mercredi 6 septembre 2023

L'énigme de l'oxygène de Callisto


L'oxygène moléculaire (O2) a été détecté dans l'atmosphère de Callisto, satellite de Jupiter, à partir d'observations réalisées sur plus de deux décennies par trois instruments distincts utilisant chacun des techniques de mesure différentes. C’est l'exposition de la surface glacée de Callisto aux ions et aux électrons piégés dans le champ magnétique de Jupiter qui serait à l’origine de ce dioxygène. Mais une équipe de chercheurs américains vient pour la première fois de quantifier ce processus, et il apparaît très insuffisant pour expliquer l’oxygène de Callisto. L’oxygène de Callisto reste donc énigmatique, comme le dit le titre de cette étude parue dans Journal of Geophysical Research : Planets.

Suite à la découverte par la sonde Pioneer en 1974 de la présence d'un plasma intense piégé dans la magnétosphère jovienne, une série d'expériences a été menée pour déterminer l'influence que ce plasma pourrait avoir sur les surfaces des satellites glacés galiléens : Europe, Ganymède et Callisto. Ces expériences ont mesuré l'éjection de molécules d'eau des glaces à basse température par des particules chargées incidentes, un processus appelé le sputtering (pulvérisation). Les résultats ont montré que le sputtering de la glace de H2O est dominé par des excitations électroniques et des ionisations dans la glace (sputtering électronique), plutôt que par les collisions des ions avec les molécules d'eau (sputtering nucléaire).

Des expériences ultérieures au début des années 1980 ont ensuite permis de découvrir que les liaisons dans les molécules de glace H2O peuvent être dissociées par l'énergie électronique déposée par les particules chargées, et que les molécules fragmentées peuvent se recombiner pour former de nouvelles espèces, telles que H2 et O2, par un phénomène appelé radiolyse. En outre, le nombre de produits radiolytiques libérés de la surface glacée par chaque particule chargée incidente est fortement dépendant de la température.

Rappelons que Callisto est le satellite galiléen le plus externe, en orbite autour de Jupiter à une distance de 26,3 rayons de Jupiter, rJ = 71 492 km). Le plasma magnétosphérique jovien auquel Callisto est exposé au cours de son orbite  peut être divisé en deux populations principales : des particules de faible énergie (E < 1 keV) et les particules énergétiques de haute énergie (E > 1 keV) qui sont composées d'électrons, de protons et d'ions oxygène et soufre.

Le plasma thermique autour de Jupiter est presque en corotation avec le champ magnétique jovien au niveau de la position orbitale de Callisto, et il frappe l'hémisphère arrière orbital de la lune à une vitesse relative moyenne de ∼190 km/s. Lorsque le plasma thermique dépasse Callisto, le champ magnétosphérique gelé s'accumule et s'enroule autour de l'ionosphère et du champ magnétique induit de la lune. Cette interaction génère des perturbations dans le champ magnétique et le flux de plasma, qui est défléchi autour de la lune.

En s'approchant de Callisto, les particules énergétiques subissent les perturbations du champ électromagnétique générées par cette interaction avec le plasma et les précipitations qui en résultent sur la lune sont très peu uniformes. Selon les planétologues, de telles dynamiques interdépendantes entre la surface et l'atmosphère de Callisto et la magnétosphère jovienne sont probablement la source principale de l'atmosphère d'O2 de Callisto. C'est-à-dire que l'O2 serait principalement produit par radiolyse et ensuite libéré de la surface, puis, une fois libéré de la surface, l'O2 étant trop lourd et trop lent pour s'échapper de l'atmosphère et que les réactions y sont peu fréquentes, il finira par retourner à la surface. Mais, l'O2 étant trop volatil pour geler aux températures de surface de Callisto, il devrait pénétrer dans le régolithe poreux. Enfin l'O2 étant une molécule relativement inerte, les réactions dans le régolithe sont peu fréquentes et il devrait finir finira par se désorber thermiquement pour retourner dans l'atmosphère.


Ce processus d'enrichissement est donc principalement limité par les processus ionisants et dissociatifs de la phase gazeuse, ce qui implique que même un taux de production relativement faible peut donner lieu à une atmosphère relativement épaisse.

Evaluer la production radiolytique d'O2 sur Callisto est extrêmement difficile à la fois en raison des incertitudes concernant l'environnement du plasma local, et aussi en raison de l'incertitude quant à la composition de sa surface, en particulier de l'abondance et de la distribution spatiale de la glace d’eau.

Shane Carberry Mogan (université de Berkeley) et ses collaborateurs ont donc cherché à mieux comprendre l'évolution de l’oxygène moléculaire sur Callisto depuis sa source initiale estimée par radiolyse jusqu'à son abondance à l'état stable qui est observée. Les planétologues ont évalué précisément la production d'O2 par radiolyse à l'intérieur de plaques de glace exposées de Callisto et ont déterminé la densité de colonne d'O2 correspondante. Pour cela, ils ont procédé par étapes. Tout d’abord, ils ont commencé par simuler (pour la première fois) les composantes thermiques et énergétiques du plasma magnétosphérique jovien irradiant l'atmosphère de Callisto (l'environnement électromagnétique de Callisto). A partir de là, ils ont déduit une distribution de température pour les plaques de glace de Callisto. Cette distribution est ensuite utilisée pour calculer analytiquement les épaisseurs d’atmosphère, qui sont utilisées pour estimer l'énergie qui y est déposée par les particules du plasma magnétosphérique le long de leur trajectoire vers la surface. L’étape suivante est le calcul les rendements de production radiolytique d'O2 qui sont utilisés pour déterminer les flux de source d'O2 correspondant à l'énergie des composantes du plasma incidentes impactant la surface glacée de Callisto.

Ces étapes de modélisations permettent ainsi à Carberry Mogan et ses collaborateurs de déterminer l'abondance de l'O2 à l'état stable dans l’atmosphère de Callisto à partir de son environnement électromagnétique. Et les résultats des chercheurs suggèrent que la production d'O2 par radiolyse à l'intérieur de la glace exposée à la surface de Callisto ne produit pas du tout une atmosphère suffisamment dense par rapport aux densités de colonne déduites des observations antérieures. Ils trouvent une densité de colonne d’environ 3 1013 cm-2 alors que les observations mènent à des valeurs comprises entre de 4 1015 cm-2 (Cunningham et al., 2015, de Kleer et al., 2023) et 4 1016 cm−2 (Kliore et al., 2002). L’écart est d'environ de 2 à 3 ordres de grandeur (entre un facteur 100 et 1000 !).

Pour tenter de résoudre cette forte divergence entre les abondances calculées et observées, les chercheurs fournissent les premières estimations pour d'autres sources potentielles d'O2 atmosphérique sur Callisto, par exemple via une plus grande quantité de glace présente sur la surface de Callisto (100% au lieu des 10% pris en compte initialement), des réactions chimiques additionnelles dans la phase gazeuse de l’eau, une implantation ionique directe par les ions oxygène du plasma ou encore un piégeage d’oxygène dans le régolithe poreux. Ils font également des estimations similaires pour la production de H2 dans l'atmosphère de Callisto par rapport aux contraintes fournies dans la littérature, et leur conclusion est la même : ils n’arrivent pas à reproduire l’atmosphère relativement dense de Callisto.

Selon eux, une meilleure compréhension de la production et du devenir des produits radiolytiques dans l'atmosphère de Callisto est vraiment nécessaire car l’énigme reste aujourd’hui entière. La piste du régolithe poreux paraît la plus intéressante à creuser pour tenter de combler les différences observées, selon Carberry Mogan et ses collaborateurs. Ils rappellent que Johnson et Jesser avaient décrit en 1997 comment l'O2 pouvait se former et se retrouver piégé dans le régolithe poreux (ou la glace endommagée par les radiations) sur Ganymède. Et la formation et le piégeage de l'O2 ont aussi été récemment étudiés sur Europe (par Johnson et al., 2019). On peut donc s'attendre à ce que le phénomène puisse également se produire sur Callisto. En effet, l'analyse de la surface de Callisto suggère que le matériau qui est non glacé ou pauvre en glace, ressemble à des chondrites carbonées. Et le piégeage de l'O2 produit par radiolyse dans du matériau carboné a été largement étudié dans les comètes, notamment pour expliquer l'abondance étonnamment élevée d'O2 détecté dans la coma de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko. Étant donné que des espèces carbonées similaires (comme le CO2) ont été détectées à la surface de Callisto et dans son atmosphère, les chercheurs pensent qu’il est possible que sur Callisto, l'O2 soit produit et piégé par des voies similaires à celles des comètes.

Dans des modèles récents de l'atmosphère de Callisto (2020, 2021, 2022), Carberry Mogan et al.  avaient supposé que la régénération de l'atmosphère de Callisto s'effectuait par l'intermédiaire d'un système d'échange de chaleur. Le régolithe pourrait être imprégné d'O2 qui, par la suite, serait libéré dans la phase gazeuse et pourrait y retourner ensuite. Il est en tous cas certain au vu de ces nouveaux résultats que la source de l’O2 sur Callisto est plus complexe qu’une « simple » radiolyse de l’eau par l’effet du plasma jovien.

L’effet d’un régolithe poreux carboné permettra-t-il de résoudre l’énigme de l’oxygène de Callisto ? Malheureusement, les données requises pour ces investigations approfondies, telles que la connaissance détaillée de la composition latérale et verticale de la surface de Callisto, sont aujourd’hui manquantes. Il faudra attendre les observations rapprochées de la sonde européenne Juice pour en savoir un peu plus… Arrivée prévue dans 8 ans autour de Jupiter.

 

Source

Atmosphère de Callisto : l’énigme de l’oxygène

Shane Carberry Mogan et al.

Journal of Geophysical Research: Planets (28 August 2023)

https://doi.org/10.1029/2023JE007894

 


Illustrations

1.Callisto imagé par Voyager 1 en 1979 (NASA)

2. Surface de Callisto imagée par la sonde Galileo en 1997 (NASA)

2.Shane Carberry Mogan

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