Une équipe de chercheurs vient de découvrir une source périodique de rayons X autour d’un trou noir supermassif. Elle ressemble fortement à une destruction d’étoile partielle qui aurait lieu à chaque passage à proximité du trou noir, toutes les quelques semaines. L’étude est publiée dans Nature Astronomy.
Ces dernières années, des recherches dans les archives de données de rayons X ont révélé des galaxies présentant des éruptions quasi-périodiques avec des périodes de plusieurs heures. Ces éruptions font fortement penser à la destruction d'une étoile par un trou noir supermassif. Selon les spécialistes, le dépouillement partiel et répété d'une naine blanche en orbite excentrique autour d'un trou noir de 105 M⊙ constitue un modèle attrayant. Et puis, dans le domaine visible, une autre classe de transitoires périodiques a été découverte, avec des échelles de temps beaucoup plus longues, et pourrait provenir cette fois du dépouillement partiel d'une étoile de la séquence principale par un trou noir de 107 M⊙. Mais aucun lien clair n'a pu être établi entre ces deux classes d’événements.
Ce que Phil Evans (University of Leicester) et ses collaborateurs ont découvert un peu par hasard pourrait bien faire le lien entre ces deux classes d’événements transitoires périodiques ou quasi-périodiques. Il s’agit ici d'un événement transitoire en rayons X qui montre des éruptions quasi-périodiques avec une période de 25 jours, coïncidant avec la position du centre de la galaxie 2MASX J02301+2836. Swift J0230+2836 a été détecté par le télescope spatial Swift-XRT le 22 juin 2022. La source était présente de manière fortuite dans une observation d'une supernova nommée SN 2021afk (située à 4,3′ de distance). Mais la source de rayons X pourrait aussi correspondre à un autre résidu de supernova : SN 2020rht (situé à 3,1″ de distance), qui avait été découverte 2 ans plus tôt, le 12 août 2020.
Cette galaxie se trouve à un redshift z = 0,0365 (500 millions d'années-lumière). Bien que l'absence de détection en X par Chandra ne permette pas d'exclure une association avec SN 2020rht, Evans et ses collaborateurs estiment qu’il est difficile de voir comment une supernova aurait pu évoluer vers l'objet détecté. Le spectre, la luminosité et l'échelle de temps de la variabilité ne correspondent pas aux propriétés des sources ultra-lumineuses de rayons X qui sont parfois associées à des résidus de supernova.
Selon Evans et son équipe, l’explication la plus probable est l'apport périodique de masse dans un flux d'accrétion sur le trou noir supermassif central de 2MASX J0230+2836. D'après des données énergétiques simples, les astrophysiciens peuvent déduire que la masse totale accrétée au cours d'une éruption typique est d'environ 10-5 M⊙. Dans un noyau actif de galaxie (AGN), les éruptions et les sursauts sont fréquents et proviennent du trou noir supermassif qui accrète à partir du disque de gaz qui l'entoure. Mais ici, l'échelle de temps et le spectre de Swift J0230+2836 ne sont pas cohérents avec le comportement typique d'un AGN, et d’ailleurs, la galaxie hôte ne semble pas être un AGN. Les chercheurs envisagent donc la possibilité qu'une (ou plusieurs) étoile(s) interagisse(nt) avec le trou noir supermassif central et l'alimente(nt) en gaz.
Un mécanisme possible pour produire le flux de masse est l'interaction de deux étoiles en orbite autour du trou noir. Si elles passent suffisamment près l'une de l'autre, de la matière peut être libérée de l'une ou des deux étoiles et alimenter le trou noir central. Pour générer les échelles de temps nécessaires à partir de ce modèle, il faut une paire d'étoiles en orbite dans la même direction et dans le même plan. Cela pourrait se produire pour des orbites stellaires initialement orientées de manière aléatoire, si elles peuvent ensuite être ramenées dans le même plan par l'interaction avec un disque d’AGN. Dans le cas de Swift J0230, qui ne présente aucune signature claire d'un disque d’AGN standard, il est ainsi peu probable que les étoiles en orbite autour du trou noir aient les orbites nécessaires pour atteindre les échelles de temps observées.
Une autre possibilité serait une destruction partielle et répétée due aux effets de marées (un événement de type rpTDE : repeated partial tidal disruption event), un processus dans lequel une étoile sur une orbite très excentrique perd une partie de son enveloppe à chaque passage au péricentre, en raison des effets du champ gravitationnel du trou noir. Dans un TDE "normal", l'étoile s'approche du trou noir sur une orbite parabolique et elle est détruite dès la première rencontre...
Le modèle de rpTDE avait été étudié avant la découverte de sources correspondantes et il a été suggéré pour expliquer les éruptions de rayons X dans la galaxie active IC 3599. Et plus récemment, ce processus a été proposé comme explication possible des éruptions quasi-périodiques (des QPE) avec une période de quelques heures qui ont été découvertes dans des noyaux galactiques. Ces travaux se sont concentrés sur la possibilité d'une interaction entre une naine blanche et un trou noir de masse relativement faible (de 105 à 106 M⊙).
Un deuxième ensemble de sources présente des éruptions beaucoup plus longues (à la fois en durée et en période de récurrence), elles ont été appelées transitoires nucléaires périodiques (PNT). Il pourrait s'agir du même mécanisme de rpTDE mais impliquant une étoile de la séquence principale, plutôt qu'une étoile compacte et un trou noir plus massif (de 107 à 108 M⊙). Dans ce cas, la période de récurrence des éruptions est de plusieurs centaines de jours. La période de répétition dans Swift J0230, on le rappelle, est d’environ 25 jours, pour une durée d’éruption de 10 à 15 jours.
Dans le modèle rpTDE, l'étoile donneuse est sur une orbite très excentrique autour d'un trou noir. À chaque passage au péricentre, l'étoile doit s'approcher du rayon à partir duquel elle serait complètement détruite (mais sans toutefois l'atteindre). Les couches externes de l'étoile sont alors libérées et une partie de cette matière s'accumule sur le trou noir central pour alimenter l'éruption visible en rayons X ou en visible. Le temps de récurrence des éruptions est lié à la période orbitale de l'étoile.
Les chercheurs peuvent fournir une estimation de la masse du trou noir dans Swift J0230 en comparant la température qui est mesurée à partir du spectre des rayons X (environ 100 eV, soit 106 K), avec la température maximale d'un disque d'accrétion standard. Ils obtiennent une estimation de la masse du trou noir de 2 105 M⊙. C’est donc proche des estimations de masse pour les sources de type QPE impliquant une naine blanche. Les sources QPE et Swift J0230 montrent toutes très peu d'émission dans le visible, alors que les événements de type PNT montrent quant à elles une forte émission dans le visible. Cela peut refléter la différence de masse des trous noirs. En d'autres termes, le spectre de rayons X et l'absence d'émission dans le visible observés pour Swift J0230 semblent cohérents avec cette estimation de la masse du trou noir à partir de la température du disque d’accrétion.
Mais avec une distance au péricentre de quelques rayons de Schwarzschild (qui est nécessaire pour libérer de la matière de la surface d'une naine blanche pour des masses de trous noirs de quelques 105 M⊙), on devrait avoir une durée d'éruption similaire dans différents systèmes, indépendamment de leur période orbitale. En effet, le passage au péricentre d'une orbite fortement elliptique est approximativement celui d'une orbite parabolique et sa durée n'est pas liée à la période orbitale. Il est donc difficile d'expliquer les éruptions de Swift J0230 (qui ont une durée de quelques jours) comme étant identiques aux QPE (qui ont une durée d’éruption de quelques heures) et qui seraient des rpTDE d'une naine blanche autour d'un trou noir de masse modeste.
De l’autre côté, certains PNT comme ASASSN-14ko (période de 114 jours) ou AT2018fyk (période de 600 jours) ont été expliqués par une destruction partielle répétée d'une étoile de la séquence principale autour d'un trou noir de 10 à 100 millions de M⊙. Selon Evans et al., Swift J0230 pourrait donc être lui aussi un rpTDE mais qui se situerait entre les deux classes QPE et PNT. Il impliquerait une étoile de la séquence principale comme dans les PNT, mais autour d’un trou noir de l’ordre de 100 000 M⊙ comme dans les QPE. Swift J0230 ferait en quelque sorte le lien entre ces différents événements en les unifiant dans le même processus de rpTDE. Les différences observées viendraient à la fois de la masse du trou noir et du type d’étoile impliqués.
Une question importante est maintenant de savoir comment l'étoile est arrivée sur une telle orbite autour du trou noir central. La capture par effet de marée, dans laquelle une étoile en orbite perd de l'énergie orbitale en raison des forces de marée et devient liée au trou noir, est généralement incapable de générer les orbites requises. En revanche, Evans et ses collaborateurs rappellent que le mécanisme de Hills a été proposé comme une voie de formation viable dans le cas du PNT ASASSN-14ko. Dans ce mécanisme, un système d'étoiles binaires s'approche du trou noir avec une distance péricentrique suffisamment faible pour que la force de marée du trou noir soit plus forte que la force gravitationnelle qui maintient la binaire ensemble. La binaire est alors brisée, l'une des composantes étant éjectée du système et l'autre se retrouvant sur une orbite liée, mais très excentrique, autour du trou noir.
Les astrophysiciens montrent que si la progénitrice de Swift J0230 était une binaire composée d'une étoile de faible masse de la séquence principale et, par exemple, d'une naine blanche, alors l'étoile de la séquence principale serait capturée dans une orbite autour du trou noir avec la période de 25 jours observée, pour une masse de trou noir de 4 105 M⊙ (les calculs montrent que des masses de trou noir plus élevées sont permises mais sont beaucoup moins susceptibles d'entraîner cette période pour l'étoile restante). Ce scénario semble donc cohérent avec la masse du trou noir qui a été déduite de la température du disque d’accrétion. De plus, les échelles de temps d'accrétion attendues d'un tel système sont également cohérentes avec celles observées dans Swift J0230.
Evans et ses collaborateurs précisent que les interactions entre le flux d'accrétion et l'étoile en orbite sont complexes et nécessitent une analyse numérique complète, ce qui dépasse le cadre de leur article, mais il est clair selon eux que de telles interactions doivent produire une émission variable qui pourrait au moins partiellement effacer la nature exactement périodique de l'orbite stellaire. Il sera particulièrement important de déterminer à l’avenir si l'étoile elle-même peut être suffisamment perturbée lors de chaque passage au péricentre pour modifier la quantité de masse transférée et la structure de chaque éruption.
Evans et son équipe, sur la base de la découverte d’un nouvel événement d’éruption périodique autour d’un trou noir supermassif, proposent donc une explication unique pour les QPEs et les PNTs, à savoir une destruction partielle répétée d'une étoile en orbite excentrique autour d'un trou noir supermassif. Swift J0230 comble le fossé qui existait entre ces deux classes d’événements. Swift J0230 correspond à une étoile de la séquence principale en orbite autour d'un trou noir supermassif de masse relativement modeste. Compte tenu des échelles de temps, des flux faibles et de l'absence d'émission en dehors de la bande des rayons X, les systèmes similaires à Swift J0230 sont difficiles à découvrir. Le fait que cet événement ait été découvert dans les trois mois qui ont suivi la mise en place d’une recherche en temps réel avec Swift-XRT suggère qu'ils sont raisonnablement fréquents, et on peut s’attendre à découvrir d'autres objets de cette classe avec des instruments à rayons X sensibles et à grand champ comme le futur télescope Einstein.
Source
Monthly quasi-periodic eruptions from repeated stellar disruption by a massive black hole
Phil Evans, et al.
Nature Astronomy (7 september 2023)
https://doi.org/10.1038/
Illustrations
1. Vue d'artiste d'une destruction partielle répétée (NASA’s Goddard Space Flight Center/Chris Smith (USRA/GESTAR))
2. La galaxie 2MASX J0230+2836 (Evans et al.)
2. Phil Evans
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