jeudi 21 avril 2016

Découverte d’un alignement inattendu de trous noirs

Une étude à l’aide d’un des radiotélescopes les plus puissants a permis à des chercheurs sud-africains de mettre en évidence l’existence de plus d’une dizaine de trous noirs supermassifs, sur les 65 qu’ils suivaient, qui sont orientés dans la même direction. Une observation tout à fait surprenante.



Ce sont les directions des jets de plasma des galaxies actives que Russ Taylor (Université du Cap) et son doctorant ont observées dans une région du ciel de 1°x1° appelée ELAIS-N1 durant 3 ans à la fréquence de 612 MHz à l’aide du Giant Metrewave Radio Telescope (GMRT) situé en Inde. Les jets de plasma et de rayonnement sont émis par les trous noirs supermassifs des galaxies actives lorsqu’ils accrètent de la matière. Ces jets sont produits par les forces magnétiques gigantesques qui apparaissent suite au mouvement de rotation très rapide autour du trou de la matière chargée électriquement (du gaz ionisé proche de la vitesse de lumière). La direction du champ magnétique induit se trouve orthogonale au plan du disque d’accrétion, exactement dans l’axe de rotation du trou noir. Les jets de particules aux deux pôles du trou noir sont alors formés de particules dont la trajectoire s’enroule autour des lignes de champ magnétique.
Alignement des jets de trous noirs supermassifs dans la zone ELAIS-N1 (Russ Taylor)
La direction des jets de plasma des trous noirs qui sont observables en radio indiquent donc l’axe de rotation du disque d’accrétion, qui est le même que l’axe de rotation du trou noir.
Russ Taylor et Preshanth Jagannathan ont découvert par hasard cet alignement inattendu.  Les chercheurs voulaient simplement observer les sources radio les plus faibles de l’Univers en testant ce qui serait accessible avec les meilleurs radiotélescopes, comme les futurs MeerKAT ou Square Kilometer Array (SKA). Dans l’image qu’ils ont produite avec GMRT, ils identifient 65 radiogalaxies par leur jet caractéristique, mais treize d’entre eux apparaissent clairement alignés avec moins de 10° d’écart angulaire. Les astrophysiciens ont alors examiné la possibilité que cet alignement soit dû au hasard et ils trouvent que la probabilité qu’un tel alignement apparaisse naturellement avec une distribution aléatoire de l’orientation des galaxies, vaut 0,1%...

Ce qui est surprenant dans l'observation de cette douzaine de trous noirs supermassifs tournant tous dans la même direction, c’est qu’ils sont très éloignés les uns des autres. Les galaxies qui les abritent n’appartiennent même pas aux mêmes amas de galaxies. Ils sont séparés par une distance de l’ordre de 100 Mpc (environ 300 millions d’années-lumière).
Russ Taylor estime que puisque ces trous noirs (ou leur galaxie hôte respective) n’ont eu aucun moyen d’échanger de l’information ou de s’influencer directement les un(e)s les autres sur de si vastes échelles, cet alignement de leur rotation a dû avoir pris forme lors de la formation des galaxies dans l’Univers très jeune. Cette hypothèse implique qu’il y a aurait eu une sorte de rotation dans la structure de ce volume d’espace qui se serait formé à partir des fluctuations de densité primordiales à l’origine des grandes structures galactiques de l’Univers (superamas de galaxies).
Des observations antérieures avaient déjà montré des indices d’orientation privilégiée de quasars et donc d’une violation de l’isotropie cosmique. Ces nouvelles observations sous forme d’images en ondes radio viennent les renforcer en offrant pour la première fois la possibilité de révéler de tels alignements sur des très grandes échelles de distance avec une faible incertitude.

Comme de tels alignements d’axes de rotation ne sont pas prédits par les théories classiques, le phénomène va devoir être étudié de plus près, à la fois par de nouvelles observations plus précises mais aussi par la théorie qui devrait prendre en compte un tel effet si il se confirme. Du côté observationnel, les astrophysiciens comptent désormais beaucoup (et toujours plus) sur les futurs grands réseaux de radiotélescopes que seront le SKA et ses précurseurs, le sud-africain MeerKAT et l’Australien SKA Pathfinder. Du côté théorique, la porte est grande ouverte. Produire une rotation d’ensemble d’une étendue de gaz dans l’Univers primordial n’est pas facile à produire sans physique un peu nouvelle, voire très exotique. Des spécialistes de la simulation de l’évolution des grandes structures cosmiques sont sans doute déjà en train d’écrire des nouvelles lignes de code.

On commence à peine à comprendre comment les fluctuations primordiales de densité ont pu évoluer dans l’Univers pour mener aux grandes structures galactiques que nous découvrons tous les jours. Il va falloir continuer…

Source :

Alignments of radio galaxies in deep radio imaging of ELAIS N1
R. Taylor and P. Jagannathan
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (June 11, 2016) 459 (1): L36-L40.

4 commentaires :

Anonyme a dit…

Et qu'en pense Stéphane Lecorre?

Dr Eric Simon a dit…

J'imagine que Stéphane ne devrait pas tarder à réagir... mais ici les distances sont un peu grandes pour que les alignements puissent être expliqués par un champ gravitomagnétique, non ?

Stéphane Le Corre a dit…

Effectivement Fabien et Eric, je découvre avec joie cet article qui va dans le sens de la solution que je propose.
Je rappelle que ma solution implique que les amas de galaxies voisins doivent être plus au moins alignés. C'est ce qui peut permettre de maintenir un champ gravitomagnetique à grande échelle. Je l'explique au paragraphe 4 de http://arxiv.org/abs/1503.07440 (ou https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01108544v6).
Comme je l'indiquais dans mon calcul approximatif, le cas B bis semble le plus probable, et pour ce cas je prenais une taille caractéristique de l'ordre de 50Mpc!
L'ordre de grandeur observée est 100Mpc! Pas si mal pour un calcul "à la main" (qui se voulait plus qualitatif que quantitatif)
Plus spécifiquement, je proposais (il y a 1 an) cette prédiction au paragraphe 5.3:
"The gravitic field of two close clusters must be close to parallel. In other words, the spin vector of these two close clusters must be close to parallel". Mais ce que montre cette observation est encore plus drastique car ce sont les éléments au sein de ces amas qui sont eux mêmes parallèles. Du coup, elle rendent encore plus probable la conséquence précédente.
Sinon, je faisais aussi cette prédiction:
"statistically, galaxies’ spin vector and spin vector of the cluster (that contains these galaxies) must be in a same half-space". Et là, cette observation tend à confirme la 1ère moitié de l'affirmation (les "galaxies'spin" sont statistiquement dans le même demi espace entre eux)!
Décidément, avec l'article sur la variation de la constance de Hubble, cela fait 2 prédictions non triviales et inattendues (parmi la vingtaine que je propose) qui sont en train de se vérifier et une troisième qui semble en bonne voie.
C'est plutôt encourageant, je trouve. Sera-ce suffisant pour qu'un chercheur professionnel veuille prendre au sérieux mes papiers (avec tous leurs défauts d'amateurs)? En tous les cas, si vous en connaissez n'hésitez pas à leur soumettre mes papiers ;)

Stéphane Le Corre a dit…

Ah j'oubliais de préciser un détail important. Le cas B bis dont je parle est le cas pour lequel la source de champ gravitique est une assemblée de clusters voisins.
L'observation montre des alignements effectivement sur des éléments de clusters voisins!