dimanche 24 septembre 2023

Du CO2 détecté à la surface de Europe provenant de son océan

Europe, la lune glacée de Jupiter, possède un océan souterrain sous une croûte de glace d'eau. Du dioxyde de carbone solide a déjà été observé à sa surface, mais la source était encore inconnue. Deux équipes ont analysé la surface d'Europe par spectroscopie infrarouge à partir du télescope spatial Webb pour étudier la source de CO2. Les deux équipes arrivent à la même conclusion : le carbone provient de l'océan interne. Les études sont parues dans Science.

Sous une croûte de glace d'eau, Europe possède un océan interne d'eau liquide salée, au-dessus d'un fond rocheux, un environnement potentiellement habitable. L'évaluation de l'habitabilité de l'océan dépend de sa chimie, notamment de l'abondance des éléments biologiquement essentiels, de l'état d'oxydation global et les sources d'énergie chimique disponibles. Le dioxyde de carbone a déjà été détecté à la surface d'Europe, mais il n'a pas été possible de déterminer s'il provenait de la chimie océanique souterraine, s'il avait été émis par des impacts ou s'il avait été produit à la surface via des réactions photochimiques ou radiolytiques de matériaux émis par un impact.

Samantha Trumbo (Cornell University) et Michael Brown (Caltech) ont cartographié la distribution du CO2 sur Europe à l'aide d'observations du télescope spatial Webb et de son spectrographe NIRSpec le 23 novembre  2022. Ils ont traqués des raies d'absorptions caractéristiques du CO2, qui se trouvent à des longueurs d'ondes de 4.249 et 4.268 µm. 

Ils trouvent une concentration importante de CO2au sein d'une région d'Europe qui est nommée Tara Regio, un terrain d'apparence jeune, récemment renouvelé. tara Regio est une zone d'environ 1 800 km de diamètre, composée de matériaux géologiquement perturbés (que les planétologues nomment un "chaos"). La formation du chaos n'est pas bien comprise aujourd'hui. Les explications proposées impliquent toutes une perturbation à grande échelle de la glace de surface via des interactions avec des matériaux endogènes provenant d'en dessous, tels que des saumures souterraines. Il faut dure que le chlorure de sodium a été détecté dans cette région et interprété comme provenant de l'océan dans deux études antérieures de Samantha Trumbo et collab. en 2019 et 2022. Le sel contribue également à la décoloration de Tara Regio par rapport aux régions environnantes.

Cela indique selon eux que le CO2provient d'une source de carbone interne. Les chercheurs proposent que le CO2 s'est formé dans l’océan interne, bien qu'ils ne puissent pas pas complètement exclure une formation à la surface par conversion radiolytique de matières organiques ou de carbonates dérivés de l’océan. Selon Trumbo et Brown, le carbone est probablement fourni sous forme de CO2 dissous dans l'océan de sub-surface, mais il pourrait aussi se présenter sous la forme d'autres précurseurs carbonés. La mise en place pourrait avoir eu lieu pendant la formation de ces régions perturbées, avec des mécanismes potentiels comprenant la remontée d'eau sous la surface, la fonte et l'effondrement de la glace au-dessus d'un liquide souterrain peu profond, comme pour le chlorure de sodium. À la surface, le CO2 volatil doit être piégé dans un ou plusieurs autres matériaux.

Trumbo et Brown expliquent que le sputtering  continu que subit la surface d'Europe doit libérer une partie du CO2 dans l'atmosphère ténue d'Europe. Mais la photoionisation et les interactions avec la magnétosphère de Jupiter devraient ensuite éliminer le CO2 dans l'atmosphère d'Europe, comme cela a été prédit pour Callisto (où l'échelle de temps prévue est d'environ 4 ans). Il faut donc un apport continu ou récent de CO2 pour expliquer les quantités observées à la surface.

L'interprétation des chercheurs implique que le carbone est présent dans l'océan souterrain d'Europe et qu'il a atteint la glace de surface à une échelle de temps géologiquement récente. Si ce carbone a été livré sous forme de CO2, et si ce CO2 est représentatif de l'état d'oxydoréduction du carbone dans l'océan, alors une chimie fortement réduite dans l'océan est peu probable. Au contraire, un océan oxydé serait plutôt cohérent avec l'apport descendant de composés oxydants que Trumbo et Brown proposent (un apport à travers la croûte de glace). Ces composés oxydants de surface seraient produits par radiolyse, par exemple, O2 et H2O2, sur des échelles de temps géologiques. Un océan riche en CO2 serait également compatible avec des conditions légèrement acides et une origine métamorphique de l'océan, comme l'avaient proposé M. Melwani et al. en 2021.


Geronimo Villanueva (NASA Goddard Space Flight Center) et ses collaborateurs ont également observé Europe avec le télescope spatial James Webb avec  les instruments NIRCam et NIRSpec pour spécifiquement  rechercher une libération active de matériaux à travers la croûte de glace, des panaches. Ils ont recherché une activité de type panache en sondant les caractéristiques infrarouges étroites correspondant à la fluorescence à la lumière du soleil. Ils ont ciblé les raies de H2O, CH4 , C2H6 , CO et CH3OH et ils ont extrait un spectre intégré sur une région de 1,3 secondes d'arc de diamètre centrée sur Europe (500 km au-delà de son rayon). Mais les chercheurs ne détectent aucune émission d'eau, de monoxyde de carbone, de méthanol, d'éthane ou de méthane. 

Ils fixent ainsi des limites supérieures pour les quantités présentes de ces molécules, en unités de 1030 molécules, cela donne : H2O  <35, CH4 <18 , C2H6 <18  , CH3OH <93  et CO <14 . En supposant une vitesse de dégazage de 583 m.s-1 et un écoulement isotrope, la limite supérieure qu'ils trouvent pour l'eau  (35 1030 molécules de H2O) correspond à un panache de vapeur d'eau qui aurait une activité de inférieure à 10 28 molécule s-1 ( ce qui fait < 300 kg.s−1). Cette limite supérieure pour l'eau est un facteur 2 inférieure à la détection d'un panache en 2019 par Paganini et al.  (70 ± 22 × 1030 molécules) , et un facteur 4 inférieure à celle qui avait déduite de l'émission ultraviolette aurorale (130 ± 30 × 1030 molécules de H2O (Roth 2014), et un facteur 5 inférieure à la valeur médiane de 180 × 1030 molécules de H2O] rapportée pour les panaches par Sparks et al. en 2016. Villanueva et ses collaborateurs en concluent que si une activité de panache se produit sur Europe aujourd'hui, elle doit être très localisée et faible, ou bien peu fréquente et inactive lors de leurs observations, ou alors dépourvue des gaz volatils qu'ils recherchaient... 

En revanche, Villanueva et son équipe ont également scruté la surface de Europe, avec NIRCam et NIRSpec pour faire à la fois des images et des spectres. La campagne d'observation est la même que celle exploitée par Trumbo et Brown, mais avec un instrument de plus. Villanueva et ses collaborateurs ont recherché des espèces chimiques spécifiques là encore : CO, CH4, CH3OH et CO2, qui seraient sous forme de glace sur la surface de Europe. Ils n'ont pas détecté de traces des trois premières espèces chimiques, mais en revanche, quatre caractéristiques spectrales de la glace de dioxyde de carbone (CO2) ont été détectées. Et eux aussi trouvent que ce CO2 est plus concentré dans Tara Regio.

Les chercheurs montrent que leurs formes spectrales et leur distribution sur la surface d'Europe indiquent que le CO2 est mélangé à d'autres composés . Les raies d'absorption du 13CO2 (du dioxyde de carbone dont l'isotope est le carbone-13) permettent en outre à Villanueva et ses collaborateurs de mesurer le rapport isotopique 12C/13C qu'ils trouvent égal à 83 ± 19.  Les chercheurs ne peuvent pas faire la distinction entre une source abiotique ou biogénique sur la base de ce rapport isotopique. 

Les chercheurs estiment que puisque le CO2  de surface le plus abondant se trouve à Tara Regio, cela pourrait indiquer que cette région géologiquement distincte est associée à une source endogène de CO2 sur Europe. Ils notent que la distribution spatiale de la raie du CO2 à 4,25 µm est similaire à celle observée lors d'observations précédentes de NaCl irradié, tandis que les raies à 2,7 μm et 4,27 μm sont réparties plus largement sur la surface d'Europe. Ils interprètent cela en considérant que la raie de 4,25 μm est due au CO2 mélangé à des sels ou produit par irradiation de sels carbonatés. Et que donc ce CO2 est d'origine endogène comme le sel.

Pour Villanueva et ses collaborateurs, une source potentielle de CO2 pourrait être les fluides carbonatés (par exemple, NaHCO3 ou Na2CO3 dissous dans l'eau). Comme on sait que Encelade (satellite de Saturne) possède un océan riche en carbonates qui dégaze le CO2 et qu'une partie de ce CO2 dégazé gèle en surface, un processus analogue pourrait se produire sur Europe. Alternativement, les carbonates endogènes pourraient réagir avec des composés acides (par exemple H2SO4) à la surface ou à proximité pour produire du CO2 , ou des saumures extrudées, si elles contiennent des sels de (bi)carbonate, pourraient produire du CO2 pendant une irradiation.

Ensemble, ces deux études démontrent qu’il existe de la glace de CO2  à la surface d’Europe dans la zone particulière de Tara Regio et que son origine est à rechercher très probablement dans les composés carbonés de l’océan d’eau liquide salée qui se trouve sous la croûte glacée. Europe ressemble de plus en plus à Encelade, la vigueur des panaches d’eau en moins.


Sources

The distribution of CO2 on Europa indicates an internal source of carbon

S. Trumbo et al.

Science Vol 381 (21 Sep 2023)

https://doi.org/10.1126/science.adg4155


Endogenous CO2 ice mixture on the surface of Europa and no detection of plume activity

G. Villanueva et al.

Science Vol 381 (21 Sep 2023)

https://doi.org/10.1126/science.adg4270


Illustrations 

1. Localisation du CO2 à la surface de Europe avec NIRSpec (S. Trumbo et al.) 

2. Samantha Trumbo

3. Distribution de différentes raies du CO2 et image de Europe (Villanueva et al.)

4. Geronimo Villanueva 


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