Historiquement, Sgr A* n'est pas le nom du trou noir supermassif de notre galaxie, c'est le nom d'une source radio quasi ponctuelle très variable qui se situe exactement au centre de notre galaxie. Il se trouve qu'elle est induite par la présence de ce fameux trou noir d'un peu plus de 4 millions de masses solaires qui lui a accaparé son nom. Aujourd'hui, une équipe d'astrophysiciens s'est plongée dans des données archivées de la zone de Sgr A*, non pas dans le domaine radio, mais dans le domaine du proche infra-rouge. Ils ont découvert qu'il s'était vraiment passé quelque chose d'atypique en 2019... L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.
Alors qu’il a été démontré que la variabilité de Sgr A* dans le proche infrarouge est constante sur deux décennies, la découverte d'une activité soudaine en mai 2019 par Tuan Do et al. a remis en question les modèles existants au sujet de Sgr A* et son voisinage immédiat.
Trois scénarios avaient été proposés alors par les spécialistes pour expliquer cette brusque activité en infra-rouge :
1. Les modèles statistiques de Sgr A* dans le proche infrarouge doivent être mis à jour pour prendre en compte des événements brillants. La collaboration Gravity avait par exemple montré en 2020 que les événements brillants de 2019 observés par Keck et le VLT sont des événements rares qui peuvent être tirés de la queue de la loi de puissance d'une distribution sous-jacente à deux états qui avait été décrite par Dodds-Eden et al. en 2011.
2. Il aurait pu y avoir une augmentation temporaire de l’accrétion sur Sgr A*. La population d’étoiles S et d’objets G poussiéreux qui entoure le trou noir supermassif pourrait affecter le flux d’accrétion. L'étoile S0-2 a par exemple subi son approche la plus proche en 2018, et son passage pourrait avoir induit une perturbation d'accrétion. Au cours des deux dernières décennies, on a aussi vu les objets G1 et G2 subir leur rapprochement le plus proche (en 2014) et ils ont montré des signes d'interaction de marée avec le trou noir, provoquant de nombreuses spéculations sur la possibilité qu'un excès de matière provenant de ces objets induise une activité accrue de Sgr A*
3. Sgr A* serait entré dans un nouvel état d'accrétion dans lequel les éruptions lumineuses seraient plus fréquentes, ou l'activité de 2019 pourrait être le précurseur d'un événement encore plus important (Do et al. 2019). Les observations d'échos de rayons X provenant de l'émission de raies de fer au centre galactique suggèrent qu'au cours des dernières centaines d'années, Sgr A* a subi de multiples augmentations de luminosité (durant environ 2 à 10 ans) par des facteurs allant jusqu'à 100 000. Si Sgr A* subit un tel changement d’état ou entre dans un épisode extrême, nous devrions voir l’activité de Sgr A* se poursuivre ou évoluer au-delà de 2019.
C'est pour trancher parmi ces trois solutions possibles que Grant Weldon (UCLA) et l'équipe de Andrea Ghez (Nobel 2020) (qui a l'humilité de ne pas se propulser en premier ou en dernier auteur de l'article) ont étudié l'activité passé de Sgr A* en infrarouge en recalibrant et en réanalysant toutes leurs observations d’imagerie de Sgr A* effectuées à l’Observatoire Keck entre 2005 et 2022. Ils produisent ainsi les courbes de lumière de 69 époques d'observation différentes en utilisant l'imageur NIRC2 à 2,12 μm avec optique adaptative.
Ces observations révèlent que la luminosité moyenne de Sgr A* a augmenté d'un facteur d'environ 3 en 2019 et que les courbes de lumière de 2019 présentaient une variance plus élevée que dans toutes les périodes qu'ils ont examinées. Weldon et ses collaborateurs constatent que la distribution des flux entre 2020 et 2022 est statistiquement cohérente avec les prévisions historiques de l’échantillon et du modèle, mais avec moins de mesures brillantes au-dessus de 0,6 mJy. Depuis 2019, le maximum de densité du flux infra-rouge est de 0,9 mJy, alors qu'avant 2019, la densité de flux la plus élevée était de 2,0 mJy. Mais en 2019, la densité de flux maximale a atteint 5,6 mJy ! Le Jansky est une unité de densité de flux qui est généralement utilisée pour les ondes radio, mais on peut l'utiliser aussi dans le cas des infra-rouges, dont les fréquences ne sont pas très éloignées de celles des ondes radio submillimétriques. 1 Jy est égal à 10−26 W m−2 Hz−1 .
La référence temporelle de 17 ans de Weldon et ses collaborateurs fournit des preuves solides d'un changement dans la médiane de la distribution du flux en 2019. Le modèle à deux états pour la distribution du flux avec un état de repos de forme log-normal et une queue de loi de puissance (modèle de Dodds-Eden et al. de 2011) (scénario 1) interprète les éruptions lumineuses comme des manifestations d'une telle queue, mais il n'explique pas les changements dans la faible émission qui sont observés dans cette nouvelle analyse. Cet élément suffit à Weldon et ses collaborateurs pour éliminer le premier scénario proposant un changement de modèle d'émission, pour privilégier les explications (2 ou 3) invoquant un changement physique dans l'état d'accrétion de Sgr A* .
Les chercheurs relèvent ensuite que, si la variabilité de Sgr A* était caractérisée par un nouvel état d'accrétion (le scénario 3), on s'attendrait à voir des événements brillants et une activité dans d'autres longueurs d'ondes élevée, et répartis plus uniformément sur deux décennies, plutôt que regroupés en une seule année. Ils peuvent donc exclure un état d'accrétion élevée à long terme, car la variabilité de Sgr A* après 2019 ressemble à son activité passée et aucun événement extraordinairement brillant n'a été observé depuis lors (jusqu'en 2022).
Les résultats de Weldon et al. privilégient donc le scénario 2 : des modèles dans lesquels du gaz supplémentaire s’est déposé sur le trou noir spécifiquement en 2019, augmentant temporairement le taux d’accrétion et stimulant la production d’événements lumineux fréquents. De tels modèles incluent deux origines possibles : une perturbation induite soit par l'approche au plus proche de l'étoile S0-2 en 2018 ou soit la chute retardée de gaz extrait d'une interaction de marée avec l'objet poussiéreux G2 en 2014 (voir ici, ici, ici et ici) . Kawashima et al. avaient prédit en 2017 une augmentation de luminosité radio et infrarouge retardé vers 2020 qui serait provoqué par le passage de G2. Dans leurs simulations, l'énergie magnétique à l'intérieur du disque d'accrétion augmenterait d'un facteur 3 à 4 environ 5 ans après le passage de G2. Des simulations hydrodynamiques ont également montré qu'il est peu probable que les vents provenant du passage de l'étoile S0-2 aient un effet mesurable sur le flux d'accrétion (Ressler et al. 2018 ). Pour Weldon et ses collaborateurs, si l’activité de 2019 est effectivement causée par une augmentation temporaire de l’accrétion, ces résultats favorisent collectivement l’hypothèse G2 par rapport à l’hypothèse S0-2 en tant que source d’excès de matière.
On sait grâce à des simulations que des modifications apportées au contenu du flux magnétique du disque d'accrétion doivent avoir des effets mesurables sur les courbes de lumière et les distributions de flux de Sgr A* (Chatterjee et al. 2021). L’absence de densités de flux élevées après 2019 (et même la légère diminution de la luminosité moyenne) pourraient impliquer selon Weldon et ses collaborateurs que la suractivité de 2019 a modifié le flux d’accrétion ultérieur sur Sgr A* pendant une période prolongée. Des simulations magnétohydrodynamiques relativistes ont par exemple révélé en 2022 que des éruptions lumineuses alimentées par une reconnexion magnétique peuvent éjecter une partie du disque d'accrétion et donc réduire fortement le taux d'accrétion ultérieur sur le trou noir (Ripperda et al. 2022).
Avec plus d’observations, on sera en mesure de déterminer si l’inactivité relative de Sgr A* qui est vue depuis 2019 est effectivement statistiquement significative. Les futures observations en proche infrarouge continueront de surveiller le trou noir à la recherche de signes d’activité accrue (ou diminuée). Des analyses plus approfondies des données multi-longueurs d'onde aideront également à comparer les mécanismes physiques à l'origine des événements brillants de 2019. Enfin, une modélisation plus approfondie des interactions des objets G (mi-étoile mi-nuage de gaz poussiéreux) avec le flux d'accrétion de Sgr A*, et de leur capacité à provoquer l'activité de 2019 devrait en outre être réalisée pour fournir une comparaison plus robuste avec les observations...
Comme je le disais en introduction, Sgr A* est un nom d'emprunt pour le trou noir supermassif de notre galaxie, puisqu'il s'agit avant tout du nom d'une source radio quasi-ponctuelle. Je vous propose donc un petit jeu-concours qui va consister à proposer un nom propre pour notre trou noir galactique. Je vous propose de baptiser ce trou noir avec un nom bien trouvé, avec si possible une petite explication de texte de votre choix de nomination. J'organiserai par la suite un vote sur les noms proposés les plus pertinents (en éliminant les loufoques). Ca Se Passe Là-Haut pourra alors parler de Sgr A* avec le nom qui aura été choisi! Faites vos propositions de noms en commentaires (sur youtube ou sur le www), libérez la créativité qui est en vous ! A vous de jouer ! Merci par avance pour votre participation.
Source
Near-infrared Flux Distribution of Sgr A* from 2005–2022: Evidence for an Enhanced Accretion Episode in 2019
Grant Weldon et al..
The Astrophysical Journal Letters, Volume 954, Number 1 (5 septembre 2023)
Illustration
1. Vue d'artiste du nuage G2 tombant sur le trou noir supermassif (ESO / MPE / M.Schartmann)
2. L'ombre de l'horizon de Sgr A* imagée par l'Event Horizon Telescope (EHT collaboration)
3. Grant Weldon (UCLA)
1 commentaire :
Je propose "Kali", déesse du temps, de la mort et de la délivrance.
En plus elle est représentée avec une couleur noire qui convient parfaitement !
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