jeudi 14 septembre 2023

La croissance ralentie des grandes structures de l'Univers résout 2 tensions du modèle ΛCDM (mais en ajoute une nouvelle)



À mesure que l'univers évolue, la relativité générale et le modèle cosmologique standard qui en dérive prédisent que les grandes structures cosmiques doivent croître à un certain rythme : les régions denses comme les amas de galaxies, deviennent plus denses, tandis que les vides deviennent plus vide, à un certain rythme. Mais des chercheurs viennent de trouver que ce rythme de croissance est plus lent que ne le prévoit la théorie. Cela permet de résoudre des tensions existantes sur des paramètres du modèle standard, mais ça en crée une nouvelle et met le modèle standard à nouveau en difficulté. L’étude est publiée dans
 Physical Review Letters.

Les galaxies sont réparties dans l’univers comme une gigantesque toile cosmique. Leur répartition n'est pas aléatoire mais au contraire, elles ont tendance à se regrouper. Toute la toile cosmique a commencé par de minuscules amas de matière dans l'univers primitif, qui se sont progressivement transformés en galaxies individuelles, puis en amas et filaments de galaxies grâce à l'interaction gravitationnelle. Ce que astrophysiciens et cosmologistes appellent « croissance des structures à grande échelle », c’est cette évolution des amas de galaxies à se concentrer dans des groupes de plus en plus denses. L'énergie noire accélère l'expansion de l'univers, elle a donc un effet inverse sur les grandes structures. Elle agit comme un atténuateur qui ralentit cette croissance.

Minh Nguyen (l'université du Michigan) et ses collaborateurs, ont examiné la croissance temporelle des structures à grande échelle à travers le temps cosmique en utilisant plusieurs sondes cosmologiques. Ils ont tout d'abord utilisé le fond diffus cosmologique (ou CMB) et plus précisément les effets de lentille gravitationnelles que subit la lumière du CMB durant son long trajet de 13,7 milliards d’années, qui sont produits par toutes les structures à grande échelle. En examinant ces effets de distorsion, les chercheurs peuvent déduire la répartition de la matière qui se trouve entre nous et le fond diffus cosmologique.

Nguyen et ses collègues ont ensuite exploité le phénomène similaire de lentille gravitationnelle faible mais cette fois sur des galaxies individuelles. La lumière des galaxies d'arrière-plan est ici déformée par les interactions gravitationnelles avec la matière et les galaxies d'avant-plan. Les cosmologistes décodent ces distorsions pour déterminer la répartition de la matière intermédiaire.

Et pour suivre la croissance des structures à une époque encore plus tardive, les chercheurs ont utilisé les mouvements des galaxies dans l'univers local. Comme les galaxies tombent dans les puits de potentiel des structures cosmiques sous-jacentes, leurs mouvements suivent directement la croissance des structures.

Ce que les chercheurs ont découvert, c’est un ralentissement important de la croissance des grandes structures en fonction du temps cosmique. En tous cas, un ralentissement plus important que ce que prédit le modèle standard ΛCDM. Pour quantifier cette croissance, les cosmologistes utilisent un paramètre nommé γ. Dans le modèle standard et un univers plat (sans courbure), on doit avoir γ= 0,55. Mais Nguyen et ses collaborateurs trouvent γ= 0,633 (+0,025/-0,024)

Chose très intéressante : cette nouvelle valeur du taux de croissance des grandes structures cosmiques a un effet direct sur le paramètre du modèle cosmologique qu’on appelle S8, le paramètre de clustering (correspondant à l’amplitude de fluctuation de la matière).


On a S= σ8√(Ωm/0.3) (où σ8 est l’amplitude des fluctuations de masse dans des sphères de  8  h−1 Mpc, avec h=H0/100  km.s−1 Mpc−1, donc des sphères de 11,4 Mpc environ, et Ωm est la densité de matière relative à la densité critique produisant un univers de courbure nulle.

Or, il se trouve que, de même que dans le cas du paramètre de Hubble-Lemaitre H0, il existe une tension sur le paramètre S8 entre les valeurs qui sont mesurées au niveau des galaxies et la valeur qui est déduite des fluctuations du CMB par la collaboration Planck.

La méthode qui utilise le fond diffus cosmologique indique une valeur de S8 plus élevée (S8=0.83) que la valeur déduite des mesures de l'effet de lentille gravitationnelle faible des galaxies et de l'agrégation des galaxies (S8=0.77). Mais la nouvelle valeur du paramètre de croissance des structures γ que trouvent Nguyen et ses collaborateurs a pour effet de réconcilier les deux valeurs de S8. Un taux de croissance γ plus élevé conduit à une amplitude de fluctuation de la matière S8 plus élevée lorsqu’elle est déduite des mesures d'amas de galaxies et de faible effet de lentille, mais une valeur plus faible de l’amplitude de fluctuation de la matière lorsqu’elle est calculée à partir des données de Planck du CMB. Les deux valeurs de S8 deviennent même parfaitement concordantes avec une valeur S8=0.80 pour γ= 0,633. La tension sur S8 disparaît !

Et il y a un second impact très important de cette valeur plus élevée de γ. Elle concerne la courbure de l’univers. En 2018, la collaboration Planck avait montré que leurs données du CMB indiquaient étrangement une courbure non-nulle, ils trouvaient ΩK=−0.044, alors que d’après le modèle standard on s’attendait à trouver une valeur strictement nulle ΩK=0 . Mais cette analyse était faite en considérant un paramètre de croissance γ= 0,55. Mais, la prise en compte d'une croissance plus faible (γ= 0,633) supprime la nécessité d'une courbure négative ! Nguyen et al. montrent que le modèle plat (ΩK=0) avec un γ laissé libre s'ajuste aussi bien aux données de Planck que le modèle le mieux ajusté mais avec une croissance standard γ= 0,55 et une courbure négative ΩK=−0.044. Ils produisent des caractéristiques très similaires dans le spectre de puissance du fond diffus cosmologique. Avec γ= 0,633, on peut donc avoir ΩK=0. La tension sur la courbure disparaît !

Les résultats de Nguyen et al. impressionnent car ils résolvent deux tensions d’un coup. C’est beau, mais maintenant, nous avons une autre tension, une tension sur le paramètre de croissance γ.  En d’autres termes, on peut considérer que les tensions sur Set ΩK cachaient en fait une seule et unique tension qui est celle sur la croissance des grandes structures. Il faut noter le point important ici que la nouvelle valeur de γ n'a quasi aucun impact sur la valeur du paramètre de Hubble-Lemaître H0. Cette tension là n’est pas touchée puisque la valeur de H0 reste proche de 68 km.s-1.Mpc-1 avec γ= 0,633... 

Pourquoi les structures croissent plus lentement que ce qui est prévu par le modèle standard ΛCDM ? La cause de cet effet pourrait être due à de nouvelles propriétés de l'énergie noire ou de la matière noire, selon Nguyen et ses collaborateurs. Ou bien cela pourrait mener sur la piste d’une extension de la relativité générale et du modèle standard, à laquelle nous n'avons pas encore pensé… Une suppression de la croissance des structures tardive n'est pas simple à obtenir dans les théories de gravitation modifiée, en particulier si l'histoire de l'expansion est similaire à celle du modèle de concordance. Mais, il y a a priori suffisamment de liberté dans l'esprit des théoriciens qui s’intéressent à ces théories pour qu'ils nous proposent des choses intéressantes sous peu.

Et puis les prochaines données sur les structures à grande échelle permettront d'améliorer les résultats de l'étude des paramètres cosmologiques, à la fois en termes de précision des mesures et de couverture des décalages vers le rouge. Parallèlement, les prochaines mesures du CMB avec une résolution et une sensibilité plus élevées, joueront un rôle important dans la détermination de l'histoire de l'expansion et du taux de croissance. Les analyses conjointes de ces ensembles de données seront la clé pour confirmer toute preuve d'une physique au-delà du modèle standard.

 

Source

Evidence for Suppression of Structure Growth in the Concordance Cosmological Model

Nhat-Minh Nguyen, Dragan Huterer, and Yuewei Wen

Phys. Rev. Lett. 131, (11 September 2023)

https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.131.111001


Illustrations 

1. Vue artistique de la formation des grandes structures dans l'histoire de l'univers (Minh Nguyen and Thanh Nguyen)

2. Quelques paramètres du modèle cosmologique en fonction du paramètre gamma (Nguyen et al.)

3. Minh Nguyen

1 commentaire :

Fred a dit…

Les études qui seront menées avec les données à venir d'Euclid devraient raffiner ces conclusions et peut être (certainement) apporter des éléments de réponse.