vendredi 29 septembre 2023

Caractérisation d'un sursaut gamma ultra-long et ultra-lointain


GRB 220627A est un sursaut gamma qui a été détecté le 27 juin 2022 deux fois par le télescope Fermi, dans deux épisodes distincts d'émission de rayons γ séparés par presque 1000 s . Son signal de rémanence dans le visible a permis de mesurer son redshift et de montrer qu’il s’agissait d’un seul sursaut gamma, mais ultra-long, en plus d’être ultra-loin… L’étude est parue dans Astronomy&Astrophysics.

Les sursauts gamma (GRB) sont des flashs de rayons g qui durent de quelques millisecondes à quelques heures, typiquement avec des luminosités isotropes de ∼1051 - 1053 erg s-1, ce qui en fait les explosions les plus lumineuses observées dans l'Univers. Les GRB les plus courts seraient dus à la coalescence de deux objets compacts impliquant une étoile à neutrons, tandis que les sursauts les plus longs résulteraient majoritairement de l'effondrement d'une étoile massive, et des observations récentes ont montré qu'il existait un chevauchement entre ces deux classes de GRB.

Concernant les GRB dont la durée peut être qualifiée d’extrêmement longue, c’est-à-dire plus de 1000 s, ils sont en très petit nombre aujourd’hui (on a par exemple, GRB 091024A, GRB 101225A, GRB 111209A, GRB 121027A ou GRB 130925A). GRB 111209A a par exemple duré environ 25000 secondes (presque 7 heures). Certains auteurs ont suggéré que ces GRB forment une classe distincte de GRB dits ultra-longs et dont les progéniteurs seraient différents du modèle de collapsar classique. Levan et al. ont étudié en 2014 trois GRB ultra-longs parmi ceux que j’ai cités  et ils ont trouvé qu'ils avaient tous une émission associée de rayons X de longue durée très similaire à des éruptions et qu'ils étaient situés près de cœurs de galaxies naines à forte formation d'étoiles. La durée extrêmement longue de ces sursauts les a amenés à conclure que leurs moteurs centraux étaient actifs depuis beaucoup plus longtemps que les GRB longs normaux, et donc que leurs progénitrices pourraient être des étoiles supergéantes bleues qui ont des rayons beaucoup plus grands que les étoiles de Wolf-Rayet qui sont généralement considérées comme les progénitrices des GRBs les plus longs.

En 2014, Zhang et al. avaient utilisé les données de rayons X en plus des données de rayons gamma pour déterminer les durées du moteur central pour 343 GRB, ils ont trouvé que 21,9% des GRB ont des durées de bouffée supérieures 1000 s, et que 11,5% ont des durées supérieures à 10 000 s. Leur conclusion était que les GRB ultra-longs peuvent être la queue d'une seule population de GRB longs et ne nécessitent pas une progénitrice supergéant bleue, même si les données ne l'excluent pas.

Et comme les observations suggèrent que les propriétés de rémanence des GRB ultra-longs ne sont pas différentes de celles des autres GRB longs classiques pour savoir si les GRB ultra-longs forment une population distincte par rapport aux autres GRB longs, il est nécessaire de disposer de preuves observationnelles multi-longueurs d'onde, englobant à la fois les propriétés de la rémanence du sursaut gamma et celles de la galaxie hôte.

Simon de Wet (université de Cape Town) et ses collaborateurs ont donc cherché dans cette voie pour savoir d’une part si le récent GRB 220627A est bien un GRB ultra-long et d’autre part s’il aurait une progéntrice différente des autres GRB de longue durée. Pour cela, ils ont effectué une modélisation des données de la rémanence dans le visible du sursaut gamma qu’ils avaient observée avec le télescope MeerLICHT à partir de 0,84 jour après le sursaut, en se plaçant dans le cadre d’un modèle de choc externe avant, et ils ont ensuite déterminé la métallicité de l'environnement du GRB en modélisant les raies d'absorption qui sont visibles dans le spectre enregistré par l’instrument MUSE du Very Large Telescope.

Ce sont les spectres de MUSE qui ont permis de déterminer le redshift (et donc la distance) de GRB 220627A. Les chercheurs ont mesuré un décalage vers le rouge de 3,08, ce qui fait une distance énorme de 11,6 milliards d’années de voyage pour ces photons gamma avant d’arriver sur le télescope Fermi.

La double détection à 956 s d’intervalle entre les deux bouffées du sursat par le détecteur de Fermi (Fermi Gamma Ray Burst Monitor) était étonnante, d’autant qu’une émission à haute énergie (de l'ordre du GeV) a été détectée par Fermi LAT en même temps que le premier épisode de sursaut, mais pas le second. Les chercheurs parviennent à montrer qu’il s’agit d’un seul sursaut et sa durée totale est déterminée à 1092 s (18 minutes et 12 secondes). GRB 220627A est ainsi le GRB ultra-long le plus distant connu à ce jour.

Les données dans le visible montrent une rupture de jet dans la courbe de lumière 1,2 jours après le double sursaut, tandis que la modélisation montre une préférence pour un milieu homogène de entourant l’objet à l’origine du GRB. Les paramètres de choc avant apparaissent typiques d’une population de GRB plus large, et les chercheurs trouvent que l'environnement du sursaut est caractérisé par une métallicité sub-solaire, typique des systèmes impliquant une concentration d'hydrogène gazeux neutre qui sont détectées dans le spectre des quasars et d'autres rémanences de GRB. Le paramètre le mieux contrôlé par les chercheurs est l'angle d'ouverture du jet, qu’ils contraignent à 4,5°. Les observations de de Wet et ses collaborateurs et leur modélisation de GRB 220627A suggèrent ainsi que la progénitrice de GRB 220627A n’était pas différente de celles des GRB longs plus normaux. Ils précisent néanmoins que d'autres observations de GRB ultra-longs seront nécessaires pour déterminer s'ils forment réellement une population séparée avec des caractéristiques différentes, et éventuellement des progénitrices distinctes.

A défaut d’une origine différente de celle de la grande majorité des GRB de longue durée, c’est-à-dire le collapse gravitationnel d’une étoile massive qui forme un trou noir, GRB 220627A détient désormais le titre de GRB ultra-long le plus lointain. Et c’est un phénomène.


Source

The ultra-long GRB 220627A at z = 3.08

S. de Wet et al.

Astronomy&Astrophysics Volume 677 (September 2023)

https://doi.org/10.1051/0004-6361/202347017


Illustrations

1. Vue d'artiste d'un GRB ultra-long (ESO)

2. Courbe de lumière en rayons gamma de GRB 220627A  (de Wet et al.)

3. Simon de Wet 


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