont observé Saturne comme personne ne l'avait fait avant eux : à l'aide du télescope James Webb. Ils ont ainsi pu fournir de nouvelles informations sur les changements de saisons de la belle aux anneaux. Comme la Terre, Saturne a une inclinaison axiale (27°, contre 23° pour la Terre) et connaît les saisons de la même manière. Mais Saturne met 30 ans pour orbiter autour du soleil, donc une saison dure 7,5 années terrestres. Saturne se dirige vers l'équinoxe d'automne de son hémisphère nord qui aura lieu en juin 2025, ce qui signifie que le pôle nord saturnien se dirige vers une longue période d'hiver polaire.

L'enregistrement par la sonde Cassini de l'évolution saisonnière de Saturne a pris fin en 2017, peu de temps après que Saturne ait passé le solstice d'été nord en mai 2017. Cinq ans plus tard, le pôle nord s'éloigne de notre vue au milieu de l'été de Saturne alors que la planète approche de son équinoxe nord d'automne. Cassini-Huygens n'a pas eu l'occasion d'observer cette saison particulière de l'été septentrional sur Saturne, bien qu'elle ait été capturée une année saturnienne plus tôt par des observations d'imagerie au sol et des observations de Hubble au début des années 1990. Les observations en IR moyen avaient révélé à l'époque le refroidissement du vortex stratosphérique polaire nord (NPSV) saisonnier , une région de températures troposphériques et stratosphériques élevées vers le pôle (environ 75°N) pendant l'été. Les observations de 1993 à 1995 ont également capturé l'oscillation stratosphérique équatoriale de Saturne pendant sa phase équatoriale froide, qui devrait être reproduite dans les observations JWST/MIRI exactement un an saturnien plus tard, si l'oscillation était semestrielle (soit une période de 15 ans).

L'équipe de Fletcher a donc utilisé le spectromètre MIRI sur JWST pour étudier l'atmosphère de Saturne en infrarouge à cette époque particulière de l'orbite de Saturne, ce qui leur permet de mesurer les températures, les abondances gazeuses et les nuages ​​depuis les sommets des nuages ​​jusqu'aux régions élevées de l'atmosphère. Les observations avec MIRI ont été prises en novembre 2022 sous forme de trois tuiles, allant de l'équateur au pôle nord , puis aux anneaux pour une tuile finale. Saturne est trop grosse pour le champ de MIRI, il faut composer...

Le cyclone polaire nord, large de 1 500 km et qui avait été observé pour la première fois par la mission Cassini, est visible distinctement au pôle nord car plus chaud. Celui-ci est entouré d'une région plus large de gaz chauds qu'on appelle le vortex stratosphérique polaire nord. 

MIRI/MRS révèle des anomalies de température chaude et froide à l'équateur qui sont cohérentes avec la propagation vers le bas du modèle oscillatoire sur une décade de pression au cours des 5 années écoulées depuis les observations de Cassini en 2017. Une anomalie équatoriale chaude centrée autour d'une altitude correspondant à une pression 0,7 mbar serait notamment responsable de la brillante bande d'émission équatoriale observée liée au CH4 et C2H2, mais celle-ci est opposée à la bande sombre qui a été observée depuis le sol une année saturnienne plus tôt, ce qui soulève des doutes sur le caractère semestriel (15 années) de l'oscillation équatoriale, d'après les chercheurs.

Concernant le vortex stratosphérique saisonnier qui s'est développé vers 78°N de latitude au printemps nord, il est resté présent en 2022, avec des températures plus chaudes que celles mesurées en 2017, se rapprochant désormais des mêmes températures que celles observées dans le vortex similaire du pôle sud pendant été austral (2004-2005). Les modèles radiatifs, combinés à des observations sur Terre, suggèrent que la visibilité du NPSV chaud diminuera considérablement au cours des 1 à 2 prochaines années avant l'équinoxe d'automne saturnien. Et Fletcher et ses collaborateurs n'ont détecté aucune trace des sommets de l'hexagone du pôle nord de Saturne avec MIRI, ce qui signifie que nous devrons attendre les années 2040 pour les prochaines vues infrarouges de l'hexagone... Cependant, le gros cyclone brillant du pôle était toujours visible, intégré au NPSV. Le NPSV apparaît d'ailleurs enrichi en plusieurs espèces d'hydrocarbures stratosphériques (éthane, acétylène, éthylène, benzène, diacétylène). 

Les résultats du spectromètre MIRI ont également révélé que cette circulation stratosphérique s'est désormais inversée et que des températures stratosphériques fraîches et de faibles abondances d'hydrocarbures sont observées dans le nord entre 10° N et 40 ° N de latitude, suggérant une remontée de gaz pauvre en hydrocarbures dans le nord. l'été, qui s'écoulera ensuite vers le sud. En modélisant les spectres infrarouge moyen, Fletcher et ses collaborateurs ont remarqué que les distributions des températures et des gaz stratosphériques à ce stade particulier du cycle saisonnier de Saturne étaient différentes de celles qui avaient été observées par la mission Cassini au cours de l'hiver et du printemps saturniens. Saturne a un modèle de circulation stratosphérique à grande échelle. En hiver, elle arbore des températures plus chaudes et un excès d'hydrocarbures, comme l'éthane et l'acétylène, dans les latitudes moyennes nord, ce qui signifie que l'air riche en hydrocarbures coule depuis le pôle. Les spécialistes pensaient à l'inverse que le gaz s’élevait depuis les latitudes moyennes du sud (en été), traversait l’équateur puis descendait dans les latitudes moyennes du nord (en hiver).

Les chercheurs montrent en outre que les hydrocarbures à durée de vie courte, tels que l'acétylène , le diacétylène, le méthylacétylène, l'éthylène et le méthyle, ont tendance à suivre l'insolation moyenne annuelle, tandis que les espèces à vie plus longue (éthane, propane et benzène) semblent être davantage influencés par une circulation stratosphérique à long terme redistribuant les gaz vers des latitudes plus élevées.

Les observations de Webb et son instrument MIRI fournissent un ensemble de données exceptionnellement riche qui a révélé l'évolution de l'atmosphère de Saturne au cours des 5 années écoulées depuis la fin de la mission Cassini. Fletcher et ses collaborateurs espèrent bien suivre avec le télescope Webb l'évolution de l'atmosphère de Saturne au moins jusqu'au prochain solstice d'été austral (avril 2032), et pourquoi pas sur une année saturnienne complète, une génération de planétologues...

 

Source

Saturn's Atmosphere in Northern Summer Revealed by JWST/MIRI

Leigh Fletcher et al.

Journal of Geophysical Research (12 September 2023)

https://doi.org/10.1029/2023JE007924

Illustrations

1.Saturne imagée par je télescope Webb en juillet 2023 (NASA/ESA/CSA)

2. Zones de Saturne observées avec MIRI (Fletcher et al.)

3. Leigh Fletcher

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