mardi 19 septembre 2023

Le lithium du Soleil


Une équipe d’astrophysiciens brésiliens a évalué l'effet combiné de l'âge et de la masse stellaire sur l'abondance du Lithium dans un échantillon de 153 étoiles de type solaire dont 74 nouvelles étoiles. Ils trouvent une incompatibilité avec les modèles stellaires standards. L’étude est publiée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Anne Ratsham et ses collègues de l’université de Sao Paulo ont étudié la corrélation qui existe entre l'abondance du Lithium (Li), l'âge et la masse des étoiles. Ils ont mesuré les abondances de Li via la quantification spectrale de la raie du Li à 6707.8 Å dans 153 étoiles jumelles du Soleil (74 de leur échantillon propre et 79 d'une étude précédente). Le lithium est un élément extrêmement important pour l'astrophysique stellaire car il commence à être détruit à une température assez basse (2,5 106 K) qui est facilement atteinte à l'intérieur des étoiles. Or la base de la zone convective des étoiles de type solaire de la séquence principale a une température d'environ 2 106 K et n'est donc pas en mesure de brûler le Li. Par conséquent, l'abondance en Li d'une étoile de type solaire ne devrait pas changer au fur et à mesure que l'étoile évolue le long de la séquence principale selon le modèle solaire standard, puisqu'il n'envisage aucun mécanisme de transport autre que la convection. Mais les vieilles étoiles de la séquence principale semblent présenter systématiquement une abondance de Li plus faible que les plus jeunes... Cela indiquerait qu'une partie du Li présent dans ces étoiles doit être transportée vers les régions internes (et plus chaudes) à travers des processus de mélange autres de convectif, des processus non-standards. Une preuve d'un lien entre l'appauvrissement en Li et l'âge des étoiles est par exemple que la valeur de l'abondance du Li du Soleil est environ 150 fois inférieure à la valeur météoritique (qui est adoptée comme la valeur de l'abondance du Li pendant la formation du système solaire, donc à la naissance du Soleil).

De nombreux mécanismes de transport supplémentaires ont déjà été invoqués pour tenter d'expliquer la destruction observée du Li, tels que la surcharge convective (par Xiong & Deng 2009 ), dans laquelle le matériau atteint l'enveloppe convective avec un certain élan et est transporté vers les régions inférieures en raison de son inertie ; ou d’autres comme la décantation convective, dans laquelle le matériau atteint la zone de combustion du Li en raison de la faible entropie du flux descendant ; ou encore la diffusion atomique (do Nascimento et al. 2009 ), dans laquelle les atomes sont transportés profondément à l'intérieur de l'étoile par décantation gravitationnelle ; mais aussi le mélange induit par la rotation et le mélange dû aux vagues de gravité à l'intérieur de l'étoile (Charbonnel & Talon 2005 ), qui redistribuent le moment angulaire le long de l'étoile.

Les modèles non standards qui prennent en compte un ou plusieurs de ces mécanismes supplémentaires de transport de matière sont capables de prédire une réduction de l'abondance du Li avec l'âge des étoiles. Mais aucun de ces modèles n'a été jusqu'ici en mesure d'expliquer simultanément toutes les caractéristiques observées concernant l'abondance du Li dans différents types stellaires et métallicités.

Et puis, Tucci-Maia et al. avaient trouvé en 2015 des abondances de béryllium à peu près constantes dans les jumelles solaires. Or, comme le lithium, le béryllium est détruit par fusion à une température relativement basse (∼3.5 106 K), bien que plus élevée que la température nécessaire pour détruire le Li. Par conséquent, si une méthode de transport supplémentaire existe, similaire pour le béryllium et le lithium, elle devrait atteindre une profondeur suffisante pour brûler le Li, mais pas au point de brûler du béryllium. Pas simple. 

Une autre possibilité a été explorée : celle d’un appauvrissement en Li qui serait lié à la formation et à la présence de planètes (Israelian et al. 2009 ; Delgado Mena et al. 2014 ; Figueira et al. 2014 ; Gonzalez 2015 ). Cette idée est soutenue par la découverte en 2019 que le Soleil est plus pauvre en Li que les étoiles jumelles d'âge similaire. Et il a aussi été suggéré dans l'autre sens que la présence de planètes provoque une augmentation de l'abondance de Li stellaire dans le cas d'événements d'engloutissement de planètes. Mais pour l'instant, d'autres observations sont nécessaires pour déterminer une réelle  corrélation entre l'abondance de Li et la présence de planètes.

Et d'autres paramètres peuvent affecter l'abondance de Li, comme la masse stellaire et la métallicité, qui sont liées à la taille de la zone convective, car les étoiles riches en métaux et celles de faible masse présentent des zones de convection plus profondes. Ratsham et ses collaborateurs ont exploré à la fois l'âge des étoiles, leur masse et la taille de leur enveloppe, et l'existence de planètes en orbite. 

Leurs analysent leur permettent de confirmer la forte corrélation qui avait été vue entre l'abondance de Li et l'âge des étoiles. Et selon les chercheurs, la masse et la taille de la zone convective semblent également être liées à l'abondance de Li, mais en revanche avec une signification moindre. Et ils ont également trouvé un lien entre la présence de planètes et les faibles abondances de Li dans un échantillon de 192 étoiles, là aussi avec une signification élevée. Sur la totalité de leur échantillon d'étoiles, 36 sont connues pour posséder au moins une planète et ces étoiles-là sont plus pauvres en Li d'environ -0,23 dex, en moyenne. Néanmoins, les astrophysicierns précisent que ce résultat pourrait être en partie dû aux abondances en fer un peu plus élevées des étoiles hôtes de planètes, ce qui entraîne des zones de convection plus profondes et donc un appauvrissement en Li plus important (d'après une étude de Martos et al. de 2023)

Globalement, les résultats de Ratsham et ses collaborateurs sont en accord qualitatif avec les modèles dits « non-standards », les chercheurs indiquent que plusieurs mécanismes de transport supplémentaires doivent être pris en compte pour expliquer le comportement de l'abondance du Lithium pour des étoiles de masses et d'âges différents. Ils ont testé plusieurs modèles et arrivent à la conclusion que les seuls qui parviennent à reproduire assez bien les valeurs observées sont les modèles de Dumont et al. datant de 2021, qui considèrent une large gamme d'effets non-standards, mais seulement jusqu'à environ 4 Gigannées d'évolution. Les chercheurs conviennent que leurs résultats renforcent le besoin d'études supplémentaires pour mieux comprendre les mécanismes complexes de transport de la matière dans l'intérieur stellaire.

Il est enfin à noter que dans l'échantillon de Ratsham et ses collaborateurs, quatre étoiles sortent du lot (HD 017925, HD 061005, HD 010008, et BD-120243), car elle semblent considérablement abondantes en lithium. Pour les chercheurs, ce serait une preuve possible qu'elles aient subit un engloutissement de planète. Ce type de détection pourrait dans ce cas donner un indice de l'existence d'engloutissement planétaire. Cependant, ils précisent que d'autres études seront nécessaires avant de se prononcer définitivement sur ces cas. 

Avec cette étude, on en sait donc un peu plus sur l'évolution du lithium dans les étoiles du type solaire. La disparition du lithium au cours du temps est bien confirmée, il se confirme aussi que planètes et abondance en lithium sont intimement liées, et enfin, il se confirme également que la simple convection interne des étoiles ne suffit pas pour produire la combustion nucléaire du lithium. Une série de mécanismes non-standards doit nécessairement être à l'oeuvre. Reste maintenant à les affiner, ce qui permettra de mieux comprendre comment fonctionne notre étoile... 


Source

Lithium depletion in solar analogs: age and mass effects

Anne Rathsam et al.

Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 525 (31 august 2023)

https://doi.org/10.1093/mnras/stad2589


Illustrations

 1. Le Soleil imagé par STERE (NASA)

2. Abondance en lithium mesuré sur des étoiles analogues au Soleil en fonction de leur âge (Rathsam et al.)


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