samedi 2 septembre 2023

Non, les trous noirs ne sont pas à l'origine de l'énergie sombre


Le 15 février dernier (épisode 1455), je vous relatais la publication d'une étude ébouriffante qui proposait le grossissement des trous noirs à cause de l'expansion de l'espace-temps, les propulsant alors comme l'origine de l'accélération de l'expansion à grande échelle grâce à cette caractéristique signant leur nature sous-jacente. Faisons donc le point sur cette étude 6 mois plus tard. Deux mois après la publication de Farrah et al., un astrophysicien américain publiait la démonstration observationnelle que ce phénomène (et donc la théorie sous-jacente) était impossible. Il a publié sa contre-étude dans The Astrophysical Journal Letters

En février, Farrah et ses collaborateurs avaient conclu, à partir des données de leurs observations de l'évolution de la masse des trous noirs supermassifs vis à vis de la masse stellaire des galaxies en fonction du redshift, que la théorie du couplage cosmologique de Crocker et al., caractérisée par un facteur de couplage cosmologique k=3 était vérifiée 

                                   

où M est la masse du trou noir, a est le facteur d'échelle cosmologique et ai est le facteur d'échelle à partir duquel l'objet devient cosmologiquement couplé. Farrah et ses collaborateurs trouvaient k = 3,11 (+1.19/-1.33), une preuve selon eux de la croissance de la masse des trous noirs par couplage cosmologique. Et expliquant par là même potentiellement l'origine de l'énergie noire comme la résultante de la grande population de trous noirs de toutes masses un peu partout dans l'univers, selon le modèle théorique associé au couplage cosmologique.

Ce résultat a fait sursauter Carl Rodriguez (Université de Caroline du Nord), pour qui cette idée semblait inconcevable et facilement testable par des données d'observations, par exemple sur des trous noirs stellaires âgés, dont on connaît à la fois la masse et l'âge avec une assez bonne précision. Il s'est donc mis à la tache et a produit son analyse en moins de deux mois. Comme les amas globulaires font partie des populations stellaires les plus anciennes de la Voie lactée, ils abritent les plus anciens trous noirs de masse stellaire connus, ce qui permet de mieux comprendre la formation et l'évolution des trous noirs dans l'univers primitif. Rodriguez s'est intéressé à un amas globulaire qu'il connaissait bien : NGC 3201

Cet amas globulaire contient en effet trois trous noirs qui ont été caractérisés récemment en 2019 par Giesers et al. grâce à des mesures de vitesses radiales anormales d'étoiles qui apparaissent toutes les trois tourner autour d'un objet invisible. Rodriguez part du fait qu'on connaît assez précisément l'âge de la population d'étoiles de NGC 3201. Il en existe différentes estimations, mais elles convergent vers un âge de 11,5 ± 0,5 Gigannées. Et ont connaît la masse minimale de ces trous noirs, dont deux ont été confirmés dynamiquement : BH1 a une masse minimale (correspondant à une inclinaison orbitale minimale (i=0°)) de 4,53 ± 0,21 M pour un âge  et BH2 a quant à lui une masse minimale de 7,68 ± 0,5 M. L'inclinaison orbitale est une inconnue pour chacune de ces binaires. Et la durée de vie d'une étoile massive qui produira un trou noir de 4,53 masses solaires n'est que de 12 millions d'années environ. On peut donc considérer que les trous noirs ont le même âge que les autres étoiles de l'amas globulaire : 11,5 milliards d'années. Cet âge correspond à une formation à un redshift z=2,8.

Rodriguez calcule donc quelle aurait du être la masse natale de ces deux trous noirs, ou bien quelle devrait être leur masse actuelle si ils étaient nés avec la masse minimale d'un trou noir (qui correspond à la masse maximale des étoiles à neutrons : 2,2 masses solaires), dans le cadre de la théorie du couplage cosmologique appuyée par Farrah et al. avec k=3. On aurait une évolution de la masse des trous noirs en fonction du redshift M(z) = Mb (1+z) k, ce qui, pour k=3 et z=2,8, fait un facteur de grossissement de 54,9 dans cette théorie. 

Carl Rodriguez montre que, si le facteur k était supérieur à 2,5, cela nécessiterait que les masses actuelles des deux trous noirs soient de plus de 100 masses solaires, ce qui est toujours possible mais impliquerait alors que tous les deux soient vus avec une inclinaison orbitale maximale, ils seraient vus de face (i=90°). Or une telle configuration où les deux systèmes binaires sont vus exactement de face tous les deux a une probabilité de se produire au hasard qui est inférieure à 0,01%.... Dans l'autre sens, Carl Rodriguez prend le cas de BH1, le moins massif, en considérant que son couple est vu par la tranche et qu'il fait donc aujourd'hui 4,53 masses solaires. et il calcule quelle aurait du être sa masse à la naissance Mb en fonction du facteur k. Pour k = 3, il obtient une masse de 0,08 masse solaire ! Une telle masse, n'existe tout simplement pas pour les trous noirs stellaires formés par effondrement gravitationnel d'étoiles massives. En revanche, Rodiguez ne peut pas exclure une valeur non nulle pour le facteur k. Pour que la masse de BH1 à sa naissance soit supérieure à 2,2 masses solaires, qui est la masse minimale théorique pour un trou noir stellaire, le facteur k devrait être compris entre 0 et 0,5. On est dans tous les cas bien loin du facteur k=3,11 qui avait été trouvé par Farrah et al. 

Bien sûr, Rodriguez, dans son analyse, fait une hypothèse fondamentale : celle selon laquelle les trous noirs de NGC 3201 ont le même âge que les autres étoiles de l'amas (11,5 Gigannées). On pourrait se demander ce qui se passerait si ces trous noirs s'étaient formés bien plus tard, par exemple par la fusion de couples d'étoiles à neutrons. 
Mais Rodriguez rappelle que la modélisation détaillée de l'évolution des amas globulaires a montré que les fusions d'étoiles à neutrons binaires qui ont été formées de manière dynamique ne se produisent que dans les amas globulaires qui ont déjà éjecté la plupart de leurs trous noirs par des rencontres à trois corps (Ye et al. 2020), car la présence de nombreux trous noirs pousse les étoiles à neutrons hors des régions centrales denses, justement là où les binaires peuvent se former dynamiquement. La détection des trois trous noirs dans NGC 3201 et une comparaison avec des simulations Monte Carlo à N-corps de l'amas effectuées par Kremer et al. en 2018, ont suggéré la présence de dizaines voire de centaines de trous noirs dans NGC 3201. Il est donc raisonnable d'éliminer une telle origine récente par fusions d'étoiles à neutrons pour les trous noirs utilisés par Rodriguez. 

Les simulations d'amas globulaires susmentionnées supposent que les trous noirs se sont formés avec des masses supérieures à 2,5 M. Et Rodriguez précise que si les trous noirs s'étaient plutôt formés à des masses plus proches de 0,1 M, de toute façon, la relaxation à deux corps pousserait naturellement ces objets de faible masse à la périphérie de l'amas globulaire, tandis que les objets plus massifs (par exemple, les étoiles à neutrons et les étoiles massives) subiraient une ségrégation vers les régions centrales. L'effondrement du coeur de l'amas, qui serait conduit par les étoiles à neutrons, serait plus tardif que si il l'était plus classiquement par les trous noirs. Il s'en suivrait une distribution de masses différente de ce qui est vu dans le coeur de NGC 3201. 

Avec cette analyse, Carl Rodriguez peut donc annoncer que la solution de Duncan Farrah et al. d'un facteur de couplage cosmologique k=3 est exclue par l'observation des trous noirs de l'amas globulaire NGC 3201. Les trous noirs ne seraient donc pas à l'origine de l'accélération de l'expansion cosmologique via le modèle de Crocker et al. La corrélation vue par Farrah et al. entre la masse des trous noirs supermassifs relativement à la masse stellaire des galaxies et leur redshift ne serait qu'une illusion...

Source

Constraints on the Cosmological Coupling of Black Holes from the Globular Cluster
NGC 3201
Carl L. Rodriguez
The Astrophysical Journal Letters 947 (14 april 2023)


Illustrations

1. L'amas globulaire NGC 3201 (ESO)
2. Carl Rodriguez

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