dimanche 17 septembre 2023

Le cas K2-18 b et sa potentielle biosignature


Tout le monde en parle, le télescope Webb aurait détecté une trace de biosignature dans l'atmosphère de la planète K2-18 b : du sulfure de diméthyl, que seuls du phytoplancton et des bactéries peuvent produire. Voyons un peu plus en détail ce que les chercheurs qui ont fait cette étude disent dans leur article, qui a été accepté pour publication dans The Astrophysical Journal Letters il y a quelques jours... 

K2-18 b n'est pas une exoplanète nouvellement découverte, elle a été débusquée par le télescope Kepler il y a 8 ans par la méthode du transit. Il s'agit d'une planète 8,63 fois plus massive que la Terre, 2,61 fois plus grande en taille et qui se trouve à 120 années-lumière. Elle a une température d'équilibre comprise entre entre 250 et 300 K (entre -23 et +27°C) et un albédo compris entre 0 et 0,3. C'est ce qu'on appelle une sous-Neptune. Le télescope Hubble avait été utilisé pour observer son atmosphère en 2019 et avait révélé la présence très probable d'hydrogène et d'un océan d'eau, potentiellement liquide étant donné la distance de la planète à son étoile. 

Ces type de planètes à la fois aqueuses et hydrogénées, de masse comprise entre 1 et 10 masses terrestres pour un rayon compris entre 1 et 2,6 rayon terrestre ont été nommées des planètes hycénaniques en 2021 par le premier auteur de ce nouvel article, Nikku Madhusudhan (université de Cambridge).  La nouvelle classe des planètes hycéaniques a justement été motivée par la découverte de K2-18b en 2015 et la démonstration que ses propriétés globales sont cohérentes avec la possibilité d'un intérieur riche en eau et d'un océan d'eau liquide à des températures et pressions habitables sous une atmosphère riche en hydrogène.

Ce sont ses caractéristiques intéressantes en terme de dimensions et de distance qui avaient poussé les astronomes à pointer le télescope Hubble vers K2-18 b pour tenter d'observer un spectre en transmission, lorsqu'elle passe devant son étoile lors d'un transit. Ces mesures ont été effectuées à partir 2019 durant plusieurs mois et publiées dans les années qui ont suivies. 

Le spectre de transmission observé dans le proche infrarouge (1.1-1.7 µm) avec le spectrographen WFC3 de Hubble suggérait une atmosphère riche en H2 avec une forte absorption de H2O (Benneke et al. 2019a ;Tsiaras et al. 2019 ; Madhusudhan et al. 2020). Mais d'autres études ont mis en évidence la dégénérescence entre l'eau et le méthane (H2O et CH4) dans le spectre observé par Hubble (Blain et al. 2021 ; Bezard et al. 2022), et des contributions potentielles dues aux hétérogénéités stellaires (Barclay et al. 2021), ce qui rendait l'inférence de H2O peu concluante.

Mais Nikku Madhusudhan avait démontré en 2021 que K2-18 b était accessible à une caractérisation détaillée de son atmosphère avec un temps réduit de télescope Webb, y compris la possibilité de détecter des molécules organiques importantes, comme l'eau, le méthane et l'ammoniac (H2O, CH4, NH3), ainsi que plusieurs biomarqueurs, tels que (CH3)2S, ou sulfure de diméthyle (DMS), ainsi que le chlorure de méthyle (CH3Cl) et d'autres. Selon les chercheurs, les principales molécules devaient être détectables même en présence de nuages de haute altitude. En outre, plusieurs études théoriques récentes avaient aussi démontré que les abondances atmosphériques des principales molécules CNO peuvent être utilisées pour déduire la présence de surfaces sous des atmosphères riches en Hdans des
dans les sous-Neptunes tempérées. Par exemple, la présence d'un océan sous une atmosphère riche en Hpeu profonde, comme ce serait le cas pour un monde hycéanique, peut être déduite par une abondance accrue de CO2, H2O et/ou CH4, mais avec un appauvrissement en NH3.
Nikku Madhusudhan et ses collaborateurs ont donc bataillé pour obtenir du temps d'observation avec le télescope Webb pour le pointer vers K2-18b. L'observation a été très courte puisque seulement deux transits ont été observés pour obtenir des spectres en transmission. Le premier était le 21 janvier 2023 pour une durée d'acquisition de 5,3 heures et le second le 1er juin 2023 pour 4,9 heures. En comparaison, les observations de Hubble s'étaient étalées sur plusieurs longs mois.
Le spectre de transmission de K2-18 b a été produit avec les instruments NIRISS et NIRSpec de Webb dans la gamme de longueurs d'onde entre 0,9 et 5,2 µm, qui contient des caractéristiques spectrales de plusieurs espèces chimiques. 

Le spectre en transmission obtenu lors des deux transits montre clairement une abondance de méthane et de dioxyde de carbone, ainsi qu'une pénurie d'ammoniac. L'eau n'est pas détectée dans cette zone stratosphérique de l'atmosphère de K2-18 b, ce qui indique qu'elle doit s'être condensée à une altitude plus basse, selon les chercheurs. Ces éléments confortent l'hypothèse selon laquelle il pourrait y avoir un océan d'eau liquide sous une atmosphère riche en hydrogène dans K2-18 b. Et ces premières observations de Webb  détectent également des raies qui correspondraient à la molécule de sulfure de diméthyle (DMS). Sur Terre, le DMS n’est produit que par la vie ou dans des laboratoires de chimie. La majeure partie du DMS présent dans l'atmosphère terrestre est émise par le phytoplancton des environnements marins. Certes.

Mais Madhusudhan et ses collaborateurs montrent que c'est plus compliqué que ça sur K2-18 b. Les raies du (CH3)2S se superposent en fait avec des raies du COet du CHsur une grande partie du spectre. Il faut donc modéliser très précisément les abondances de chaque élément pour tenter d'extraire l'information de l'abondance de DMS qui serait présente. Pour déduire la présence de DMS, il faut donc partir de l'a priori qu'il y a du DMS... Les chercheurs déduisent donc la présence de  DMS avec une confiance qu'ils qualifient de "marginale". Un euphémisme. L'abondance de DMS qui est déduite s'étend sur une gamme relativement large selon les cas considérés, de log(XDMS) =-4.46 (+0.77 -0,88) à l'extrémité supérieure à log(XDMS) = -6,87 (+1,87 -3,25) pour l'extrémité inférieure. Les estimations sont donc extrêmement incertaines à ce stade, avec un écart de plus de 2 décades... Mais, pour les chercheurs, c'est l'extrémité inférieure qui serait la plus plausible.

Sur Terre, les rapports de mélange typiques du DMS, trouvés près de la surface de l'océan,  sont de l'ordre de quelques centaines de parties par milliard (Hopkins et al. 2023). Le DMS s'épuise rapidement en altitude, avec une durée de vie de quelques jours, en raison de réactions photochimiques avec OH et d'autres radicaux, conduisant finalement à la production de molécules de soufre plus oxydées comme le SO2. L'extrémité supérieure de l'abondance déduite pour le DMS dans l'atmosphère de K2-18 b est donc significativement plus élevée que celle observée sur Terre, et on note  qu'aucunes autres molécules soufrées ne sont détectées dans son atmosphère. Les chercheurs notent également que les sections efficaces d'absorption de la molécule de sulfure de diméthyl dans l'infra-rouge sont assez mal connues. De nouvelles données sur ses sections efficaces pourraient fortement modifier les abondances déduites. Par ailleurs, de futures observations plus intensives pourraient être sensibles à d'autres espèces de soufre et rebattre les cartes... 

Madhusudhan et ses collaborateurs notent également que si leurs extractions ont inclus un large éventail de molécules avec de fortes signatures spectrales dans la gamme de longueurs d'onde observée, de futures études pourraient prendre en compte un ensemble encore plus large de molécules, en particulier lorsque de nouvelles valeurs de sections efficaces d'absorption seront disponibles. Par exemple, d'autres molécules d'hydrocarbures ont des bandes C-H similaires à celles du DMS dans la gamme des 3 à 3,5 µm. Madhusudhan et al. ont exploré des modèles de spectres avec d'autres hydrocarbures tels que C2H2 , C2H6, CH3OH, HC3N, et des brumes avec des propriétés optiques qui avaient été fournies par He et al. (2023), qui avaient été prédits pour être pertinents dans les atmosphères hycéaniques, mais ils n'ont trouvé aucune preuve définitive de leur présence.

Et puis l'abondance de DMS dépend aussi fortement de l'activité chromosphérique de l'étoile hôte. Une naine M calme avec un flux ultraviolet plus faible que celui d'une étoile de type solaire ayant le même flux bolométrique pourrait permettre aux molécules de DMS de survivre plus longtemps et d'être plus abondantes dans l'atmosphère planétaire. Mais, K2-18 est une étoile naine de type M3 modérément active et il est possible qu'elle ne soit pas calme dans l'extrême ultraviolet. Un flux Lyman alpha élevé pourrait conduire à un appauvrissement en DMS du fait de l'interaction avec l'O atomique produit par la photolyse du CO2. La réaction du DMS avec l'atome d'Hydrogène est quant à elle significativement plus lente qu'avec Oxygène et l'abondance de OH serait limitée par la condensation de H2O dans K2-18 b. Pour détricoter les spectres d'absorption qui sont mesurés, il faut donc prendre en compte tous ces effets annexes. 

Si l'abondance de DMS sur K2-18 b est effectivement confirmée par des observations futures comme étant supérieure à 10-6 , ce résultat pourrait nécessiter des taux de production biologique très élevés dans l'océan, ou bien, ou bien...  nécessiter une nouvelle compréhension de la chimie du sulfure de diméthyl (y compris la chimie abiotique potentielle) dans des planètes telles que K2-18 b !

Le DMS, comme le CH3Cl, est certes considéré comme une biosignature terrestre sans faux positifs connus. Sur la Terre, ces molécules sont produites exclusivement par la vie en quantités relativement faibles par rapport aux sous-produits plus abondants de la vie, comme l'O2, le CHet le N2O. Mais on ne peut pas exclure que dans une atmosphère et un environnement très différents comme ceux de K2-18 b, la chimie organique non biotique offre des processus de production qui nous sont encore inconnus.

Source

Carbon-bearing Molecules in a Possible Hycean Atmosphere

Nikku Madhusudhan et al.

https://arxiv.org/abs/2309.05566

à paraître dans The Astrophysical Journal Letters

Illustrations

1. Vue d'artiste de K2-18 b (NASA, CSA, ESA, J. Olmsted (STScI), Science: N. Madhusudhan (Cambridge University))

2. Spectre de transmission de K2-18 b mesuré par le télescope Webb (Nikku Madhusudhan et al.)

3. Nikku Madhusudhan

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